Dominique Podesta, associée du cabinet Louis Dupont, spécialiste du management de transition a exercé le métier de DRH au sein de Comex pendant 30 ans dans des environnements en transformation. Une expérience précieuse pour appréhender tout particulièrement les enjeux liés à l’emploi des seniors et des femmes. Une interview salutaire dans le contexte du recul de l’âge de départ à la retraite.
Son parcours professionnel l’a conduite à maitriser des contextes très divers. Des ETI aux grands groupes, des entreprises familiales aux coopératives agricoles, Dominique Podesta a expérimenté des missions de DRH en transition. « On vous donne les clés d’un environnement que vous ne connaissez pas et vous devez régler des problèmes stratégiques » résume-t-elle. Un challenge qu’elle dit aimer pour sa capacité à « mobiliser des compétences dans des environnements d’incertitude ».
Diriez vous que les enjeux pour les femmes sont de nature différente selon les environnements de travail ?
Quand vous êtes dans un secteur comme l’industrie du luxe, l’édition, le monde des aides soignantes où il y a beaucoup de femmes, ce n’est pas la même chose que dans le tertiaire, dans des mondes industriels où il y a essentiellement des hommes. Et puis il faut faire une deuxième distinction selon la nature du métier. Et là se pose le sujet de la mixité au travail qui se traduit par la manière je donne accès, quelque soit le genre, à des salariés pour exercer des métiers et convoque la question de la promotion des femmes aux postes postes clé.
Il faut donc genrer les politiques RH ?
Nécessairement, car il y a une règlementation qui nous y amène, il y a le sujet de l’index de l’égalité professionnelle qu’il faut respecter ainsi que des accords d’entreprise et enfin il y a la question de la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) avec les indicateurs extra financiers qui en conseil d’administration vont aussi poser la question de genrer les politiques.
Autre élément qui est plus de la responsabilité des dirigeants, c’est de mener une action pour proposer à des femmes de prendre des postes de direction opérationnelle. Et cela relève d’une politique RH particulière qui est de mettre les femmes en capacité de prendre des jobs intermédiaires afin de leur donner les trajectoires de carrière leur permettant d’accéder à des postes où il y a plus d’hommes, comme des fonctions de directeur industriel ou de business unit.
Le fait de travailler sous cet angle de management de transition me permet d’avoir un impact notamment sur les femmes et les seniors. prendre soin des individus tout au long de leur carrière, ça a toujours été mon moteur profond.
Dominique Podesta
Est-ce que les politiques de QVT (Qualité de Vie au Travail) peuvent être un levier d’égalité entre les femmes et les hommes ? Je pense en particulier à la prise en compte des règles, de la grossesse ou la ménopause.
Ça intéresse beaucoup les RH parce que cela concerne la santé au travail des salariés. Une politique RH doit etre équitable, si on parle de la ménopause et des règles alors on doit parler de la pénibilité et peut être d’autre chose pour les hommes. Le sujet des jours qui peuvent être donnés pour des moments personnels où on se sent pas bien pour x raisons, toute situation qui met un salarié en difficulté doit être appréhendée par l’entreprise en 2023. Il faut en tenir compte de la situation du féminin. Il ne faut pas qu’on ait besoin de le justifier de la même façon pour quelqu’un qui aurait un handicap ou qui serait atteint d’une maladie grave.
Ce qui est très important dans les entreprises, c’est que tous ces sujets doivent parler de l’individu et pas de la masse. L’individualisation des politiques est possible de mon point de vue.
Aujourd’hui on prend conscience qu’à 50 ans il y a un problème d’employabilité spécifiquement pour les femmes mais ne faudrait-il pas s’en préoccuper en amont en dessinant des parcours inclusifs ?
Il est assez urgent de s’en préoccuper avant. Créer les trajectoires de compétences c’est à la fois les créer d’un point de vue des politiques de gestion de talents que doivent mener les DRH avec les opérationnels, mais c’est aussi faire tomber les biais que peuvent avoir les hommes vis-à-vis des femmes mais aussi les biais des femmes vis à vis des postes.
