AURORE EVAIN EXHUME LE THÉÂTRE DES AUTRICES CLASSIQUES ET RÉVÈLE MADAME ULRICH

La folle enchère Madame Ulrich
 » La folle enchère » de Madame Ulrich mise en scène Aurore Evain © La Subversive

La compagnie La Subversive dirigée par sa fondatrice Aurore Evain joue jusqu’au 31 octobre « La Folle Enchère » de Madame Ulrich. Une pièce née en 1690 et jouée à la Comédie-Française qui renverse tous les codes de l’époque et révèle l’incroyable talent d’une autrice dont l’oeuvre a été volée par un homme comme tant d’autres.

Aurore Evain s’est muée en chercheuse sur la piste des autrices de théâtre. Au départ de cette aventure, un intérêt pour les rapports femme-homme et à la question du genre dans les arts du spectacle. « J’ai découvert à la Renaissance que certaines actrices avaient écrit, puis j’ai co-édité les pièces des premières autrices de théâtre grâce à Eliane Viennot qui présidait la Société Internationale des Femmes de l’Ancien Régime » explique la metteuse en scène qui a initié les journées du matrimoine avec l’association HF. Une révélation qui la conduit à monter sa compagnie bien nommée « La Subversive » pour jouer ces oeuvres dérobées ou effacées.

Et « La folle enchère » donne toute la mesure d’un théâtre audacieux écrit au féminin. « C’est la première pièce comique écrite par une femme au 17e siècle, l’histoire d’une femme obsédée par son âge qui ne veut surtout pas vieillir parce qu’elle sait que si elle vieillit elle perd tout » analyse Aurore Evain qui a confié le rôle essentiel de la servante à Catherine Piffaretti. Le propos met en scène Madame Argante bourgeoise fortunée séduite par un petit Comte qui s’avère être la maitresse de son fils. « Elle demande simplement à avoir le droit de continuer à être amoureuse et de jouir dans une époque ou à partir du moment où l’on était grand-mère ce n’était plus possible » poursuit Catherine Piffaretti.

A l’époque, la pièce est jouée devant le roi à Versailles, signe de son succès malgré les propos féministes des personnages qui interrogent les rapports sociaux de l’époque et la dépendance des femmes. Perçue comme une libertine, son autrice, Madame Ulrich est régulièrement emprisonnée. « Madame de Maintenon n’a de cesse de l’envoyer au couvent » ponctue Catherine Piffaretti. Un contexte favorable pour se faire voler son oeuvre par son amant qui ajoute sans ciller « La folle enchère » au nombre de ses oeuvres complètes. Toutefois, il oublie d’accorder au masculin la préface de l’autrice, révélant la fraude.

Un genre théâtral inédit

Pour Catherine Piffaretti, l’interprète de Lisette, rôle majeur de la soubrette manipulatrice, Madame Argante est punk et la place donnée aux valets inédite. « Lisette est un personnage assez dur qui va chercher son plaisir et l’argent partout où elle le trouve ». L’autrice renverse les codes de la comédie dans un genre sans équivalent à l’époque. « Cette pièce est à cheval entre deux genres théâtraux, elle reste dans la farce et pousse ce trait là jusqu’à l’absurde. En même temps, c’est une comédie de travestissement qu’on va rencontrer au siècle suivant avec Marivaux ». Bref une autrice avant-gardiste.

Autre contemporaine qui a eu son heure de gloire à la Comédie Française, Catherine Bernard s’est également faite voler son travail souligne la metteuse en scène. Un effacement quasi systémique qui aboutit à ré écrire les fondements du théâtre classique uniquement au masculin. « Avec l’effacement des femmes de l’Ancien Régime c’est exactement ce qui s’est passé, en terme de références théâtrales au cours des siècles qui ont suivi où le théâtre avait une importance énorme dans la construction de l’inconscient populaire » déplore Catherine Piffaretti.

Les premières actrices sont des femmes lettrées

Un sujet qui fait écho au travail actuel de la commission du tunnel de la comédienne de 50 ans au sein de l’AAFA. « Le travail de la compagnie d’Aurore sur le matrimoine résonne résonne par rapport au combat que l’on mène » souligne la comédienne qui ajoute que « l’invisibilisation des femmes de plus de 50 ans est aussi une violence faite aux femmes jeunes qui manquent de références pour se projeter et se construire ». Ne serait-ce pas le moment de faire jouer cette oeuvre dans la grande maison du théâtre parisien ? Sans doute mais pas « sans un metteur en scène de grande envergure » pour porter ce texte écrit au féminin, a répondu l’Administrateur de la Comédie-Française…

L’immense travail d’exhumation réalisé par la directrice artistique de la compagnie met à jour les contre-vérités qui découlent de cet effacement. « Les premières actrices ne sont pas des prostituées, au contraire, ce sont des femmes qui deviennent comédiennes pour échapper à la prostitution, pour vendre leur image et non pas leur corps et surtout ces femmes savent lire et écrire au XVIIe siècle. Et beaucoup d’entre elles ont été des autrices qui étaient dans des académies poétiques. Ce que l’on a gardé, ce sont des histoires de coucheries et d’alcôves qui les réduisent à des courtisanes » rectifie Aurore Evain.

La chercheuse cite volontiers les recherches de l’américaine Robin P. Williams qui interrogent les indices qui permettraient de valider l’hypothèse que Shakespeare soit une femme. Une palpitante enquête pour faire surgir les références qui manquent à la construction de l’imaginaire du théâtre classique.

A voir jusqu’au 31 octobre au théâtre de l’Epée de bois, Cartoucherie Paris

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