ISABELLE SIAC : « L’HYSTÉRIE (PRÉTENDUMENT) FÉMININE EST L’ACMÉ DU PATRIARCAT »

Isabelle Siac
©Melania AVANZATO/opale.photo

Psychologue clinicienne, spécialiste des troubles alimentaire, l’autrice Isabelle Siac consacre un ouvrage à l’hystérie, une « pathologie de l’émotion » construite au féminin et élevée au rang d’insulte mysogine. Un imaginaire façonné par Freud dont il est encore aujourd’hui difficile de se défaire. L’hystérique, forcément une femme proche de la folie dominée par son utérus Interview.

Pourquoi vous êtes-vous intéressée à l’hystérie ?

J’en avais assez d’entendre tout le temps « elle est complètement hystérique ». Une insulte pour la femme qui est hystérique, alors que l’homme est en colère. C’est l’acmé du patriarcat et du sexisme où la fille un peu folle a besoin d’un protecteur, un médecin de préférence !

Quelle serait la meilleure définition de l’hystérie ?

L’hystérie est une manière d’exprimer ses émotions qui passe prioritairement par le corps. C’est visible par exemple pour les somatisations. Le corps se manifeste. C’est aussi de la souffrance physique. Les deux mamelles de l’hystérie sont la séduction et la plainte. Voire la séduction par la plainte. Il y a aussi beaucoup d’hommes hystériques.

Justement, comment se fait-il que cette pathologie se soit construite exlusivement au féminin ?

Il y a deux grand temps : les médecins de l’Antiquité ont décrit l’hystérie comme la maladie des femmes. Hippocrate a écrit un traité qui s’appelait « de la maladie des femmes» et parce qu’il y avait des manifestations inexpliquées, il les associe à l’utérus qui serait une espèce de petit animal (selon Platon) indomptable ! Le remède étant une sexualité toujours en jugement qui dépendait de ce qu’en pensaient les médecins, toujours des hommes.

Après le 17e, 18e siècle, avec les progrès de la médecine on se rend compte que les symptômes hystériques ne sont pas liés à l’utérus et qu’il y a aussi des hommes qui en sont victimes. Mais cette phase se termine avec la Révolution car l’un de ses fondements est de réinstaller le patriarcat. La figure modèle de la femme hystérique à l’époque est Marie Antoinette.

Cette période où l’hystérie n’est plus vraiment féminine se referme au 19e s!ècle et débouche sur Freud qui a installé l’hystérie du côté des femmes alors qu’au départ il avait étudié des cas d’hystérie masculine, mais c’était tellement inconcevable ni entendable par la société qu’il s’est rangé du côté de ce que les gens voulaient entendre et a fait sa carrière sur cinq cas d’hystérie féminine.

Comment expliquer que Freud a eu tellement d’impact et d’influence ?

Tout le monde se cassait les dents sur l’hystérie. Freud a construit un système puissant fondé sur la sexualité comme source de traumatismes psychiques et il a fait école, c’est resté prégnant.

Vous abordez la manière dont les réseaux sociaux matérialise l’hystérie aujourd’hui ?

Dans les années 80/90, il y a eu un essor de l’individualisme. On avait l’impression qu’on allait être dans une société où il n’y aurait que des narcisses qui se regarderaient le nombril et où il n’y aurait plus du tout de lien entre les gens. Mais les réseaux sociaux ont recréé du lien, et comme l’hystérie est vraiment le symptôme du lien, on fait resurgir une nouvelle forme d’hystérie avec des effets de contagion, de mimétisme qui sont positifs quand il s’agit par exemple de groupe d’entraide, et à l’inverse, le pire comme l’exposition de jeunes filles anorexiques et qui en font l’apologie.

Il y a quelque chose de très intéressant qui est la relation au sexe. Vous parlez de Marylin Monroe et du décalage total entre ce que vivait l’actrice et son image ?

C’est une représentation extrême de l’hystérie. C’est une ex enfant traumatisée qui a eu à la fois une mère défaillante, un père absent, qui ensuite a été abusée, et elle a découvert l’intérêt que l’on pouvait lui porter à travers le sexe. Elle est allée chercher via la sexualité un amour d’enfant qu’elle n’avait pas eu. D’où le malentendu permanent. Elle se crée un personnage hyper sexuée qui lui assure le désir c’est une forme d’amour le plus large possible, mais cela l’enferme complètement dans la dépendance, dans sa carence infantile qu’elle ne comblera jamais.

Ses thérapeutes n’ont d’ailleurs pas su garder la bonne distance et ils se sont laissés embarquer, c’est compliqué de garder la bonne distance face à l’hystérie ?

Je parle dans le livre d’une de mes patientes qui avait des sommatisations dermatologiques. Je sentais toujours cette espèce de plainte et de reproches : « vous n’en faites pas assez pour moi »… Et c’est typique des patients qui souffrent d’hystérie car il y a une telle demande d’amour qui a du mal à s’exprimer dans des mots. Le fait d’être malade lui assure l’intérêt du médecin.

Il y a des différences d’expression entre l’hystérie féminine et l’hystérie masculine ?

Le signe commun c’est que cela passe par le corps. Chez les hommes, le corps n’est pas investi de la même manière. Si pour une femme ce sera plus un corps très sexuel, cela passera beaucoup par les muscles pour un homme. C’est une lutte anti-hystérique; Il ne faut pas être comme une femme, car être comme une femme c’est être hystérique.

En finir avec l’hystérie (prétendument) féminine, Isabelle Siac, Plon, 2023 – 22,90€

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