Fondatrice de KIDS, magazine de mode enfantine dont elle décline aussi l’univers déco, Karina Vigier a fait de son média le plus important producteur de série mode français. Une aventure démarrée sur un coin de table avec pour adn une vision ouverte de la mode. A 52 ans, elle a choisi de mettre en scène son (immense) vestiaire sur Tik Tok, le réseau vidéo des moins de 25 ans. Chacun de ses lives réunit plus de 20 000 followers. Pendant le confinement elle a créé son blog depuis Copenhague, son nouveau lieu de résidence et première étape géographique de son nouveau plan de vie. Rencontre inconoclaste.
Pourquoi lancez vous un blog après avoir créé autant de magazines ?
J’en avais marre de m’acheter des parfums et des fringues et je me suis dit je vais faire quelque chose de différent pour mes 50 ans. La pandémie est arrivée et le temps a été long. Je me suis ennuyée et je me suis mise à écrire. Je n’avais jamais pensé me mettre en avant. C’est venu naturellement. Et comme j’étais avec une de mes filles qui est sur Tik Tok tout le temps, je m’y suis mise.
Qu’est ce qui vous a séduit sur ce réseau ?
La créativité. J’ai trouvé ca drôle, le format des courtes vidéos était facile à gérer et ludique. On peut facilement passer un message sans filtre. Contrairement à ce que je pouvais imaginer je n’ai pas été critiquée parce que je suis vieille et que je n’étais pas ma place sur ce réseau. J’ai reçu énormément de bienveillance, beaucoup de jeunes s’intéressent à moi et me posent des questions. Ils sont inquiets de leur avenir mais personne ne leur répond. Ils veulent être dans la mode, mais ne savent pas ce que c’est. ils ne perçoivent que ce qui est sur la toile. Leur première question c’est quel est votre parcours ?
Cela dément la « guerre » des générations ?
Les jeunes sont totalement ouverts à la génération que je représente. Bien sûr on va me dire « la mamie » mais ce n’est pas méchant. C’est un manque de culture de la vie. Pour eux mamie c’est un âge, ce n’est pas le fait d’avoir des petits enfants, je leur explique cette différence.
Une mode colorée Over fifty
Sur votre compte instagram vous défiez les stéréotypes en présentant une mode joyeuse ?
Dans ma tête j’ai 35 ans, même si le miroir ne me sourit pas de la même manière, je ne me cache pas derrière une certaine féminité outrancière. Je ne vais plus mettre des jupes courtes, je ne vais plus montrer mes bras, moins montrer mon cou. Mon maitre mot est osez être ce qu’on a pas forcément oser avant parce qu’on avait des enfants, un mari. On est face à nous même, la peur, le changement hormonal, les cheveux gris, les rides. On se pose la question botox ou pas, maquillage ou plus chic d’être nature… Et la mode je la veux joyeuse, je veux des couleurs, je veux que ma vie ne ressemble pas juste à une série de vêtements stéréotypés.
Ce que j’aime ce sont les gens qui viennent vers moi pour me dire « you are so fashionnable ! », qui me prennent en photo … C’est drôle comme quoi la façon dont vous portez et mixez les vêtements interpellent dans la rue.
La mode fait partie de votre adn depuis toujours, comment est née votre envie de créer ces magazines de mode pour enfant ?
Je viens de la pub, du milieu du luxe, j’ai beaucoup travaillé avec les grandes marques, j’ai bifurqué vers l’édition par hasard parce que j’ai suivi mon second mari sur la côte d’azur, et je me suis dit qu’est ce que je vais faire ? On m’a proposer de reprendre un magazine régional dédié aux parents. Je l’ai trouvé affreux. Mais l’idée est restée. J’en ai parlé à une amie journaliste qui m’a dit toi tu t’occupes de la partie création. C’est comme ça qu’on a lancé un gratuit sur la mode enfantine sans gros budget. Puis a suivi la version parisienne mais avec la concurrence de Milk et Doolitle, on était un peu perdu dans cet univers. Et au bout de 3 ans, mon amie est partie. Ma réaction a été de dire je ne sais pas faire petit alors je vais faire grand.
