SUZY ROJTMAN : LA MILITANTE FÉMINISTE ET L’HÉRITAGE DU MLF

Suzy Rojtman
Suzy Rojtman capture Twitter

Le 26 août 1970, 9 femmes tentent de déposer une gerbe sous l’Arc de Triomphe en hommage à la femme du soldat inconnu. Cet évènement très médiatisé signera l’acte de naissance du Mouvement de Libération des Femmes (MLF). 50 ans de combats dont se souvient Suzy Rojtman, militante et porte-parole du Collectif national des droits des femmes.

Suzy Rojtman, aujourd’hui porte-parole du Collectif National pour les Droits des Femmes est une militante de la première heure. Dans le sillage de mai 68, elle a embrassé le féminisme en 1974 et en a porté toutes les luttes. Co fondatrice du Collectif féministe contre le viol en 1985, elle est de tous les combats accompagnant plus largement les mouvements sociétaux. L’avortement, le viol, l’égalité femme homme, la parité … sont autant de sujets sur lesquels elle dresse un bilan, inscrivant les droits des femmes dans la déconstruction d’un pouvoir qui serait « naturellement » dédié aux hommes.

Quel bilan faites vous pour les droits des femmes portées par le MLF ?

Nous avons bouleversé la société au cours de ces 50 années notamment dans les années 70 sur l’avortement et le viol. Nous avons réussi a faire voter la loi Veil en 75. On attribue toujours à Simone Veil la maternité de cette loi, bien sûr elle a été très courageuse et digne devant l’Assemblée Nationale, mais s’il n’y avait pas eu un mouvement social derrière elle rien ne serait passer. Le MLAC, Mouvement pour la Libération de l’Avortement et la Contraception a été un très fort mouvement social qui pratiquait la désobéissance civile. La pratique des avortements clandestins qui envoyaient les femmes chaque semaine avorté aux Pays Bas et en Angleterre. Simone Veil disait elle même qu’ il fallait remettre de l’ordre dans tout ça. Car c’était soit l’affrontement total avec les militantes féministes soit lâcher du lest. La loi était restrictive, il a fallu l’améliorer notamment en 2001. C’est une première chose que l’on peut mettre à l’actif des féministes et du MLF.

On a inscrit l’égalité femme homme à l’agenda politique même si ça ne fait pas partie comme l’écologie des préoccupations essentielles.

Le fragile droit à l’avortement

Mais sur la question de l’avortement l’acquis reste fragile ?

C’était une loi à l’essai, c’est très rare. Il a fallu confirmer la loi en 79 et il y a toujours des opposants à la loi. Elle est battue en brèche autrement. Avec la fermeture des maternités de proximité, le droit à l’avortement est de facto restreint. Si les femmes sont obligées de faire des tas de km pour avorter, elles peuvent décider de garder leur enfant. De même le processus de double clause de conscience pour les médecins est un obstacle.

Le confinement a rendu difficile l’accès à l’avortement

Il faut qu’on soit toujours en période de veille. Le collectif Avortement en europe les femmes décident, dont je fais partie a lancé une pétition qui a recueilli 50 000 signatures pour demander que le délai d’avortement pendant le confinement soit prolongé de la durée du confinement soit 8 semaines. On arrivait à 20 semaines ce qui n’est pas un scandale absolu. La sénatrice Laurence Rossignol a demandé au Sénat deux semaines supplémentaires de délai pour avorter en raison du Covid, la demande a été retoquée. C’est encore un sujet sensible.

Le viol a été également un combat très important ?

Le viol a été dans les années 70 le 2ème combat unificateur du mouvement féministe. Il a abouti au vote de la loi du 23 dec 1980 qui enfin donnait une définition du viol. Car on dit souvent que cette loi criminalisait le viol. Non, le viol était déjà un crime, mais il y avait peu de plaintes (autour de 1000/an) et il était si souvent déqualifié en attentat à la pudeur qui est un délit que tout le monde pensait que le viol était un délit. La loi a été le début de tout un processus de mobilisation contre le viol qui a été très important. On l’a rappelé à l’occasion de la mort de Gisèle Halimi. Cela a été le début d’un processus de prise en compte des violences contre les femmes car les violences conjugales n’existaient pas dans le code pénal, ni le harcèlement sexuel.

