« NOUVEAU DÉPART », LE MÉDIA CONCRET DE LA CRISE ET DE L’ APRÈS

Laetitia Vitaud
Laetitia Vitaud lance avec Nicolas Colin « Nouveau départ » le journal d’après crise

Laetitia Vitaud, conférencière et consultante et Nicolas Colin, son mari, fondateur de la société d’investissement « The Family ont choisi de lancer en temps de confinement « Nouveau Départ » un média dédié à l’après crise. Une réflexion inédite qui explore en profondeur ce nouveau monde. Avec la rédactrice en cheffe de la partie entreprise de Welcome to the jungle on a parlé média, valeur du travail, service public… Bref tout ce qui fera la vie d’après.

Comment est né le concept de Nouveau Départ ? 

On a saisi l’opportunité de cette période de crise et de confinement où l’on constate plusieurs phénomènes. Le 1er est que les médias n’ont pas grand chose à dire, ils relaient la parole officielle. Par exemple, s’il s’agit de travail, on va interroger le MEDEF et un syndicaliste et ce sont toujours les mêmes qui prennent la parole. Le 2ème, qui est vrai de tout temps, mais particulièrement en ce moment, c’est qu’on entend très peu de femmes expertes. Le décalage est saisissant car les femmes portent cette crise plus que les hommes puisqu’elles sont dans les hôpitaux et les EHPAD, s’occupent des personnes âgées et que plus de la moitié des travailleurs dans les super marchés sont des femmes. Cela génère de la frustration.

Est ce que ce lancement est aussi une façon de repenser votre travail dans cette période de crise ?

La crise fait que nous travaillons tous dans les mêmes conditions. Les journalistes aujourd’hui produisent chez eux, personne n’a de plateau, ni de studio. Ils n’ont pas d’outils plus performants que ce que nous possédons. Cela représente une forme de nivellement et d’abaissement soudain des barrières à l’entrée pour concevoir un nouveau média. Par ailleurs, sur un plan plus personnel, nous avons besoin de générer des revenus dans cette période de crise où une grande partie de nos ressources ont disparu du jour au lendemain puisque nous ne sommes pas salariés.

Quel support avez-vous choisi pour votre journal ?

Nous démarrons sans budget en produisant des contenus qui vont être plus vidéo qu’écrits. et en assumant que ce ne sont pas des vidéos de studio. Mais qui comportent quelque choses de singulier, avec nos points de vue assumés. C’est un média indépendant que l’on lance sur la plateforme Substack avec une version gratuite qui comptera un récapitulatif et quelques édito accessibles à tous pour donner une idée de ce qu’on trouvera dans la version payante, c’est-à-dire des interviews avec des personnalités que l’on ne retrouvent pas dans les médias classiques.

Que va-t-on trouver dans Nouveau Départ ?

Nicolas et moi avons ce prisme de l’entreprise. Nous parlons a des entrepreneurs, à des gens sur le terrain, même si on a parfois ce biais l’un et l’autre de faire des trucs intellos pour le plaisir ! L’objectif est de parler de choses concrètes, de donner la parole à des gens qui font des choses bien et qui en inspirent d’autres. Cela donne une vision intelligence de ce qui se passe, des opportunités de ce qu’on peut faire dans le monde d’après. Par exemple pour comprendre ce qui se passe dans une filière, que ce soit le monde de la finance, des nounous ou les travailleurs du back office … Ce questionnement peut nous donner des clés de compréhension.

Pour ne pas retomber dans tous les travers du monde d’avant par quoi faut il commencer tout de suite ?

C’est un grand danger quand on entend le MEDEF sur le sujet dire :  » on a tellement dépensé, maintenant il faut se serrer la ceinture et tout couper ». Comme si une crise comme celle la ne pouvait pas se reproduire et comme si elle n’avait pas fait la preuve de la nécessite absolue d’avoir un système de santé très solide. Or, on sait qu’il va y avoir plus de catastrophes naturelles, d’autres virus. Par ailleurs, notre démographie évolue de telle manière qu’on sait prédire que nos besoins de santé vont être plus forts plus important demain qu’aujourd’hui. La crise apporte comme une forme de précédent la possibilité de donner une place archi centrale au système de santé et à la sécurité sociale avec des moyens exceptionnels.

