ADRIANA FERREIRA SILVA : « AU BRÉSIL, VIEILLIR EST UN ENJEU POUR TOUTES LES FEMMES »

Adriana Ferreira Silva ©Pétala Lopes
Portrait of Adriana Ferreira Silva, (Photo by Pétala Lopes For The Washington Post)

Journaliste, autrice, ancienne rédactrice en cheffe et correspondante de Marie-Claire Brazil à Paris, Adriana Ferreira Silva, 48 ans, témoigne sur les stéréotypes qui s’imposent aux femmes au Brésil et de la nécessité d’inclure une réflexion intersectionnelle aux sujets féministes.

Quel regard la société brésilienne porte-t-elle sur les femmes qui vieillissent ?

Au Brésil, vieillir est un enjeu pour toutes les femmes. Les hommes, plus ils sont vieux, plus ils sont considérés comme charmants, intelligents, doués d’une certaine expérience… Et après 40 ans, ils vont vers des femmes plus jeunes qu’eux. Alors que pour les femmes, 40 ans, c’est presque déjà considéré comme la fin.

Il y a trois ans, j’ai revu une photo de moi avec ma grand-mère, sur laquelle j’avais cinq ans et elle 45 ans. Le même âge que moi au moment où je la regardais. Je me suis rendue compte que j’avais toujours considéré ma grand-mère comme une personne âgée. Aujourd’hui, elle a 92 ans, ce qui signifie que cela fait depuis ses 45 ans que je la vois vieille. C’est un problème.

Heureusement, pour ma mère et les femmes de ma génération, des choses ont changé au Brésil, grâce au féminisme et à l’accès des femmes au marché du travail. Il reste hélas toujours beaucoup de préjugés sur les femmes après 40 ans. J’en connais beaucoup à qui l’on dit tout simplement d’arrêter de travailler après 40 ans.

Qu’est-ce qui a changé pour vous depuis que vous vous êtes intéressées aux questions féministes et à la vieillesse des femmes ?

Aujourd’hui, j’ai 48 ans, et je considère que ma vie s’est améliorée après 40 ans. Je me sens plus belle, plus à l’aise, plus intelligente. J’ai aussi changé de travail en quittant Marie-Claire Brésil en 2022, pour me lancer à mon propre compte et trouver une forme de liberté. Depuis mes 40 ans, j’ai aussi arrêté de teindre mes cheveux bouclés et les porte gris, comme un signe de fierté et de libération.

Vous êtes régulièrement invitées à prendre la parole sur le sujet de la vieillesse des femmes. Les choses semblent donc bouger à ce sujet ces derniers temps, au Brésil ?

Oui, cela bouge et en même temps, je dirais aussi que c’est une mode et je suis un peu critique du mouvement. Car même dans la lutte contre l’âgisme, il y a des modèles qui s’imposent aux femmes. Souvent, je suis invitée dans des milieux liés à la mode. Et si vous êtes une femme grosse, ce n’est pas vous qu’on va inviter. Ou bien il vous faudrait avoir un visage parfait comme la mannequin grande taille Ashley Graham. J’ai l’impression que désormais, c’est ok d’afficher sa vieillesse, mais à condition de rester mince et belle.

N’oublions pas les luttes intersectionnelles, incluant des réflexions sur la race ou sur la classe sociale par exemple. Parce que c’est super beau de voir des femmes blanches qui parlent de la ménopause. Mais pendant qu’elles en parlent, les femmes noires qui font leur ménage ont-elles droit à un jour de pause quand ce sont elles qui sont fatiguées à cause de la ménopause ? On doit penser plus globalement.

Le Brésil est le deuxième pays ayant le plus recours à la chirurgie esthétique dans le monde (International Society of Aesthetic Plastic Surgery, données 2022). Qu’est-ce que cela implique chez les femmes ?

Cela signifie qu’on ne sait plus quel est l’âge des femmes. Un bon exemple pour s’en rendre compte, c’est la télévision. Toutes les actrices et journalistes ont le même visage, les mêmes sourcils, les mêmes lèvres, les mêmes joues…  Ce mois-ci, j’étais à la remise des prix du Women’s music event, un événement créé par et pour les femmes de l’industrie de la musique au Brésil. Sur scène, on pouvait confondre les visages de certaines chanteuses de 22-23 ans avec des femmes de 30 ou 40 ans, en raison de la chirurgie esthétique. Les visages sont uniformisés.

La chirurgie esthétique est chère pourtant, mais ce ne sont pas que les élites qui s’y adonnent au Brésil. La classe moyenne aussi. J’ai beaucoup d’amies qui n’ont pas beaucoup de moyens et qui souhaitent s’offrir une nouvelle opération de chirurgie esthétique dès qu’elles auront un peu plus d’argent.

Ce n’est pas un problème en soi. Le souci, c’est plutôt qu’on a transformé le visage des femmes et qu’on a forgé l’idée que vieillir naturellement n’est pas beau à voir chez elles. Alors que les hommes, lorsqu’ils vieillissent, ne font aucun effort et deviennent parfois terriblement ignobles (rires).

Quels stéréotypes s’appliquent en plus aux femmes noires au Brésil ?

Le Brésil est l’un des pays les plus racistes au monde, à cause de la colonisation et du racisme structurel. Globalement, les stéréotypes qui s’appliquent aux femmes noires sont un peu les mêmes que ceux qui s’appliquent aux femmes noires aux États-Unis, décrits par l’Américaine Patricia Hill Collins. Lélia Gonzalez les a repris pour décrire les femmes noires au Brésil dans les années 1980. Cette philosophe, anthropologue et activiste est une référence au Brésil pour les femmes noires, comme l’est Angela Davis aux États-Unis. 

Selon elle, la femme noire est soit vue comme une « mama » qui prend soin de tout le monde, des fils comme des patrons, qui fait le ménage… Ou bien on lui accole une image liée au désir, avec un corps parfait, mais pas faite pour se marier. Les « mulata » du carnaval en sont un exemple. Ou encore celui d’une femme qui dépend de l’assistance sociale pour sa survie. Et bien sûr, une femme noire peut cocher toutes ces cases à la fois… Encore aujourd’hui, Djamila Ribeiro, la philosophe brésilienne la plus connue du moment, décrit à quel point il est impossible pour une femme noire d’être à la fois considérée comme belle et intellectuelle, ou d’être sans cesse importunée pour savoir si elle danse bien la samba…

Notre chance par contre, en tant que femme noire, c’est peut-être de se voir un peu moins imposer le modèle européen. Aussi, je considère qu’en tant que femme journaliste noire – même si je suis métisse par ma mère – j’ai l’avantage de vivre à un moment où le Brésil cherche à en avoir plus sur les écrans ou dans différents événements, pour avoir une représentation plus fidèle de la société.

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