Simone Veil a inspiré la naissance de ce média qui porte son prénom. Preuve que ce qu’elle avait engagé en défendant la légalisation de l’avortement en 1974 n’était que les prémices d’un combat pour instaurer le droit des femmes comme un droit fondamental. Elle est morte ce jour à l’âge de 89 ans. Icône pour nombre d’entre nous, elle l’était à d’innombrables titres. Son courage salué par tous, y compris par ses adversaires politiques n’avait d’égal que son sens de l’engagement. Première femme française à occuper les plus hautes fonctions politiques de la présidence du Parlement Européen au Conseil Constitutionnel, elle n’oubliait pas qu’elle était une survivante. Rescapée du camp d’Auschwitz-Birkenau, elle incarnait l’espoir et le portait dans tous ses engagements. Ainsi sa détermination à construire une Europe forte. Son énergie anime aujourd’hui de nouvelles générations de femmes dont celle que nous incarnons ici.
Femme de combat, elle lutte pour le premier de tous, le droit de vivre. Arrêtée à l’âge de 16 ans à Nice, puis déportée dans les camps d’Auschwitz et de Bergen-Belsen, l’adolescente est séparée de son père et de son frère qu’elle ne reverra plus. Sa mère meurt du typhus dans ses bras. Jean d’Ormesson raconte le début du cauchemar dans son discours de réception de Simone Veil à l’Académie française en mars 2010. « Le 29 mars 1944, vous passez à Nice les épreuves du baccalauréat, avancées de trois mois par crainte d’un débarquement allié dans le Sud de la France. Le lendemain, 30 mars, en deux endroits différents, par un effroyable concours de circonstances, votre mère, votre soeur Milou, votre frère Jean et vous-même êtes arrêtés par les Allemands ». Drancy, le premier camp et une voix anonyme qui murmure « Dis que tu as 18 ans ». Cela lui sauve la vie. Devenue le matricule n° 78651, la désormais Sarah a perdu son identité. Elle survit. Libération rapporte ses interrogations lors des commémorations de la libération du camp d’Auschwitz en 1995. « Pendant toute la cérémonie (…), il y avait quelque chose qui m’intriguait. J’ai eu, toute la matinée, comme tout le monde, un peu froid aux pieds, alors qu’il ne faisait pourtant pas très froid. Et je me demandais comment on avait pu résister à tant de froid. Jusqu’à -30°… Je n’arrive pas à me souvenir comment on faisait. On n’avait rien. Est-ce qu’on se mettait du papier sur le corps ? Ou bien des vieux sacs de plâtre ? Pendant toute la cérémonie, j’essayais de m’en souvenir, et je n’arrivais pas ». Présidente d’honneur de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, de 2000 à 2007, elle exercera sans relâche le devoir de mémoire.
Nous ne pouvons plus fermer les yeux
De retour à Paris, Simone Jacob rencontre Antoine Veil sur les bancs de Sciences Po. Il l’épouse et consent à ce qu’elle fasse une carrière de magistrate. Un laconique « J’ai dû me battre » résume cette lutte intime. Première femme secrétaire générale du Conseil Supérieur de la Magistrature, elle entre dans le gouvernement de Jacques Chirac et en devient la seule femme ministre, en charge du portefeuille de la santé. Michel Poniatowski la charge de régler la question des avortements clandestins médiatisée par le procès de Bobigny. Un fait divers devenu emblématique. Violée par un garçon de son lycée, Marie-Claire 16 ans tombe enceinte. Après un avortement dans des conditions difficiles, elle est inculpée avec sa mère (pour complicité) sur dénonciation du violeur ! La grande bataille démarre dans le prétoire et se poursuit devant une assemblée testostéronée. Les joutes verbales d’une rare violence. Les insultes innombrables. Certains osent parler de « choix du génocide » et « d’embryons jetés au four crématoire » ! Des croix gammés sont dessinées sur les murs de son immeuble ! Simone Veil vacille mais tient bon. Après 4 jours de débats houleux dans un hémicycle comprenant seulement 9 députées et 481 hommes, la loi est adoptée le 29 novembre 1974 grâce aux voix de l’opposition et contre son camp politique par 285 voix pour, 189 contre et 6 abstentions. Toutefois, le texte impose que la femme doit être dans une situation de détresse qu’elle s’empresse de ne pas définir. Contrairement aux apparences la femme n’acquiert pas un droit absolu sur son corps. « l’avortement doit rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issue ». Quelques mois après la promulgation de la loi, le Nouvel Observateur s’enquiert de l’application de loi auprès d’hôpitaux parisiens. “ Le patron est contre. (…) Les standardistes et les employéés de l’Assistance Publique ne s’embarassent pas de formules. Elles ont des consignes précises. Dissuader les postulantes à l’avortement”. N’empêche la loi passe. Elle évoluera vers un droit fondamental. Et ce sera toujours l’œuvre de femmes. Dans le sillage de Simone Veil, Yvette Roudy, Véronique Neiertz, Martine Aubry, Axelle Lemaire conforteront cette évolution majeure dans l’émancipation des femmes.