On a une solution de management qui permet de réserver des postes pour les femmes en proposant un manager de transition le temps qu’une femme soit prête à prendre une nouvelle fonction, car il faudra parfois attendre plusieurs mois pour que son patron actuel la libère. Par ailleurs, quand vous êtes une femme cadre supérieure il y a en plus le risque que ces femmes s’en aillent.
Est ce que vous avez des marges d’action au regard des politiques et stratégies élaborées par les entreprises ?
Soit on est face à un dirigeant, un comité exécutif dont on fait partie qui va considérer que c’est un enjeu de RSE, sociétal, de performance et auquel cas le DRH va être attendu pour proposer et mettre en place une politique, soit c’est un sujet non reconnu comme important et là il faut trouver les arguments. Si on est capable de cartographier et voir les compétences qui manquent alors on est capable de mettre du rationnel et élaborer un plan qu’on présentera en Comex susceptible d’intéresser les directeurs opérationnels.
Vous soulignez l’importance de mettre en oeuvre des politiques de talents ?
Il faut imaginer des organigrammes de remplacement sur les postes clés, est-ce qu’il y a des talents pour prendre ces postes dans un, trois ou cinq ans ? Et la responsabilité du DRH est de poser systématiquement la question : où sont les femmes ? Comment les recruter ? Mettre en avant la culture d’entreprise via la QVT, la politique de parentalité, ll y a également tout un travail sur les biais qu’il faut investir.
Comment votre métier de DRH a évolué au cours de ces décennies ?
On est dans une équation où tout va tellement vite ! Il y a une forme d’urgence sur tout, le covid et les réseaux sociaux ont révélé une accélération d’une forme d’authenticité dans les relations. Les salariés disent ce qu’ils n’acceptent plus alors qu’il y a 30 ans, ils pouvaient ne pas être d’accord mais l’acceptaient.
Quel regard portez-vous sur la question générationnelle, entre la Z qui serait volatile et la frilosité des entreprises sur les profils seniors ?
J’ai du mal à penser que la génération d’aujourd’hui s’ancre moins dans le temps qu’avant. Soit vous êtes dans des grands groupes qui vous permettent de progresser, soit vous êtes dans des sociétés plus petites et vous êtes amenés à en changer pour évoluer. L’entreprise a montré qu’elle ne pouvait pas forcément s’engager à long terme avec les salariés, et c’est très vrai depuis la crise de 2008. On parle de l’obsolescence de la relation au travail mais il n’y a pas de continuité non plus de la part de l’entreprise lorsqu’elle fait plans sociaux sur plans sociaux.
Quand on parle de seniors on parle aussi de compétences. Je ne suis pas convaincue que ce soit l’index [senior] qui règle le problème. Il va parler d’âge mais pas de compétences, et malgré tout dans les entreprises il faut parler en parler. On est sur le bon chemin puisqu’il y a des débats. Mais on nous fait avaler les âges de la retraite tous les deux ans. On demande aux français d’accélérer leur changement d’état d’esprit et je crois que ça c’est compliqué.
Enfin, il appartient aussi aux gouvernances de challenger, de soutenir et de contrôler leur exécutif sur la politique de mise en place de RSE dont les seniors par exemple, et aux dirigeants et aux Comex de demander aux DRH de s’assurer qu’il y aura des mesures d’âge et reconversion puissante qui seront mises en place a l’égard des seniors dont les postes seraient éventuellement supprimés.
Les seniors doivent être également pro actifs ?
A 45 ans le salarié doit être curieux de travailler avec des jeunes, il doit se dire à 55 ans si on me propose autre chose, je prends quand même et je me dis pas « c’est bon c’est mon dernier job ». Ce n’est pas simple à faire et il appartient aux politiques RH de soutenir cette agilité.