LES CODES DE LA BEAUTÉ ASIATIQUE : NORMES CULTURELLES OU DIKTAT ?

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Une émission de la télévision japonaise a récemment mis en avant les codes imposées aux femmes nippones dans certains secteurs d’activité. Interdiction du port de lunette, obligation de porter des talons , maquillage soigné … Ces injonctions ont fait le buzz. Nous avons demandé à Florence Bernardin, spécialiste des marchés cosmétiques asiatiques de décrypter ces codes qui nous échappent.

Florence Bernardin gère l’agence Franco-Asiatique, « Information et Inspiration », une entreprise d’études et de veille marketing dédiée au marché cosmétique asiatique. Depuis une vingtaine d’années, elle en décrypte les tendances et les évolutions.

Vous pouvez nous rappeler les injonctions vestimentaires dénoncées dans cette émission ?

Cette émission a mis en exergue des étiquettes mises en place dans certaines professions. On demande à une consultante beauté de ne pas avoir de lunettes parce qu’on ne voit pas son maquillage, de même aux femmes qui travaillent dans les banques parce que ce n’est pas « friendly » pour le client, que ca ne va pas avec le port du kimono pour les serveuses dans les restaurants traditionnels et enfin pour des raisons esthétiques en ce qui concerne les hotesses des compagnies asiatiques. Sur Korean Airlines, elles représentent les plus belles femmes du pays. Mais ces injonctions de beauté asiatique ne sont pas propres à toutes les femmes. Le reportage a pris un angle très extrême. Les diktats de la beauté asiatique, c’est une épine qui fait réagir, mais ce n’est pas pour autant qu’il y a un rosier !

Que représente la beauté au Japon ?

Il y a une notion d’étiquette et d’image que vous donnez à l’extérieur versus ce que vous êtes chez vous. En Asie on ne se reçoit pas chez soi, parce qu’on rentre dans l’intimité des gens. Quand je fais des visites chez des consommatrices, les femmes sont chez elles en pyjama. La première chose qu’une japonaise fait en rentrant chez elle, c’est de se démaquiller. A l’extérieur il y a une forme d’obligation sociale à se maquiller et présenter une image propre, ça veut dire pure et sans tache.

La propreté est un respect vis a vis des autres, et cette propreté va passer par des codes qui pour nous semblent archaiques mais qui vont passer par un teint parfait, donc sans tache.

Ces codes sont très présents au sein des entreprises ?

Il y a des codes très forts en entreprise, notamment des règles de maquillage que vous devez suivre. Les entrées dans l’entreprise se font à partir du mois d’avril parce que l’année scolaire démarre en mars et que l’on passe les diplomes à cette date. Au mois d’avril, il y a énormément de presse féminine qui parle de toutes les règles de bienséance qui doivent s’appliquer pour respecter les codes du monde du travail et de la beauté asiatique.

Quelles règles s’appliquent ?

Les femmes abandonnent les nacres mais pas le fond de teint. On ne doit pas gêner l’autre, donc ça passe par un parfum pas trop entêtant. La sphère personnelle de la personne qui est a côté de vous ne doit pas être perturbée. Par ailleurs, beaucoup d’entreprises japonaises impose le port de l’uniforme.

Les codes de la beauté asiatique sont très marqués en Corée ?

La Corée est le pays de la chirurgie esthétique depuis deux générations. On la pratique dans un but de réussite professionnelle, en répondant à certains critères : les yeux bien ouverts, le nez pointu, le menton affiné. Comme nous ne sommes pas dans des cultures judéo chrétiennes, il est permis de dire je suis la plus belle, avoir de l’assurance et de la confiance en soi pour réussir les entretiens d’embauche et avoir un meilleur job. Et en étant la plus belle, la femme rend honneur à ses parents qui se sont sacrifiés pour son éducation en s’élevant dans la société.

D’ou vient cette normalisation de la chirurgie esthétique ?

