Selon l’étude commandée par la Jewish Claim Conference, un français sur six n’a jamais entendu parler de la Shoah. A l’occasion des cérémonies du 75e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau, nous avons voulu savoir comment l’histoire de la Shoah est transmise dans les familles juives. comment raconter l’inhumanité aux jeunes générations. Témoignages.
Sophie, 51 ans mère de Joseph 13 ans
C’est une priorité et on en parle énormément. J’étais soucieuse de cette transmission avant même d’être mère. Comment raconter cette histoire et le parcours de ma famille. Du côté de ma mère et de mon père, il ne reste plus personne. On est une famille minuscule. Quand Joseph avait 6 ans, il est arrivé en me montrant un dessin. Il me dit : « maman regarde ce logo je le trouve formidable ! ». Il avait dessiné une croix gammée sans avoir évidemment aucune idée de ce que ça pouvait être. J’étais assommée et je me suis dit comment je vais faire pour lui dire ce que c’est.
Le lendemain je lui ai dit il faut que tu saches que quelqu’un s’en est servi. C’était Hitler et voilà ce qu’il a fait. Je lui ai le plus simplement possible. « II a commis des horreurs et il a exterminé des juifs dont notre famille ». Je ne voulais pas le traumatiser, je me demandais quels mots employés. Et petit a petit j’ai trouvé des livres et il a posé des questions.
Des attentats aux livres d’histoire
Je lui ai surtout parlé de discrimination. A l’époque, on était dans le contexte de Mohammed Merah (tuerie de Toulouse et de Montauban) et des attentats. Nous vivons en plein coeur du 11 ème. Au moment des caricatures et de Charlie Hebdo on avait parlé de l’importance d’être libre et de pouvoir s’exprimer. Petit à petit on en est arrivé à la Shoah. Je lui ai expliqué d’où venait sa famille, assassinée et déportée parce que juif. Je lui ai dit que c’était une période folle mais que ça pouvait toujours être d’actualité et qu’il fallait rester vigilant. Nous avons visité le mémorial de la Shoah, nous avons lu beaucoup de livres d’histoire. Et puis il y a ma tante Ginette, 91 ans. C’est la soeur de papa, l’unique survivante de la famille.
Ginette seule est revenue
Ma grand mère maternelle a été cachée dans le maquis, elle est revenue avec mon père. Mon grand père est parti par le premier convoi il n’est jamais revenu. Mais Ginette oui. Elle s’est fait raflée sur la route. Une femme l’a reconnue et dénoncée. Elle a eu le même parcours que Simone Veil. Elles avaient 9 numéros de matricule d’écart. Elles sont parties aux Baumettes, puis au camp de Drancy et enfin à Auschwitz.
Un fonds américain qui suit les survivants à invité Ginette à Auschwitz. Et Ethan (18 ans), l’un de ses cousins de Joseph l’a accompagné. Elle m’a confié : » Je n’ai pas plus belle revanche que de repartir là bas avec mon arrière petit fils ! » Ma tante pleure facilement, mais elle est dans la vie, hyperactive. Ginette ne s’arrête jamais. Entre survivants, ils parlaient beaucoup. Dans les camps, elle a rencontré Yvette. Elles ne se sont jamais quittées. Elles ne se lâchaient jamais. elles sont devenues soeurs d’âme.
Le besoin d’apprendre
Joseph a besoin d’apprendre, il veut aller à Auswitch. Il est révolté et pense que ça ne s’arrêtera jamais. Il a compris qu’il fallait se taire. Un jour dans la rue j’ai évoqué le sujet et il m’a dit on en parlera à la maison. Il est hyper sensible à la cause des réfugiés, tout ce qui est lié à la migration. Nous ne sommes pas dans un judaisme de protection. Pour Joseph, c’est surtout une culture avant une religion.
Katia, 45 ans, mère de David, 10 ans
J’ai une double casquette, je suis d’origine arménienne et j’ai fait un mariage juif, baignant dans la culture juive, l’angle sous lequel j’ai abordé cette question a été vraiment l’histoire du peuple juif et arménien.David est jeune, je voulais pas le traumatiser. On a commencé à lui en parler tout doucement. Plus globalement, c’est un problème d’éducation, mes parents sont chrétiens catholiques mais je savais toute petite ce qu’était la Shoah. Maman avait peut être une sensibilité plus accrue car arménienne et sa meilleure amie juive portait l’étoile à l’école. Ca me semble naturel de parler de la Shoah. C’est comme si on me disait tu connais Louis XIV ? C’est pareil. Et il ne s’agit pas d’une question de religion. Les résultats de l’étude m’ont choquée.
La transmission d’une culture
On l’a abordé ensuite par rapport à la famille de mon mari qui a été déportée, mais on ne rentre pas dans les détails, on ne lui montre pas les images. Nous n’avons jamais parlé de chambres à gaz. David sait qu’ils ont été tués, qu’il y avait des camps de travail. Car Je pense qu’avant 13/14 ans, il n’a pas besoin de connaitre tous les détails, mais ce qui s’est passé car on baigne dans l’antisémitisme. Il ne ressent pas cette insécurité, pour lui c’est plus une question de culture que de religion.
Les livres recommandés par Sophie :
- Mon ami Frédéric – Hans Peter Richter, 1961
- Le journal d’Anne Franck, 1959
- Inconnu à cette adresse, Kressmann Taylor, 1938
- L’ami retrouvé, Fred Uhlman, 1978