Comment avez-vous franchi cette nouvelle étape ?
Je me suis mise en vente kiosque, j’ai recruté une équipe de free lances et une commerciale à temps plein. Et nous avons lancé la formule payante avec des séries mode que nous faisions de A à Z. On est passé d’un magazine gratuit avec des photos issues de communiqués de presse à un magazine de plus de 200 pages avec 5 à 12 séries mode faites maison. Aujourd’hui nous sommes le plus gros producteur de série mode fashion enfant en France, voire en europe. j’ai été suivi financièrement dans ce projet, la pub a financé mais pendant 8 ans je ne me suis pas payée. Aujourd’hui le magazine est rentable.
L’opportunité de changer de vie
Vous êtes installée à Copenhague c’est aussi dans une volonté d’internationalisation de votre magazine ?
Totalement. D’abord c’est parce que j’ai divorcé et j’ai saisi l’opportunité de changer de vie, j’avais depuis très longtemps envie de voir ce qui se passe ailleurs, je venais régulièrement à Copenhague pour voir les séries de mode enfantine, c’est un pays qui m’a terriblement attiré par sa bienveillance. En France la concurrence est rude, j’avais envie de souffler. Mais j’avais cette ambition de devenir véritablement internationale. Je ne voulais pas que mon magazine soit dans un kiosque et que personne ne l’achète parce qu’ils ne le connaissent pas. Je voulais que les gens en aient entendu parler et aient envie de l’acheter.
Comment susciter cette envie ?
J’ai prévu d’être présente de manière efficace, d’être sur des points de vente choisis. Je veux être dans une sélection de boutiques avec une version uniquement en anglais ici. Je ne devais rester qu’un an à Copenhague du mais avec la pandémie je vais rester deux ans, après ce sera Madrid, Vancouver, Bruxelles, Los Angeles ou New York.
Un nouveau projet média
Comment avez-vous réorganisé votre travail ?
J’ai engagé une personne qui parle le danois à mi temps, une commerciale qui vit à Paris et des free lances et stagiaires. On travaille via Zoom et Skype. Toute mon équipe est constituée de personnes qui ont plus de 40 ans. Même mon webmaster a 48 ans. C’est devenu un positionnement qui s’est fait progressivement. J’en suis heureuse. Avec les jeunes je n’ai traversé que des bourrasques. Ils partaient du jour au lendemain, et pour mon entreprise cela a été un vrai problème.
Vous avez envie de formaliser ça dans un magazine qui parlerait de votre génération ?
Il est en cours de réalisation. Il s’appelle Glowy du verbe étinceller. Ce sera d’abord un numéro digital composé d’une petite équipe de bloggeuses. Chacune aura une rubrique, le body positive, la mode, l’humeur, le lifestyle. on veut créer un magazine très ouvert avec la possibilité de discuter avec notre communauté. Si l’essai se transforme il y aura peut-être une version print.
Ce qu’on peut transmettre aux jeunes c’est d’arriver à un âge comme le nôtre et vivre heureuse.
Avec une communauté très jeune vous avez décloisonné la mode entre les générations ?
Le KIDS est né avec mes filles, il était à leur image. Aujourd’hui elles ont grandi, et je n’avais plus de références. Ma fille ainée de 19 ans qui fait des études de mode a lancé un magazine qui s’appelle BÔME. Le premier numéro va sortir en digital ce mois ci et il est à destination de sa génération qui n’a pas les moyens de s’offrir de grandes marques. Tout ce numéro a été fait sur la slow fashion c’est-à-dire de qui provient des dépôts vente. J’ai une garde robe de folie parce que j’ai beaucoup stocké et que toutes mes nouvelles pièces proviennent de dépôt vente. On trouve des pépites ! Cela permet aussi de se créer son propre style.
Pour prolonger le sujet on vous conseille le 1er épisode de notre podcast « Vieille ? C’est à quelle heure ? »
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