« LA CRISE VA ACCÉLÉRER LES DESTRUCTIONS D’EMPLOIS MAJORITAIRMENT OCCUPÉS PAR LES FEMMES »

plan de relance féministe
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Margaux Collet co autrice du rapport de la Fondation des Femmes sur l’impact économique du Covid sur la situation des femmes, publié au mois de mars, décrypte les enjeux d’égalité femme homme qui s’attachent à une véritable politique de relance féministe.

Comment ce rapport peut impacter les politiques publiques ? 

J’ai l’impression que la prise en compte de cette question est récente. Aussi bien les associations féministes que les médias avaient traité ce sujet des inégalités économiques. Pendant le confinement, il y a eu beaucoup d’articles qui montrent une prise de conscience du problème, notamment sur les taches ménagères au bout de quelques semaines de confinement. Mais sur les conséquences économiques, j’ai l’impression qu’il y a eu assez peu de répercussions. Pendant le mois de mars et début avril il y a eu le rapport du Conseil Economique Social et Environnemental, le rapport du forum économique mondial, une communication d’ONU femme et le rapport de la Fondation des Femmes. Il y en a eu beaucoup de manière simultanée et non coordonnée, mais un an après le premier confinement.

Quelles réactions a suscité ce rapport de la Fondation des Femmes ?

Cette prise de conscience est nouvelle et l’apport de la Fondation des Femmes porte sur la question en France du plan de relance. Et ça, à ma connaissance personne ne pointe ce manque total de prise en compte de la question d’une perspective genrée dans le plan de soutien et dans les plans de relance. Le premier apport, c’est que le Ministère de l’économie a été interpellé par Le Parisien sur cette question. Donc je pense qu’il n’avait même pas pris conscience de cet aveuglement sur les questions économiques en terme d’impact sur les femmes.

Pourquoi il y a une telle résistance dans la mise en place de budget genré ?

Je ne pense pas que ce soit si compliqué que ça à mettre en œuvre. Mais encore faut-il comprendre l’intérêt, et il faut déjà qu’il y ait un portage politique sur ces sujets là avant même de parler de budget genrés. C’est-à-dire avoir une véritable politique d’égalité à la fois spécifique en terme d’accompagnement des associations de terrain qui luttent contre les violences. Mais aussi une approche transversale dans toutes les politiques. Et il y a très peu de collectivités qui mettent ça en place, gouvernement inclu. Ce sont d’ailleurs les collectivités qui ont été le plus loin dans l’approche transversale dans les politiques qui s’intéressent à la question du budget.

Qu’est-ce qu’il faudrait pour généraliser cette approche transversale ?

On manque de personnels formés sur ces sujets là, des personnes qui aient une lecture genré d’un budget, ça veut dire très informées sur les questions de genre, sur les questions d’égalité. Et en plus savoir lire un budget. Ce sont des connaissances transversales de profils rares. Et on a un manque de cette expertise. Il faut que ce soit des député.es qui aient des collaboratrices qui bossent les sujets et qui savent lire un projet de loi finance, ce qui n’est pas donné à tout le monde !

On a l’impression que la crise n’a rien fait avancer puisque majoritairement les métiers exercés par les femmes n’ont pas été revalorisés. Comment on peut changer ce regard du travail productif dévolu aux hommes et non productif aux femmes ?

D’une certaine manière cela a un peu changé auprès de la population, dans la définition de qu’est-ce qu’une profession utile ? Il y a quand même une visibilité ce qu’est l’utilité sociale de certains métiers avec certains métiers qui pouvaient s’arrêter complètement du jour au lendemain sans que cela change fondamentalement la face du monde. Avec le soutien des associations féministes et des médias on a montré que la première ligne était composée de femmes. Alors que le président et le premier ministre ont tenu à plusieurs reprises des discours au masculin. Mais d’un point de revalorisation en terme de salaire pour ces femmes qui sont souvent dans les situations précaires avec des métiers difficiles, leurs compétences ne sont pas encore valorisées.

C’est pour cela que dans le rapport et avec le CESE nous insistons pour que l’on porte le sujet de la revalorisation sur le long terme, que des négociations sur les classifications des métiers qui déterminent le salaire moyen soit remises à plat. Dans la fonction publique, cela pourrait aller de manière assez rapide notamment dans la fonction publique hospitalière. Et dans le secteur privé, il faudrait envisager des négociations par branche pour les classification des métiers majoritairement exercés par les femmes.

Dans le rapport vous parlez du financement de la reconversion des femmes. Est-ce que ce sujet serait l’une des clés pour aboutir à plus d’égalité ?

Le marché de l’emploi va être fondamentalement revu avec des destructions d’emplois accélérées par la crise. Il ne faut pas se leurrer quand on parle de l’automatisation des caisses, on assiste à un mouvement qui était largement entamé avant la crise, avec des objectifs chiffrés dans les grands groupes. Il va y avoir des métiers qui vont disparaître, ce soit dans l’hôtellerie, la restauration ou la grande distribution. Des magasins qui ne vont plus fonctionner qu’en « clic and collect » ou en « e shop ».

Ces métiers sont majoritairement exercés par des femmes ?

Ce sont des métiers qui vont toucher les femmes en priorité, les jeunes femme qui vont avoir du mal à rentrer sur le marché du travail et les femmes plus âgées qui sont à une barrière d’age en terme de contrat. La crise aujourd’hui va accélérer accentuer des destructions d’emplois majoritairement dans des secteurs occupés par les femmes. le plan d’investissement de cents milliards porte sur l’économie verte, le numérique. Et ce sont des secteurs qui vont créer des emplois. Mais si on ne fait rien, et si c’est pensé en l’état, on va aggraver les inégalités entre les femmes et les hommes. Puisque ces secteurs ne sont quasiment pas mixte avec 80 à 85 % d’hommes. On demande à ce que les investissement se portent sur des programmes qui bénéficient aux femmes et en priorité à celles qui vont perdre leur emploi.

Quelle est le périmètre de votre mission pour influer sur les politiques publiques ?

La Fondation des Femmes n’est pas là pour accompagner le gouvernement mais faire du plaidoyer. Interpeller, faire prendre conscience de marges d’amélioration et formuler des recommandations est dans notre mission. L’idée est plutôt de faire du travail de plaidoyer auprès de la population, de médias et de décideurs politiques. Nous sommes là pour montrer qu’il y a un problème et que les pouvoirs publics passent complètement à côté des enjeux d’égalité femmes hommes.

Est-ce que vous pensez qu’il est temps de mesurer différemment la production économique d’un État en intégrant d’autres indicateurs comme ce que fait Jacinda Ardern en Nouvelle-Zélande qui demande aux banques de mesurer l’impact de leurs investissements sur le climat ?

C’est une question qui dépasse la question de l’égalité femmes hommes mais le calcul du PIB Passe complètement à côté de tout le travail produit en majorité par les femmes en terme d’entretien domestique, d’éducation des enfants. Sans ce travail, il n’y aurait aucune croissance économique productive possible. C’est un sujet qui tient particulièrement à cœur de Céline Picques, la porte-parole de « osez le féminisme » qui est très intéressée par la manière d’intégrer le travail domestique et familiale effectué par les femmes dans le PIB.

On mentionne dans notre rapport le calcul de la valeur inspiré par des associations de mères allemandes. Une initiative prise à l’issue du premier confinement. L’idée était d’estimer la valeur des heures supplémentaires passées à s’occuper de tâches qui avant le confinement étaient collectivement organiser par l’État. C’est un premier pas intéressant sur cette question du PIB.

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