Cela veut dire qu’il y a une possibilité de modifier les choix politiques à long terme ?

Il y a deux choix politiques et sociétaux. Soit on considère que c’était une période d’exception et qu’il faudra le payer très cher, soit c’est la première pierre apportée à un édifice qu’on va chercher à renforcer par la suite, parce qu’on sait qu’on va en avoir besoin durablement. J’ai envie d’être optimiste mais je sais que cela va être très variable d’un pays à un autre. Aux Etats-Unis ça ne va pas se faire. Même le candidat démocrate Jo Biden n’a pas de propositions radicales sur les questions sociales et de santé.

Il faudrait réenvisager le service public sous l’angle d’un bien commun ?

Absolument, mais c’est l’origine de notre sécurité sociale. Le Conseil National de la Résistance, alliance entre communistes et gaulliste a fait l’objet d’un consensus politique très fort entre la droite et la gauche pendant 40 ans. On voit que c’était cette vision d’un bien commun. C’est ce qu’il faut retrouver dans notre héritage. Bien sur, il y a des choses à transformer mais tout est déjà là.

Dans un talk vous avez souligné que les métiers des infirmières et des enseignantes étaient analysés sous l’angle de la vocation, est-ce qu’au vu de la crise sanitaire cette vision peut s’inverser à l’avenir ?

Dans son dernier livre « The value of everything », l’économiste Mariana Mazzucato questionne la notion de valeur et parle de la confusion qui existe entre le prix et la valeur. Notamment de tous ces travailleurs et travailleuses des services publics qu’on a convaincu depuis des années qu’ils sont un fardeau. Je l’ai vécu en tant que prof. Pour elle, il y a un énorme problème qui est qu’on ne mesure pas toutes les externalités positives de ces travailleurs dont la valeur économique est en réalité complètement ignorée. Sa réflexion est rendue extraordinairement pertinente en cette période de pandémie où on se rend compte à quel point tout est imbriqué. Vous êtes un vecteur de l’épidémie même quand vous êtes en bonne santé. Vous ne pouvez plus avoir cette vision purement individualiste de l’économie parce que chaque interaction est potentiellement un moment ou vous distribuez le virus autour de vous. Mais une société où il existe des institutions protectrices comme les hôpitaux, la sécurité sociale c’est aussi des externalités positives. Car si vous avez des revenus en cas de maladie, vous pouvez vous arrêtez de travailler et donc vous ne répandez pas davantage le virus. Dans le contexte américain la population n’a pas d’assurance maladie et donc pas de revenu. S’ils sont malades, ils travaillent quand même. En temps normal on dit ils sont courageux, mais là c’est criminel car ils répandent le virus autour d’eux.

Est-ce que la notion de valeur va pouvoir être mise au cœur de l’économie ?

Il y a pas mal de controverses sur le fait que les gens applaudissent le personnel soignant à 20h. Cela part d’une bonne intention mais qui a été critiquée par certains qui disent qu’on est toujours dans cette logique de sacrifice. On applaudit des héros qui se sacrifient mais on ne remet pas en cause un système dans lequel ils sont obligés de se sacrifier. Et se sacrifier signifie travailler pour ne pas gagner d’argent, travailler sans être protégé … Tout un tas de chose qui ne sont pas des fatalités. « Applaudir les travailleurs de la santé sans également renforcer le système de santé est une insulte » a expliqué Mazzucato dans un article. Il faut parler de la façon dont on valorise un certain nombre de professions et ne pas être dans quelque chose de purement transitoire.

Est-ce qu’une transformation durable de l’organisation des entreprises est envisageable ?

