« KIN JIYOUNG, NÉE EN 1982 » : LE PREMIER ROMAN CORÉEN FÉMINISTE

capture Twitter

« Kin Jiyoung, née en 1982 », le roman phénomène vendu à plus d’un million d’exemplaires en Corée et qui prend d’assaut le monde, vient d’être traduit en français. Qui est Cho Nam-Joo son autrice qui transgresse les tabous sur les femmes et divise le pays ?

En 2016, un fait divers sordide fait la une des journaux en Corée. Un homme a poignardé à mort une femme dans la rue. C’est l’affaire de « la station de métro Gangnam ». L’homme témoignera « ne plus pouvoir supporter être ignorer par les femmes et en être arriver à commettre ce crime par vengeance ». Les femmes descendront dans la rue pour témoigner leur soutien à la victime en brandissant des pancartes « #Metoo ». La loi du silence se fissure peu à peu.

C’est dans ce contexte que quelques mois plus tard sort « Kim Jiyoung, née en 1982″. Kim Jiyoung est le nom le plus communément donné à une fille cette année là. La romancière désirant s’adresser à toutes les femmes. Cho Nam-Joo est scénariste de séries télévisées, elle écrit en deux mois ce livre qui raconte en grande partie sa vie de femme en Corée. Elle a le même âge que son héroïne.

« Femme parasite »

Kim Jiyoung est mère au foyer, elle a trente-quatre ans, a abandonné son travail juste avant d’accoucher. Depuis un an, elle vit entre les murs de son appartement, dévouant son temps à préparer les repas de sa fille, de son mari qui rentre tard du travail. Aucune tâche ménagère ne lui est épargnée. Le jour où elle décide de s’offrir un moment de tranquillité à la terrasse d’un café avec sa fille endormie dans sa poussette, les jeunes employés de son âge attablés à coté la traiteront de « femme-parasite ». Ces femmes qui ne travaillent plus pour élever leurs enfants et qui se permettent de venir dans des cafés réservés aux jeunes gens dynamiques. Car oui, de tels cafés existent en Corée avec la mention « enfants interdits ».

Le stress est tel pour cette jeune mère qu’elle développe peu à peu une dissociation de la personnalité. Son mari se sent impuissant face à cette découverte.

Une discrimination dès l’enfance

Cho Nam-Joo, nous emporte dans l’histoire de cette jeune femme depuis son enfance jusqu’en 2016. La discrimination s’inscrit partout dans cette vie, depuis la maison où le fils cadet a tous les droits et ses sœurs aînées passent toujours après lui et ne mangent que ses restes. A l’école les élèves sont numérotés les garçons d’abord les filles ensuite. L’establishment favorisera toujours un garçon aux notes inférieurs car une fille est moins « rentable ». Kim Jiyoung sortira diplômée d’une des meilleures universités de Séoul, travaillera dans une société d’événementiel et se mariera. Aux jeunes filles nées en 1982 la société promet que plus rien ne leur est inaccessible.

Le plus faible taux de natalité

La Corée du Sud est une démocratie récente. En 1987, Le président est pour la première fois élu au suffrage universel. Le pays a dépénalisé l’avortement en 1972 pour raisons médicales uniquement au nombre desquelles être enceinte d’une fille. Dans ce cas, la pression sociale est très forte pour les mères. Le ratio naturel des naissances par genre est de 100 filles pour 103 garçons, en Corée ce ratio passe à 116,5 garçons. C’est le pays avec le plus faible taux de natalité. L’une des premières mesures prise par le gouvernement démocratique sera de sensibiliser la population à l’égalité des genres en votant une loi en ce sens dans les années quatre-vingt dix. Une loi sur le congé de maternité et paternité sera aussi votée permettant aux mères de s’absenter pendant un an.

Pour les femmes salariées, le taux d’utilisation des congés maternité était de 20% en 2003. Un taux qui n’a franchi la barre des 50% qu’en 2009. Encore aujourd’hui quatre femmes sur dix travaillent sans congé de maternité. Bien entendu, et avant tout, les statistiques ignorent les cas les plus fréquents, à savoir les femmes qui quittent leur emploi après le mariage, une grossesse ou une naissance.

