VIEILLESSE : LE RÉCIT D’UN BASCULEMENT

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Isabelle de Courtivron © Ed Alcock

A de petites choses, Isabelle de Courtivron prend conscience que son corps répond moins bien, d’infimes changements mis bout à bout la confrontent à sa vieillesse. Dans son récit « L’été où je suis devenue vieille », l’autrice s’interroge sur ce moment de basculement.

Isabelle de Courtivron a passé sa vie professionnelle aux Etats-Unis. Elle y a enseigné la littérature, épousé toutes les grandes causes féministes. L »indépendance a toujours été son moteur. « J’avais fait le tour du monde et tout d’un coup les choses ont commencé à s’accumuler. Et ce qui m’intéresse beaucoup c’est ce créneau dont on ne parle pas, c’est le moment ou l’on se rend compte qu’on est sur la pente descendante du vieillissement ». Agée de 73 ans, elle analyse avec sincérité cette étape de vie.

« Je descends vers la vieillesse »

Dans son récit, l’ex professeure de lettres se révolte contre sa lente invisibilisation. « J’avais eu une carrière réussie, j’avais un certain pouvoir, c’était un choc de me dire je descends vers la vieillesse qu’est ce que ca va donner ? ». Un rapport à l’intime et au monde qu’elle perçoit différemment selon les cultures. « Je me suis rendue compte que je me cachais, je voyais mes bras qui fondaient, qui gigotaient. Je me suis dit il est temps de mettre des manches longues ! C’est très difficile de résister à cette lucidité ». Une autocensure à laquelle s’ajoutent des normes culturelles.

Des codes culturels de la fémininité

Aux Etats-Unis, il n’y a pas le même attachement aux codes de la féminité souligne Isabelle de Courtivron. La mixité et la séduction ne sont pas des enjeux. « Il y a moins cette idée qu’il faut être séduisante ou attirante. En France, ça n’a jamais complètement disparu. Si on ne s’habille pas très bien mais si on est confortable, c’est moins critiqué sauf si vous êtes journaliste à la télévision ». Au quel cas, mieux vaut être blonde et mince. Une différence qu’elle attribue au puritanisme qui n’est donc pas exempte d’exceptions majeures.

La ségrégation du numérique

Référente « En Marche » pendant la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron, Isabelle de Courtivron évoque son rapport au monde numérique. Une obligation liée à ses fonctions qu’elle qualifie « d’inintéressante ». Rompue aux mails, elle envoie de longs messages à ses amis, communique par Skype et FaceTime mais se débat en ligne avec les impôts. « Je me suis rendue compte que c’était une espèce de ségrégation », marqueur de la vieillesse. L’écrivaine qui a choisi de revenir en France à l’âge de 60 ans s’étonne du regard que porte la société française sur les femmes de son âge.

Le désintérêt de la médecine

Confrontée à des problème de santé, elle constate le faible intérêt des médecins pour les femmes de sa génération. Alors qu’elle pratique aux Etats-Unis tous les ans des densitométries pour prévenir l’ostéoporose, rien de tel en France. « Les médecins m’ont envoyée faire cet examen, puis plus rien pendant dix ans ! Et quand je leur en parle on me répond que ce n’est pas remboursé ». Isabelle de Courtivron s’indigne. »Il y a énormément de femmes qui ont besoin de se faire suivre. Les mamographies s’arrêtent à 74 ans ». Une négligence inacceptable vis-à-vis de ces femmes qui accentue leur invisibilisation dans la société.

Mamie Warren

En cette période pré électorale, l’autrice note les réflexions agistes qui n’épargent pas la candidate démocrate Elisabeth Warren (70 ans). « Un ami me dit : est ce que tu as vu mamie Warren ? Alors qu’il y a deux hommes chez les démocrates qui sont beaucoup plus âgés et moins alertes ! il n’aurait pas dit papy Biden ! ». Cette différence de traitement dans le choix du vocabulaire l’interpelle. « Pourquoi normalisez ces différences ? ». La professeure de lettres souligne que la langue crée la norme. « Vous pouvez répertorier les expressions négatives pour les femmes, il n’y a a pas l’équivalent pour les hommes ».

J’ai toujours enseigné des textes de femmes. J’ai fait partie de la 2ème vague du féminisme dans les années 60 et plus ou moins de la 3ème avec la parité. Puis il y a eu un dénigrement du féminisme en particulier celui qui venait des Etats-Unis. Depuis quelques années, les jeunes générations ont repris ces combats et ça m’a plu et rassuré.

Le cliché de la « petite dame »

Refusant le cliché de la petite dame au fur et à mesure de son vieillissement, la féministe évoque un sujet tabou même pour les plus militantes. « Les féministes parlent très peu de l’âge parce qu’elles sont très jeunes. Dans les années 70 j’étais dans ma phase féministe active et je ne pensais pas non plus à cette question. J’ai commencé à y réfléchir quand j’ai eu 50 ans. Je crois qu’il faut dans cette phase pour la comprendre ». Pour sortir de cette dilution, les égéries montrent-elles la voie ? Si de plus en plus de femmes bousculent les codes du jeunisme, ce sont essentiellement des artistes note Isabelle de Courtivron.

On devient un cliché des vieilles dames qui vont au musée et se parlent entre elles.

L’optimisme n’est pas de mise. En filigrane plane une dépression assumée qui s’exprime comme un découragement. « J’ai essayé de regarder tous ces gens médiatisés en pleine forme et je ne sais pas si ce sont des modèles. C’est plutôt culpabilisant » regrette l’autrice. Comment se projeter ailleurs que dans un EHPAD ? « On va me retirer tout ce pourquoi j’ai lutté : l’indépendance, être une femme forte , autrement dit le combat des femmes de ma génération qui ont lutté pour gagner cette liberté ». Son questionnement sur la vieillesse fait écho à ses lectures fondatrices.

Lectures féministes

Isabelle de Courtivron revient aux écrivaines féministes qui ont accompagné sa réflexion. Elle cite la poétesse Sylvia Plath, Virginia Woolf, les romancières Doris Lessing (son héroine), Virginia Wolf et la militante Gloria Steinem. Benoite Groult a sa préférence. « Elle parle de la vieillesse et de l’invisibilité de façon très lucide ». Au terme de son récit, elle fait sienne la phrase de Samuel Beckett : « Il faut continuer, je ne peux pas continuer, je vais continuer ».

« L’été où je suis devenue vieille » Isabelle de Courtivron, Edition de l’Iconoclaste, sortie le 26 février 2020

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