Je suis assez optimiste parce que la période de transformation forcée qu’on est en train de vivre et le télétravail durent suffisamment longtemps. Il y a des tas de verrous qui sont levés sur la protection des données, le choix des outils, l’organisation du travail. On est bien obligé pour assurer la continuité de l’activité de mettre en place des choses qui n’existaient pas et d’apprendre à travailler autrement. Ces choses là, on ne peut pas les désapprendre. il y a des entreprises qui garderont une culture du présentéisme. et les français qui sont interrogés la dessus ont assez peur que cela reviennent comme avant. Les 2/3 des gens qui télé travaillent aimeraient bien en faire plus, tout en souhaitant retourner au bureau pour voir les collègues. Un sur deux craignent que leur employeur ne les forcent à revenir à une culture très présentéiste. Ils ne se font pas trop d’illusions.

Est ce que cela changera la culture de l’’entreprise ?

C’est déjà une réalité. Les équipes sont déjà en grande partie dispersées parce que dans beaucoup d’entreprises on a déjà appris a utiliser les outils collaboratifs. J’aime bien la définition de la culture d’entreprise que donne Ben Horowitz, (NDLR expert du capital-risque dans la Silicon Valley de la culture d’entreprise). Il dit que ce n’est pas les discours, pas les valeurs que vous affichez sur les murs, pas le mobilier que vous avez choisi, c’est tout ce que font les gens quand vous ne les regardez pas, quand vous ne les surveillez pas. Sa définition de la culture est mise à l’épreuve au moment du télétravail, par définition vous n’êtes pas forcément regarder à moins d’être sur zoom toute la journée !

La culture de votre entreprise, c’est la façon dont les décisions sont prises quand vous n’êtes pas là. C’est l’ensemble des principes que vos employés utilisent pour résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés chaque jour. C’est la manière dont ils se comportent quand personne ne les regarde. Si vous ne créez pas votre culture d’entreprise avec méthode, alors elle reposera en majeure partie sur des “accidents », dont certains seront malheureux. 

Ben Horowitz

Est ce que la crise qui s’annonce ne va pas enore fragiliser davantage les plus de 50 ans ?

Aux Etats-Unis, les gens qui sont le plus affectés par la perte d’emploi ce sont essentiellement des jeunes, aujourd’hui un millenial sur deux est au chômage et le pourcentage est légèrement moins tragique pour la génération au dessus, des 40/50 ans. Soit parce qu’ils sont dans des postes plus pérennes, soit parce qu’ils sont dans une carrière plus installée, pour tout un tas de raison ils ont un emploi plus protégé que les plus jeunes qui ont fait les frais de l’arrêt brutal de l’activité. il n’y a pas de chômage partiel et pas de mécanisme pour les maintenir dans l’emploi. iIs sont licenciés. Après ils retrouveront un emploi dès que ça repartira. Ca va vite aux Etats Unis.

Une visibilité plus grande doit être faite sur les personnes de 45 ans. Le jeunisme est le signe d’une société qui a encore du mal à accepter son vieillissement et du coup a un culte de la jeunesse complètement délirant. Il y a plus d’alternatives pour prendre la parole mais il y a vraiment un truc avec les femmes ménopausées, on ne les voit plus ! 

Et en France ?

En France c’est différent.A court terme au niveau des embauches il va y avoir beaucoup de jeunes sur le marché et les plus âgés vont en faire les frais. A moyen terme et plus long terme on va arriver forcément à une remise en cause de tout ça parce que si la médiane est à 45 ans d’ici dix ans, et qu’on est senior à 45 ans il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. On le voit dans le monde politique, soit les femmes ont bien moins de 45 ans soit plus de 60 ! Ce sont les cinquantenaires qui sont invisibles alors qu’elles sont au sommet de leur force intellectuelle, physique, politique, c’est la puissance la cinquantaine et le moment de l’invisibilité ! Et je pense que c’est parce qu’elles font peur ! elles sont libres.

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