LUCILE PEYTAVIN : « LES VIOLENCES SPÉCIFIQUES ENVERS LES FEMMES ÂGÉES SONT UN POINT D’AVEUGLEMENT »

Lucile Peytavin
Lucile Peytavin © Lucie Gracies

Interview

Lucile Peytavin, historienne économique et sociale spécialiste du travail des femmes et autrice de l’essai « Le coût de la virilité, ce que la France économiserait si les hommes se comportaient comme les femmes » est aujourdhui en charge pour le cabinet Psytel en France du projet Européen de lutte contre les violences sexistes faites aux femmes âgées. Ultime tabou d’une société jeuniste. MARVOW 2.0 est le deuxième volet d’une initiative lancée il y a 3 ans.

Pourquoi le sujet des violences faites aux femmes âgées est rarement abordé ?

Le sujet cumulent plusieurs choses, la 1ère c’est l’opacité sur les conditions de vie des personnes âgées notamment lorsqu’elles vivent dans des établissements spécialisés et le fait qu’elles ne soient plus productives dans la société nous conduit à les considérer comme une charge et non comme des personnes à part entière. Dans l’imaginaire collectif, elles attendent la mort.

Ensuite on découvre l’ampleur des violences faites aux femmes à force de mouvements comme MeToo, mais cela prend du temps en raison du manque de reconnaissance des victimes. On est face à un problème où les femmes âgées vont cumuler ces deux aspects, à la fois elles sont âgées et cumulent des violences sexistes. Cette double invisibilisation explique que c’est un sujet qui n’avait jusqu’à présent pas été abordé en France et pas du tout travaillé.

Comment êtes vous arrivée sur ce projet ?

J’ai été entre autre co auteure du rapport sur le coût des violences sexuelles faites aux enfants pour la CIIVISE(Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants) publié en mai dernier. Mon cœur de métier est de travailler sur toutes les questions qui touchent aux violences faites au femmes à la fois sur les questions d’ingénierie de projet et de data. Il s’agit ici d’un travail de terrain, mon rôle est d’être sur la partie opérationnelle, car les grands objectifs sont de développer des réponses multi services en France, faire que la police, la justice, la santé, les services sociaux répondent mieux à toutes ces violences. 

Quel est la genèse du projet MARVOW 2.0 ?  

Il y a trois ans, l’Autriche a initié le premier volet de ce projet européen auquel ne participait pas la France. MARVOW (Multi-Agency Responses to Violence against Older Women) souhaite apporter une réponse multi services pour répondre à ces violences en mobilisant les secteurs qui concernent les femmes âgées. Les enjeux, les besoins ont été identifiés, le deuxième volet démarre.

Les maisons d’accueil des femmes victimes de violence à l’origine du projet en Autriche ont constaté que 40 à 50 % des femmes qu’elles recevaient, avaient environ 60 ans. et qu’il y avait de plus en plus de femmes âgées.

Les violences on en parle de plus en plus dans les EPHAD, mais c’est vrai que les violences spécifiques envers les femmes âgées sont un point d’aveuglement.

Comment ces spécificités contribuent à masquer ces violences ?

Nous allons prendre en compte les spécificités que cela recouvre. Car il y en a beaucoup à prendre en compte, le fait par exemple que les auteurs puissent être les partenaires, mais aussi les enfants ou les soignants, que les agresseurs quand il s’agit des partenaires puissent être eux-même âgés et avoir des problèmes neuro dégénératifs. D’où la difficulté d’identifier la part de responsabilité et de consentement.

En cas de perte d’autonomie, l’agresseur va pouvoir être la personne qui prend soin de la victime. Se pose également la question de loyauté des victimes envers leurs agresseurs, si ce sont leurs enfants par exemple, elles vont avoir du mal à les dénoncer.

Les femmes âgées vont cumuler à la fois des violences sexistes auxquelles peuvent s’ajouter des violences institutionnelles. Le manque de moyens dans les établissements peut conduire le personnel a être maltraitant ou négligent. Les femmes vont être amener à cumuler violences sexistes et violences institutionnelles. il faut donc adapter les outils de détection des violences qui existent. Et aussi mettre en place des outils pour gérer les cas. Que faire quand on est face a des femmes âgées victimes de violence parce que la réponse ne sera pas tout a fait la même que pour des femmes autonomes physiquement.

Comment allez vous travailler ?

Nous en sommes à la première phase, nous avons commencé en avril dernier et la première phase est de travailler avec les professionnels, avec les acteurs de terrain pour améliorer les outils existant de détection et de gestion des cas. Elle prendra fin dans un mois et demi puis nous passerons à la création de ces outils, que nous diffuserons par des formations dans un second temps, le projet va durer 36 mois.

C’est un projet qui vise les acteurs de terrain. J’ai eu une séance de travail avec le Syndicat des Femmes Chirurgiennes Dentistes déjà formées aux violences car les soins dentaires peuvent en être révélateurs. Elles ont un questionnaire systématique mais il n’est pas adapté aux femmes âgées.

Est ce que travailler sur ce sujet est compliqué dans la mesure où il n’y a pas d’études donc pas de données ? 

Il y a un manque de data sur la question. En France les enquêtes de victimisation s’arrêtent à 75 ans. L’espérance de vie des femmes en France à la naissance est de 85,2 ans, pour celles qui ont 60 ans on est autour de 27,5 années, ce qui nous portent à 87 ans. Sur tout un pan de la population des femmes âgées nous n’avons pas de données alors que l’on sait que les violences sexistes ne s’arrêtent pas une fois que les femmes ont au delà de 70 ans. Et la statistique dont on dispose est celle sur les féminicides. il faut savoir que les femmes qui ont plus de 70 ans font partie de la deuxième classe d’âge touchée par les féminicides (21%) après celles des 30/39 ans. (22%). (source INSEE).

Est ce que le cadre européen souligne l’échec des réponses mises en place au niveau des Etats ?

Pour la France on ne peut pas parler l’échec, rien n’avait été mis en place, ce projet a le mérite de mettre le sujet sur la table. Nous avons contacté les services du gouvernement en charge des questions d’égalité pour les tenir informé du projet et voir comment travaillé avec eux. Dans les pays comme l’Autriche, ils ont réussi à mobiliser les acteurs et identifier tous ces enjeux.

En France il y a le 3977, le numéro national qu’il faut appeler face à une personne vulnérable victime de violence mais il est très peu connu y compris des équipes professionnelles formées aux violences.

A quelle type de difficultés faites vous face dans la réalisation du projet ?

C’est d’avoir des outils utilisables par tous mais qui prennent en compte des réalités très différentes d’un cas à l’autre. Répondre à un problème systémique par des aspects qui peuvent eux être très particuliers finalement selon les cas.    

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