Nous ne pouvons plus fermer les yeux sur les 300 000 avortements qui, chaque année, mutilent les femmes de ce pays, qui bafouent nos lois et qui humilient ou traumatisent celles qui y ont recours. (…) Je ne suis pas de ceux et de celles qui redoutent l’avenir. Les jeunes générations nous surprennent parfois en ce qu’elles diffèrent de nous ; nous les avons nous-mêmes élevées de façon différente de celle dont nous l’avons été. Mais cette jeunesse est courageuse, capable d’enthousiasme et de sacrifices comme les autres. Sachons lui faire confiance pour conserver à la vie sa valeur suprême.
Résiliente, là où à l’issue de la guerre beaucoup souhaite tourner la page, Simone Veil s’engage dans la construction de l’Europe naissante. « Au sortir de la guerre, nous avions la conviction qu’il fallait se réconcilier absolument avec les Allemands et que si nous ne le faisions pas, il y aurait une troisième guerre mondiale ». Faisant de la réconciliation franco-allemande le socle des paix à venir, elle milite pour une Europe solidaire. « Se fixant de grandes ambitions, l’Europe pourra faire entendre sa voix et défendre des valeurs fortes : la paix, la défense des droits de l’homme, davantage de solidarité entre les riches et les pauvres. L’Europe, c’est le grand dessein du XXIème siècle ». Elue en 1979 au 3ème tour Présidente du Parlement Européen jusqu’en 82, elle y siègera jusqu’en 1993. Une expérience multiple qui la laisse interrogative sur le désintérêt des politiques français concernant les questions européennes. Mais jamais elle ne délaisse la cause européenne. Membre de la commission internationale pour les Balkans en 1996, elle s’emporte contre l’indifférence des institutions à l’encontre des camps en Yougoslavie. « Je ne veux pas réentendre ce que j’ai entendu il y a 50 ans de dire que la seule priorité c’était d’arrêter la guerre et que pendant ce temps là les gens pouvaient être dans des camps de concentration exterminés ».
Tous ces combats ont suscité un puissant sentiment d’admiration. Jean d’Ormesson le définit dans son discours sous la Coupole. « Nous sommes une société d’admiration mutuelle (l’Académie Française), que Voltaire déjà dénonçait en son temps. Cette admiration, vous la suscitez, bien sûr, vous-même. Mais, dans votre cas, quelque chose d’autre s’y mêle : du respect, de l’affection, une sorte de fascination. Beaucoup, en France et au-delà, voudraient vous avoir, selon leur âge, pour confidente, pour amie, pour mère, peut-être pour femme de leur vie. »
Photo @European Parliament /Pietro Naj-Oleari
Bravo Sophie pour ce très bel hommage à la plus grande de toutes les Simone !
Merci Martine, elle va beaucoup nous manquer !