J’ai fait des recherches pour essayer de comprendre pourquoi il y a cette appétence pour la chirurgie. Et d’après le confucianisme en Chine, des formes de sciences divinatoires prédisaient votre avenir selon les traits de votre visage et votre morphologie. Ca existe encore. On pense changer  son destin en changeant les traits de son visage. Il est très courant de changer la forme de ses sourcils pour se garantir un meilleur avenir !

Ces normes sont culturellement intégrées sans être une dictature si l’on considère que la chirurgie n’est pas une dictature.

Cette chirurgie produit une standardisation des physiques ?

Ce sont des sociétés fondées sur des cultures de groupe et non identitaires. Il ne faut pas faire de vagues.

Alors comment expliquer le buzz sur les réseaux sociaux avec le #corsetfree par exemple ?

Le mouvement coréen #corsetfree a été compris comme une libération du carcan du maquillage. Mais ce n’était pas ça l’origine de Corset free. En Corée et en Chine pays où l’homosexualité est toujours un tabou. Il s’agissait d’un mouvement de femmes avec des physiques très masculins qui ne voulaient plus être obligées de répondre aux normes physiques de la parfaite femme coréenne. Cha Ji-won, l’initiatrice du mouvement a retiré son maquillage, sur les réseaux sociaux. Elle a inspiré des femmes qui ne se reconnaissaient pas derrière une pseudo féminité. La presse internationale a globalisé le message en disant toutes les coréennes souhaitaient se libérer.

Concrètement qu’est ce que représente au quotidien de suivre ces rituels de beauté ?

Les japonaises ont toujours utilisé 8 produits dans leur routine de soin, les coréennes en utilisent 12 à 14. Ce « layering » où l’on superpose des couches de produits cosmétique prend beaucoup de temps ! La jeune chinoise est très influencée par cette envie de perfection de la peau. de manière générale, les asiatiques ont fait de la maxime d’Héléna Rubinstein leur mantra : « il n’y a pas de femmes laides, il n’y a que de femmes paresseuses ».

Cette relation à leur physique est très narcissique ?

Au Japon, il y a partout dans les bureaux, les gares, les grands magasins des « powder room », annexe des toilettes où les femmes peuvent se remaquiller. Avant et après le déjeuner, avant de sortir du bureau, les femmes n’ont pas de tabou à afficher ces rituels de beauté. Notre relation à notre physique est complétement différente. Il existe une application coréenne qui sur la base d’un selfie de votre visage et d’après vos critères morphologiques vous met en lien avec des vlogeuses qui possèdent les mêmes critères physiologiques. De cette façon vous comprenez comment vous maquiller et pratiquer des soins identiques. Ce qui montre bien qu’on est dans une culture d’association et non de différenciation.

Vous constatez des différences dans la conception de la beauté asiatique selon les pays ?

Sur le marché chinois la vente de produits ne se fait que grâce aux conseils des influenceuses. Elles font et défont le succès des marques. Ces « beauty advisors » n’ont aucune éducation beauté, c’est la première génération à utiliser des produits cosmétiques. Le Japon possède le plus gros réseau social d’échanges de beauté avec un site qui regroupe 14 millions de femmes qui communiquent, échangent et notent les produits. Il n’y a pas de filtre, y compris de la concurrence. La consommatrice achètera le produit qui fait le buzz. 

Ces codes de beauté sont-ils suivis aussi par les femmes plus âgées ?

Les femmes plus âgées lâchent prise d’une certaine manière dans le fait de simplifier leur routine de beauté. Mais elles ne lâchent pas prise sur le paraitre. Elles sortent maquillées, habillées, c’est un peu la génération de ma grand mère qui sortait avec un chapeau ! Les maquillages se sont adaptés, les codes couleurs sont en train d’évoluer. Pendant longtemps les femmes mariées devaient abandonner les couleurs vives, mais ça aussi c’est en pleine révolution.

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