PLANTES MÉDICINALES AU PÉROU : VALORISER LES SAVOIRS DES FEMMES

le collectif Las Otras de Lima Norte Lima au Pérou
Capture insta Las Otras de Lima

Dans un quartier populaire et excentré de Lima, le collectif Las Otras de Lima Norte a organisé des ateliers artistiques avec des femmes autour de leurs connaissances des plantes, pour valoriser leurs savoirs et l’estime d’elles-mêmes.

Sur des feuilles blanches encadrées, des plantes séchées sont collées, entourées d’écritures à la main qui racontent un souvenir auxquelles elles sont associées ou leurs différents bienfaits. Il y a d’abord Mary, qui se rappelle : « Quand mes menstruations sont arrivées pour la première fois, j’ai ressenti de grosses douleurs. Ma mère a commencé à me donner une infusion d’origan tiède et cela m’aidait beaucoup. C’est quelque chose que je fais toujours aujourd’hui, lorsque j’ai des douleurs à l’estomac ou des gaz. »

Il y a aussi la rue, surnommée « herbe de grâce », dont Isabel décrit toutes les qualités : elle soigne les maux d’estomac, aide en cas de douleurs lors des règles, élimine les parasites intestinaux et porterait même chance. Une plante qui n’est pas anodine dans l’histoire des femmes : l’une de ses sous-espèces a longtemps été utilisée en décoction pour provoquer l’avortement.

Tous ces mots et ces dessins au style un peu art brut sont les œuvres d’une quinzaine de femmes âgées entre 40 et 70 ans, réunies ce printemps par le collectif d’artistes Las Otras de Lima Norte. Celui-ci réunit Claudia Yupanqui Villegas, 43 ans ; Kathryn Paucar Vergara, 38 ans et Blanca Huaylas Navarro, 44 ans. Toutes les trois sont originaires du quartier excentré et populaire de Lima Norte. Elles se sont rencontrées lors de leurs études aux Beaux-arts et ont régulièrement collaboré ensemble, avant de formaliser il y a an leurs liens par la création d’un collectif.

Les « autres » du quartier

Las Otras de Lima Norte, c’est un nom qui cherche à mettre en valeur ces « autres » du quartier, celles qui sont souvent reléguées en seconde zone, celles qui sont souvent oubliées des pouvoirs publics. Depuis le début de leur carrière, ces trois artistes se sont interrogées sur « ce que cela signifiait d’être une femme vivant à Lima Norte », nous explique Claudia, chevelure brune, yeux pétillants.

Récemment, pour poursuivre leurs recherches artistiques, elles ont lancé cette série d’ateliers, baptisée « Mujeres Curando-se ». Un jeu de mots évoquant à la fois les femmes guérisseuses et les femmes qui se guérissent elles-mêmes. Se concentrer sur les plantes médicinales s’est imposé « de manière intuitive », car « c’est un sujet qui fait appel à nos souvenirs et à nos émotions », évoque Claudia, en balayant rapidement l’idée que ce serait parce que les femmes sont intrinsèquement plus proches de la nature.

Le lien est plutôt culturel, souligne-t-elle. L’utilisation des plantes relève d’une histoire familiale, souvent féminine. Ce sont les grands-mères qui ont transmis leurs savoirs à leurs filles, qui elles-mêmes les ont partagés aux leurs. Cette transmission ne s’est pas forcément rompue comme en Europe, où la « chasse aux sorcières » – souvent des guérisseuses – a fait entre 50 000 et 100 000 victimes selon les estimations. Mais au Pérou, ces connaissances se clairsèment en raison de l’irruption de la médecine « officielle », qui distribue des pastilles contre les maux. « Moi, je ne connais plus toutes les informations que savait ma mère sur les plantes », se désole Claudia.

Continuer la transmission en milieu urbain

Ces savoirs ont aussi été mis à mal par la vie en milieu urbain. Dans le quartier de Lima Norte, l’organisation est chaotique, liées aux vagues d’immigration successives qui y ont fait pousser les habitations sans plan précis. Très peu d’arbres sont présents, ils ont bien souvent été coupés. Mais Claudia et ses deux collègues en étaient persuadées : « Les savoirs ancestraux ne se trouvent pas uniquement en montagne ou en forêt. Lima est une ville de métissage, où les filles des femmes qui ont migré ici ont pu conserver leurs savoirs. »

Les ateliers « Mujeres Curando-se » ont donc cherché à les réactiver, tout en mettant en valeur les femmes du quartier. « Lors du premier atelier, les participantes attendaient les informations de notre part, elles pensaient que nous allions leur enseigner quelque chose. Mais nous leur avons expliqué qu’il s’agissait d’un échange mutuel, que nous allions apprendre les unes des autres », déroule Claudia. Et à la fin, elles étaient capables de dire « je sais faire ci, je connais ça… » Des connaissances ensuite restituées auprès de la famille et des gens du quartier lors d’une exposition le 8 mars.

Esther, 69 ans, qui a rejoint la conversation, a apprécié pouvoir faire remonter une quantité de souvenirs : « C’est ma mère, qui venait des montagnes, qui m’a enseigné les propriétés de la verveine citronnelle ou de la muña [plante endémique des Andes]. » Aujourd’hui, elle achète ses herbes au marché pour faire ses propres infusions ou décoctions. Ce qu’elle a aussi beaucoup aimé aussi, c’est la possibilité d’échanger avec d’autres femmes du quartier. « Ce genre d’événements, ça permet de sortir de l’univers de nos maisons et de parler entre nous. » Sa fierté ? Avoir réussi à convaincre l’une de ses voisines d’y participer.

Des raisons qui convainquent Las Otras de Lima Norte de continuer. Claudia et ses deux collègues espèrent faire d’autres ateliers à Lima Norte et réunir assez de matériaux pour réaliser une grande exposition collective autour de ces savoirs féminins.

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