MA MÈRE LE COVID ET MOI

ma mère le Covid et moi
Françoise ©Sophie Lizoulet

Sophie Lizoulet chronique régulièrement les livres chez Simone. Aujourd’hui elle témoigne de l’expérience de la maladie vécue par sa mère Françoise, bientôt 80 ans. Une chronique belge de ces semaines angoissantes qui bouleverse nos rapports les plus intimes.

Samedi 10/10 – 10h35 : appel de ma mère, elle pense s’être déchirée un ligament croisé et désire se rendre aux urgences. Je l’y dépose.

Même jour – 16h00 : diagnostic confimé après trois heures aux urgences.

Dimanche 11/10 – 15h00 : Je dépose mon fils et ma chienne chez ma mère car je me déplace à Paris pour le travail (moins de 48h suivant les directives). Mon fils aidera ma mère qui se déplace avec difficulté.

Lundi 12/10 – 18h00 : Je prends des nouvelles, ma mère se sent fébrile, mon fils fait les courses, elle se sent soulagée.

Mardi 13/10 – 18h00 : C’est l’heure de l’appel, assise dans le train du retour. Ma mère a de la fièvre et tousse, la doctoresse a planifié un test Covid pour le lendemain matin. J’appelle mon médecin pour que mon fils et moi passions le test.

Mercredi 14/10 – 13h00 : Tests passés. Attente des résultats. Ma mère a toujours de la fièvre et sa toux ne se calme pas.

Jeudi 15/10 – 18h00 : Les résultats tombent pour ma mère : elle est positive au Covid. Mon fils et moi continuons notre quarantaine n’ayant pas nos résultats mais aucun symptômes n’apparaissent.

Vendredi 16/10 – 15h00 : Ma mère n’a plus de fièvre, la toux se calme un peu. Elle est sous antibiotiques. La doctoresse appelle quotidiennement.

Samedi 17/10 – 17h00 : Nous lui apportons des vivres. Nous restons à dix mètres d’elle. Elle est faible. Le médecin lui a expliqué comment monitorer son souffle.

« Je suis à l’hôpital depuis hier soir »

Dimanche 18/10 – 10H35 : Un texto sur mon portable « Je suis à l’hôpital depuis hier soir ». 10h36 : Je l’appelle. Elle a une voix d’outre-tombe, son état s’est aggravé en quelques heures. Elle a de l’eau dans les poumons, de la fièvre, un toux imposante et se trouve sous un masque à oxygène dans l’unité Covid 44 en médecine interne. Elle a juste la force de me donner ces quelques informations. L’équipe ne se prononce pas sur le futur, les tests sont en cours.

Lundi 19/10 – 10h30 : Je l’appelle, son portable ne répond pas. J’appelle l’unité Covid 44 en médecine interne. L’infimière me dit ne pas avoir ce nom sur sa liste, je l’entends interroger le médecin qui prend l’appareil et m’informe que ma mère a été transférée aux soins intensifs durant la nuit. Pourquoi personne ne m’a informé ? Pas assez de personnel, c’était dimanche.

10h42 : J’appelle les soins intensifs, une infirmière charmante décroche et m’explique la situation : ma mère était en grave insuffisance respiratoire qui nécessitait une prise en charge plus importante. Elle se trouve à ses cotés et me la passe. A partir de ce jour et pendant les dix qui suivront nos conversations ne dépasseront pas les trente secondes tant cela lui demande un effort. Nos conversations se résumerons à s’accorder sur le fait qu’elle ne subisse aucun acharnement thérapeutique aux pires moments de souffrance, qui seront nombreux et de s’assurer que l’équipe médicale soit au courant qu’elle a signé les papiers pour l’euthanasie.

14h00 : Mon fils et moi sommes négatifs. Il peut retrouver son école et ses copains.

Notre dernier lien

Une routine s’installe, matin et soir je l’appelle. C’est notre dernier lien. Aucune visite possible, ni aux patients ni à l’équipe soignante. Il ne reste que la voix pour communiquer. Cette voix qui n’a plus de force et les médecins qui affirment que malgré son cœur affaibli et son état général, extrêmement diminué, elle peut se remettre, que l’euthanasie n’est pas envisagée pour le moment.

Et deux fois par jour, cette souffrance au bout du fil. Et mon impuissance à l’autre bout.

Les amis, la famille nous soutiennent, les messages affluent de tous côtés. Il faut s’organiser. J’aurais un point de contact chez ses amis, un autre chez ses voisins qui relayent l’état de ma mère.

