LEATITIA VITAUD QUESTIONNE L’AVENIR DU TRAVAIL DANS SON ESSAI « DU LABEUR A L’OUVRAGE »

Leatitia Vitaud, extrait vidéo YouTube 2018
Leatitia Vitaud, extrait vidéo YouTube 2018

Ancien prof passée par HEC, conférencière et spécialiste des mutations du travail, Laetitia Vitaud propose de passer du « Labeur à l’ouvrage » (Calmann Lévy) dans un passionnant essai. Elle examine à l’aune d’une recherche historique, les moyens de se défaire de l’aliénation du travail en embrassant le modèle de l’artisanat.

Lors d’un Meet Up organisé par Wemind, Laetitia Vitaud s’est attachée à raconter son histoire personnelle, prémice de sa longue réflexion sur l’avenir du travail. Engagée sur un chemin balisé par un cursus HEC, la jeune diplômée comprend rapidement que son travail au sein d’une SSII n’a pas de sens. « En gros on vend des gens, on ne comprend rien à ce qu’ils font et en plus c’est extraordinairement gênant de vendre des gens ». Un passage qu’elle paye rapidement d’une dépression sans  » mettre les mots dessus ». La souffrance au travail n’est pas un vain mot. Elle l’éprouve encore à l’issue de dix années d’enseignement, autre voie choisie, mais tellement répétitive. « Par ailleurs, c’est un métier très déconsidéré, et je souffrais du regard que l’on portait sur moi ». Conférencière, rédactrice en cheffe du site Welcome to the Jungle, elle puise dans la diversité la fin de l’ennui.

Le travail se définit sur un rapport d’aliénation

Laetitia Vitaud analyse les évolutions historiques du travail. « Nous sommes passés de la sécurité à l’aliénation », un constat qu’elle fonde sur la naissance du salariat, construit sur l’organisation scientifique du travail dans l’ère industrielle. « En échange de la division du travail, vous obtenez un agrégat d’avantages qui sont liés au salaire avec une promesse de solvabilité qui donnera naissance au crédit bancaire, puis, à l’accès au logement. C’est l’innovation majeure de la seconde moitié du 20ème siècle ». Le fordisme (modèle d’organisation fondé par Henry Ford basé sur une production standardisée de masse) est considéré comme favorable aux salariés, même s’il renforce le lien de subordination vis-àvis de l’employeur. L’autrice cite l’accès à la consommation avec notamment l’achat des maisons de banlieues aux Etat-Unis « et le chien qui va avec » ! Implicitement il y a la promesse « d »un enrichissement futur » pour ses enfants.

Le rejet des « bullshit jobs »

Mais ce « package » se désagrège sous l’effet de la mondialisation depuis une quarantaine d’années. « Hors du monde de l’industrie, on s’aperçoit que le contrat fordiste ne convient plus ». Alors que le travail salarié était ultra dominant à la fin du XXème siècle, on assiste à une remontée des travailleurs indépendants, une communauté de free lance dont les motivations ne sont pas celles des mercenaires guerriers qui ont donné naissance au mot. Le mythe du digital nomade qui bosse sur une plage en Thaïlande a fait long feu. Laetitia Vitaud invite à rejeter les bullshit jobs définis par l’anthropologue David Graeber. La quête de sens prime et le retour au labeur est la voie de rédemption.

L’influence de William Morris

Figure de ce mouvement, l’anglais William Morris, mathématicien, poète, philosophe, fondateur du mouvement Arts and Craft. « Réconcilier la tête et les mains, se réapproprier le savoir faire dans sa globalité pour arriver à fabriquer quelque chose de beau » explique Leatitia Vitaud était une réaction à l’appauvrissement des tâches et à la perte des savoir faire médiévaux (vitraux, reliure, tapisserie…). Une réaction d’esthète pour cet homme d’affaire qui créa entre autres les meubles du Titanic. Sa vision sociale de l’artisanat inspire aujourd’hui les « Makers » adeptes du « do it yourself » au sein d’espaces collaboratifs. Car contrairement au travail individuel de l’artisan, le passage à l’ouvrage impose de repenser le collectif.

Du collectif à l’individuel

Le salariat a imposé une vision collective du travail qui s’est peu à peu perdue dans le passage à l’ouvrage. « On a perdu du pouvoir de négociation, dans ce partage de la valeur. Une importante masse de gens ont perdu ce pouvoir et ne bénéficient plus des institutions collectives et des syndicats. Certains éléments de protection sociale se dégradent ou disparaissent et l’on ne pense plus le collectif » analyse l’autrice. D’où l’urgence de repenser la protection sociale, réfléchir aux risques nouveaux qu’il faudra couvrir et surtout assure Leatitia Vitaud ne plus penser la vie en trois phases majeures. « L’école où vous vous formez, puis vous travaillez pendant 40 ans et ensuite vous avez dix ans de retraite ». Une aberration dans une époque où la durée de vie s’allonge et où la nécessité de se former ne doit plus être lier à l’âge. « Les institutions doivent être repenser ».

Le travail reproductif des femmes

Le passage du labeur à l’ouvrage doit profiter à tous et particulièrement aux femmes. Dans son essai, la conférencière définit la spécificité de leur travail qualifié de « reproductif ». Non seulement, parce qu’elles font des enfants, mais aussi parce qu’elles concourent à reproduire la force de travail. Cela concerne tous les travaux domestiques qui n’ont pas de valeur marchande. Petit à petit, les femmes sont entrées sur le marché du travail. Mais l’économie est restée dans une vision sacrificielle du travail féminin. « Tous les métiers encore fortement féminins viennent de cette histoire et souffrent encore de cette confusion entre travail marchand et non marchand et c’est pour cette raison qu’ils sont en général très peu valorisés ». On pense aux infirmières et aux enseignantes. « Plus vous êtes utiles, plus on dit que c’est de l’ordre de la vocation, moins vous allez avoir de rémunération ». Essayez d’imaginer le fonctionnement d’un bureau sans femmes de ménage pendant plusieurs jours …

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