Les Journées du Matrimoine, qui se tiendront du 20 au 22 septembre à Paris et en Île-de-France, mettront à l’honneur des femmes qui ont marqué l’histoire de la culture. Ce soir à 18h, un événement marquant se déroulera au 31 Quai de la Loire avec l’inauguration d’un square dédié à Edith Girard, figure emblématique de l’architecture sociale à Paris. Pour en savoir plus sur son héritage, nous avons rencontré l’architecte italienne Rossella Gotti, qui nous éclaire sur l’impact de Girard et son rôle dans l’évolution de la profession.
En quoi le Matrimoine est une question importante pour les femmes architectes ?
On s’est rendu compte, en tant que professionnels de l’architecture, qu’il y avait un certain manque d’organisation entre femmes, notamment à niveau féministe, parce que, tout simplement, on a un ordre professionnel, qui est évidemment mixte, mais où la question de la féminisation du métier n’était jamais prise en compte. Et c’est vrai que c’est relativement récent, cette entrée un peu massive des femmes dans les domaines de l’architecture.
Il faut savoir quand même qu’il y a encore seulement les 30% des inscriptions à l’ordre qui sont faites par des femmes.
C’est très peu ! C’est sur ce constat qu’est née MÉMO, votre association ?
C’est surtout au niveau des revenus, des statistiques de l’ordre. Quand on démarre tout jeune architecte, on est plus ou moins mal payés comme tout le monde. Mais après, il y a nos confrères hommes qui arrivent à la cinquantaine à gagner bien leur vie. C’est un peu la figure stéréotypée de l’homme architecte qui est plutôt bien dans sa vie. Et nous, les femmes, on gagnent en moyenne les 57% de ce que gagnent en moyenne, nos confrères.
Ensuite, il y a toutes les femmes salariées qui subissent les mêmes différences discriminatoires que toutes les femmes salariées en France, c’est-à-dire 16 à 20% et moins des salaires que leurs homologues.
On s’est beaucoup questionnées pour savoir comment ça se fait-il que les femmes architectes ne soient pas reconnues au même titre que les hommes. Parce que si vous gagnez 57% de ce qu’un architecte gagne, cela veut dire que vous faites pratiquement un autre métier. Évidemment, on a fait les mêmes formations. Et on est en général un petit peu plus brillantes dans les écoles que nos collègues.
Et donc, on a décidé de s’unir dans ce collectif qui s’appelle MÉMO, Mouvement pour l’équité dans la maîtrise d’œuvres. Équité pour faire fi que ce ne soit pas seulement l’égalité, parce que la loi a déjà garanti l’égalité. On est déjà dans un pays où l’égalité est affichée.
Quelles actions avez-vous entrepris au sein de ce collectif ?
Quand on parle d’imaginaire, la figure de l’architecte est classiquement masculine, parce que c’est un métier qui a été réservé aux hommes pendant longtemps. Donc, on fait pris très à cœur la question de la transmission des figures des femmes architectes du passé qui sont arrivées en tant que pionnières dans ces métiers et qui ont beaucoup, beaucoup œuvré pour être présentes, tout simplement pour exister dans ces domaines.
C’est le cas d’Edith Girard ?
Certaines comme Edith Girard ont connu des résultats magnifiques dans leur réalisation. Malheureusement, elle est morte assez jeune. Elle avait 65 ans et elle n’a pas pu développer tout ce qu’elle aurait pu faire. Il faut dire aussi que les carrières des femmes architectes sont un peu plus tardives que celles des hommes, parce qu’elles sont un peu plus difficiles. Pas seulement pour des questions de maternité.
Même la grande Zahra Hadid, qui est l’archi star féminine de notre époque, avait déjà 49 ans quand elle a réalisé son premier ouvrage. C’est une femme d’origine irakienne qui a fait ses études au Liban et qui, après, a fait toute sa carrière à Londres. Elle est rentrée dans le système masculin, mais c’est une figure qui démontre la possibilité qui s’ouvre aux femmes, qu’il n’y a pas de problèmes, des différences mentales, des différences physiques qui nous empêchent de pratiquer à haut niveau la profession.
Vous résumez cette question par une expression, « plafond de béton » ?
Oui, effectivement, quand on parle de plafond de béton, c’est aussi un peu cette question. Je suis convaincue qu’à la base, quand on fait des études d’architecture, en tant que femmes, on se projette plutôt dans une profession de très bonne collaboratrice d’architecte, Tandis que nos collègues hommes s’imaginent déjà depuis les premières années d’études à être leur chef d’agence.
Les plafonds de béton est quand même à la base sociétal. C’est un problème de patriarcat diffus dans la société. Ce n’est pas spécialement une question d’architecture. Mais c’est vrai que l’élément du BTP, il est assez masculin.
Et vous dites que la question de la maternité est loin d’expliquer cette absence de rôle modèle ?
C’est très classique de dire oui, les femmes ont des enfants donc elles perdent des années pour élever leurs enfants. L’Ordre des architectes de Londres a fait des études il y a 10 ans déjà sur cette question pour analyser quel était vraiment l’impact de la maternité dans les carrières des femmes architectes. Les femmes se débrouillent très bien, même avec des enfants. Mais la vraie problématique, c’est d’avoir à côté quelqu’un qui est un soutien ou pas. C’est très intéressant parce que les stéréotypes veulent un peu que la femme ait des enfants et donc sa carrière est mise un peu de côté.