Vivre avec le portable allumé 24/7, ce qui ne m’arrive jamais. Se dire qu’elle pourrait partir sans qu’on ne puisse la revoir, la toucher une dernière fois. Ne pas pouvoir être à ses cotés, est usant. Les jours passent et se ressemblent, cinq jours aux soins intensifs. Retour en unité Covid 44 médecine interne. Recommencer les conversations sur l’euthanasie et l’acharnement thérapeutique. Être entendue et pourtant se sentir sans ressource face à l’envie de lâcher de ma mère.

Continuer à travailler, il n’y a rien d’autre à faire. Surtout s’occuper, marcher, prendre soin de soi. Accueillir la peine.

L’épuisement mine son moral

Les conversations reprennent avec l’équipe soignante : au bout de dix-sept jours ma mère doit laisser sa place à quelqu’un d’autre car elle n’a plus besoin d’apport d’oxygène. C’est la première bonne nouvelle, la seule. Elle a perdu huit kilos, alors qu’elle était déjà mince, sa tension est trop basse, son cœur instable. Son désir : rester à l’hôpital pour la suite de sa convalescence. Ce sera impossible car elle est toujours infectieuse et doit être en unité Covid. Après d’âpres discussions avec l’hôpital et les médecins, ma mère sera envoyée en centre de revalidation à deux heures de route de chez nous.

ma mère le Cocod et mo
Françoise

Ma chance : elle est la première patiente à être envoyée dans ce centre qui vient d’ouvrir une unité Covid, la ministre et une chaîne de télévision belge sont sur place pour filmer l’évènement. Le soir de ce fameux mardi, elle passera au journal de 19h00 sur la première chaîne privée RTL. Quelques images inespérées. La voir dialoguer avec le personnel, bouger dans son lit, me font un bien incroyable. Une partie de moi est rassurée, le pire semble dernière nous.

Commence l’acte deux : L’épuisement mine son moral. Elle peine a se lever, à pouvoir être autonome. Un autre volet s’ouvre celui de la revalidation. Presque trois semaines sans bouger, ses muscles ont fondu. Son but : pouvoir rentrer chez elle en étant capable de pouvoir monter les deux volées d’escalier de son duplex. Elle est claire, elle n’ira jamais en maison de repos. Alors chaque jour, elle va trouver la volonté de sortir de son lit, s’entraîner avec sa kinésithérapeute et seule dans les couloirs.

Cette période va durer six semaines. Le samedi, mon fils et moi lui rendons visite. Les premières fois ce sera à travers la fenêtre de sa chambre au troisième étage, portable à la main, pendant cinq minutes. Elle n’a pas la force de plus. Elle est toujours en unité Covid.

Le 15 dec, je pourrais la serrer dans mes bras

Fin novembre, un nouveau transfert, elle n’est plus infectieuse. Elle passera encore deux semaines dans le centre. Les restrictions sanitaires nous empèche toujours d’être auprès à d’elle. On peut rester à cinq mètres, rien de plus.

Le 15 décembre, je pourrais la serrer dans mes bras, c’est la date prévue pour sa sortie. Une sortie sur laquelle nous n’aurions pas parié. Une sortie, debout, ce qui n’est pas le cas de tous les patients Covid.

La Covid, ce microscopique virus qui a changé nos vies depuis dix mois, qui ne nous permet pas d’accompagner les membres de nos familles hopitalisés. L’humain coupé de l’humanité.
Le dernier contact : le personnel soignant qui malgré un travail titanesque reste efficace, charmant et disponible.

Aucune personne dans l’entourage de ma mère n’a eu la Covid, ce qui nous fait croire qu’elle l’aurait attraper aux urgences.

C’est l’histoire d’une famille unie

Covid, ma mère et moi :
C’est l’histoire d’une famille unie dernière la volonté de la personne hospitalisée. C’est la chance de ne pas avoir peur d’affronter la mort et d’en parler ouvertement alors que les sujets peuvent paraître difficiles : l’acharment thérapeutique et l’euthanasie.
C’est habiter dans un pays où le droit à la dignité existe.

Cette pandémie c’est l’opportunité de se rendre compte que nous ne sommes pas immortels, que la mort fait partie du processus de la vie. L’un n’existe pas sans l’autre mais, la mort est devenue invisible. Faire son deuil n’est plus une expression courante. Covid nous rappelle à l’ordre. Ouvrons le dialogue. C’est une preuve d’amour.

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