Parmi les femmes, on comptait 10,22% de cadres en 2006, un chiffre qui a cru lentement pour atteindre les 18,37% en 2014. Cela dit, encore aujourd’hui moins d’un cinquième des cadres sont des femmes.

Extrait Kin Jiyoung, née en 1982

Jusqu’à 63% de discrimination salariale

Kim Jiyoung travaille jusqu’à minuit, et souvent la moitié du week-end. Un rythme habituel en Corée. Elle apprendra très vite que ses collègues masculins, pour un poste équivalent gagne nettement mieux leur vie qu’elle.

« La Corée du Sud est les pays ou l’écart des salaires hommes / femmes est les plus important de l’OCDE. Selon les chiffres de 2014 l’écart peut aller jusqu’à 63% ». The Economist signalait en 2016 que la Corée occupait le dernier rang dans les indices du plafond de verre empêchant les femmes d’accéder aux fonctions supérieures ». Pourtant la Corée du Sud est un des pays les plus riches. Et se classe quatrième puissance économique d’Asie. Il a voté des lois en faveurs de l’égalité des genres, une protection pour le congé de maternité alors quel est le problème?

Ne pas travailler pour ne pas nuire à la crédibilité de son mari …

Cho Nam-Joo, nous parle de la puissance de la pression sociale séculaire. Des normes imposées implicitement. Kin Jiyoung, son héroïne n’a pas le choix, la démission est la seule option car il n’y a pas d’encadrement disponible pour les parents qui travaillent hors des garderies. Une nounou à domicile est hors de prix pour la plupart des familles. Les femmes ne peuvent pas poursuivre leur carrière. Avec l’idée qu’une femme qui travaille après le mariage nuit à la crédibilité de son mari. Il serait incapable de prendre en charge sa famille.

Le système patriarcal fut finalement aboli. En février 2002, la Cour constitutionnelle déclara que le patriarcat enfreignait la principe d’égalité des sexes et était par là même anticonstitutionnel (…) En conséquence, les enfants n’étaient plus obligés de prendre le nom du père(…) Théoriquement. Sauf qu’en 2008, l’année ou prit fin l’ancien système, on n’enregistra que 65 cas et que par la suite on ne dépassa pas guère les 200 chaque année.

Extrait Kin Jiyoung, née en 1982

On suit l’héroïne pas à pas dans son quotidien où les petites discriminations s’accumulent. Certaines femmes essayent de se faire entendre mais à quel prix ! Le changement passe par l’exemplarité mais comment faire pour celles qui veulent concilier vie de famille, carrière et respect. Car vie professionnelle veut aussi dire courber l’échine devant les discriminations salariales et verbales. En Corée, beaucoup d’hommes se sentent également discriminés après deux années de service militaire obligatoire. Leur ressentiment est fort. La Corée est un des pays les plus militarisés face aux tensions avec son voisin la Corée du Nord.

La transgression d’un tabou culturel

La publication du livre a déclenché de vives polémiques, amplifiées par la sortie du film à l’automne 2019. Certains journaux locaux ont même titré que des couples se séparaient en cas de désaccord pour aller voir le film.
C’est vrai qu’il y est aussi décrit avec force détails ce que sont les règles et la souffrance qu’elles peuvent entraîner, sans parler de la scène de l’accouchement. La trangression d’un tabou, la sociète coréenne n’abordant pas ouvertement ces sujets de l’intime féminin.

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Depuis quelques années apparaissent des séries télévisées qui, comme ce livre et son film, tentent de désacraliser le rôle des femmes, sans pour autant s’éloigner trop d’une culture qui crée l’unité du pays. L’actrice Jung Yu-mi qui joue le rôle titre a reçu de nombreux messages de haine sur les réseaux sociaux. Son partenaire masculin a été épargné par les critiques.

J’ai lu ce livre en une après-midi, ne pouvant le lâcher tant l’effet miroir était important. Sa construction m’a plus impactée que King Kong Theory de Virginie Despentes. Kim Jiyoung tout en étant d’une culture très différente de la nôtre, à un profil commun auquel il facile de s’identifier, alors que Despentes est plus atypique. Mais le fond est similaire : la place des femmes dans cette société contemporaine.

Kin Jiyoung, née en 1982 – Cho Nom-Joo, NIL 206 pages

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