Quels freins rencontrent les femmes architectes ?
Les investissements pour la construction d’un nouvel hôpital, qu’il soit public ou privé, c’est très souvent entre les mains de dirigeants hommes et qui font plus facilement confiance à des hommes pour attribuer de gros montants, pour gérer des millions d’euros. C’est un peu aussi la question de réseau. Beaucoup des connaissances entre maîtres d’ouvrage et maîtres d’œuvre se font sur les terrains de golf, des clubs un peu plus masculins, disons, que féminins.
Il y a un système de concours sur des gros projets. Est-ce que c’est un deuxième barrage pour les femmes ?
Non, je pense que ce système est très bien. Ça pourrait vraiment être un outil d’équité. Mais très souvent, la candidature se fait sur références. Il est évident que plus tu as produit, plus tu as de chances d’être sélectionnée. Et comme je le disais, plus les femmes tardent à rentrer dans la commande privée, moins elles auront de chances d’être sélectionnées parce qu’elles n’ont pas les références.
La création demande aussi d’aller s’inspirer ailleurs ?
Et puis, il y a aussi toute la question un peu artistique, qui doit vraiment nous donner un monde qui demande beaucoup d’efforts, d’impulsion créatrice. Il faut se ressourcer beaucoup. C’est là où je trouve que 43 % d’écart de revenus jouent beaucoup. Dans notre métier, c’est s’offrir un voyage pour aller voir les derniers bâtiments construits à Helsinki ou s’acheter les beaux catalogues de tel ou tel architecte, s’abonner à tous les magazines… Toute l’information qui circule dans notre domaine n’est pas gratuite.
Est-ce que justement, Edith Girard, avait une approche novatrice qui l’a sortie de l’anonymat ?
Edith Girard a eu la chance de grandir et de faire ses premiers pas dans l’école d’Henri Chiriani, qui était un peu son mentor. Il l’a beaucoup aidé à développer ses idées socialement innovantes. Elle s’est concentrée beaucoup sur les questions de logements sociaux, comment rendre les logements plus confortables, plus spacieux, lumineux.
On voit très bien cette passion pour l’humain, pour ceux qui y vivent. Les usagers de ces bâtiments peuvent vraiment profiter d’une étude faite pour rendre leur vie plus confortable et plus plaisante. C’est une notion de plaisir qui entre dans l’architecture. Nous, on est très porteuses de ça. On parle beaucoup des désirs d’être femme architecte. On veut porter cette notion personnelle, passionnelle de faire ces métiers qui demandent beaucoup de passion. Sinon, on ne tient pas.
Est-ce qu’aujourd’hui il y a une réflexion sur les usages de la manière dont les habitants occupent leur logement ?
Malheureusement, on a eu cette posture qui était prise beaucoup plus en compte dans les années 80-90. Par exemple, les bâtiments qui étaient l’objet de la présentation d’Édith Girard sur les canaux de l’Ourcq. C’était dans une période où ces thématiques étaient vraiment au cœur. Maintenant, il y a beaucoup plus de conception, réalisation. Les offres passent par l’entreprise, qui se présentent déjà avec un architecte ou un bâtiment à construire.
Oui, elle a eu la chance d’arriver, disons, sur la scène architecturale au moment où on construisait beaucoup, à Paris aussi, avec une intention justement sociale très élevée. Donc elle est arrivée au bon moment. Elle a pu vraiment déployer sur les terrains ses idées, ses idéaux.
Après, en tant qu’enseignante aussi à l’école de Belleville, elle a laissé une trace très, très forte parmi ses élèves et ses étudiantes. Ce n’est pas par hasard que nous, moi et mes consœurs, on l’a vraiment connue lors d’une exposition que l’école lui a consacrée.
Mais est-ce qu’il y a un besoin de rôle modèle de femme architecte pour un peu bousculer ça, puis peut-être aussi donner d’autres références aux étudiant.es qui rentrent dans des écoles d’architecture ?
Pendant les études d’architecture, ma génération, (j’ai 52 ans), nous avons étudié les modèles faits par des hommes architectes. C’est un travail très important aussi qu’il faut faire à un niveau des écoles d’architecture, de garder vivant les expériences des femmes architectes qui ont été enseignantes et aussi qui ont fait des projets, comme c’est son cas.
C’est aussi un problème de notre matrimoine des femmes architectes. Elles sont parfois connues mais pas du tout étudiées. C’est aussi un problème des transmissions de savoir, les femmes architectes ont tendance à écrire beaucoup moins qu’elles leurs confrères. Les hommes, dès qu’ils font un beau bâtiment, publication, brochure, je ne sais pas, tout bien édité, cinq pages des théories d’architecture derrière.
A la mort d’Edith Girard son agence existait encore et sa famille a pu récupérer ses dessins. On peut l’étudier en direct. C’était très intéressant. La famille d’Edith Girard nous a permis aussi facilement de pouvoir l’étudier. Ce n’est pas le cas de tout le monde. Il y a très souvent des archives qui sont complètement perdues et qu’on ne peut pas retrouver.