« Nous avons décidé de nous tourner vers la justice »

Le choix de se tourner vers la justice a été une étape importante du militantisme ?

Nous avons fait le choix de nous tourner vers la justice, et cela a été un choix des féministes dans les années 70 pour combattre les violences que les femmes subissaient. Il a fallu étoffer tout cet arsenal juridique. Dans les années 70 il y a eu ce qu’on a appelé des ripostes extra judiciaires, imprégné de l’esprit de mai 68, anti capitaliste … Nous ne voulions pas faire appel à la justice bourgeoise et nous allions par exemple taguer sur le domicile d’un violeur « ici habite un violeur ». Ce genre d’action. Puis nous avons décidé de nous tourner vers la justice qui est assez sourde mais il vaut mieux que les lois existent même si elles ne sont pas appliquées. Nous n’aurions pas tenu le coup sans cela avec les seules actions extra judiciaires au vu du nombre de viols qu’il y a chaque année.

La question du travail des femmes est aussi au coeur de votre militantisme ?

Il y a des lois vraiment pas appliquées que l’on a réussi à faire inscrire sur l’égalité salariale, l’égalité professionnelle … Le domaine de l’entreprise reste assez imperméable au droit des femmes. Pour être très abrupte je parlerais du rapport capital travail en défaveur des femmes. La lutte féministe c’est compliqué car les femmes sont les premières à temps partiel, les premières précaires … Ce sont des questions qu’on a fait progresser mais sur lesquelles on a le plus de mal parce que la domination masculine est dite comme naturelle, inéluctable, allant de soi. Nous avons consacré 50 ans à se lever et à se battre contre une espèce de naturalisme qui est totalement construit socialement, on reprend la phrase de Beauvoir, « on ne nait pas femme, on le devient ».

Le militantisme pour faire appliquer les lois

Est ce que c’est toujours en étant militante que l’on fera aboutir l’application des lois ?

S’il y a d’autres solutions je suis preneuse ! Il y a des moments où on aimerait faire autre chose mais, c’est carrément impossible ! Comment faire appliquer les lois ? Malheureusement je suis très prosaïque et je ne crois qu’au rapport de force.

Vous évoquez l’existence de groupes de femmes dans les entreprises, un militantisme peu connu ?

C’était des groupes féministes. Je vais etre parisiano centriste, ça existait ailleurs mais je parle de ce que je connais.Il y avait des groupes à Renault Billancourt, dans les banques. Ces femmes prenaient leur inspiration du mouvement féministe.C’était des trentenaires qui travaillaient, elles distribuaient des tracts à la porte des entreprises et se réunissaient parfois via les comités d’entreprises. Il y avait aussi des commissions syndicales femmes à la CFDT qui était beaucoup plus combattif qu’aujourd’hui, elle a été recentrée pour devenir très mollasonne, très réformiste. Elles abordaient tous les sujets l’égalité salariale, les cadences, l’avortement…

Rien à voir avec les cercles féminins qui promotionnent l’égalité femme homme dans les entreprises aujourd’hui ?

Ce n’était pas pour les cadres. Ces groupes assez anti capitalistes prenaient des positions assez radicales de lutte, pas du tout sur la question de comment j’entreprend ma carrière et comment en tant que femme je réussis mieux. « Le féminisme bourgeois » n’aurait pas pu exister dans l’après mai 68.

Les réseaux sociaux puissants moyens de mobilisation

Que pensez vous des mouvements activistes qui ont mené à Me Too, est-ce la même forme d’activisme que vous exercez ? Ou la façon de militer est différente aujourd’hui ?

La manière de militer est semblable dans la mesure où l’on mène toujours des rassemblements, des actions, des manifs et elle est différente parce qu’il y a l’existence des réseaux sociaux. Ce sont des moyens de diffusion et d’organisation de mobilisation extrêmement puissants et de prise de parole. On nous rétorque au regard de Metoo, de « balance ton porc » que c’est scandaleux et qu’il faut passer par la justice pour dénoncer les violences, on est complètement d’accord ! Nous sommes pour l’état de droit, mais quand la justice est sourde, aveugle et muette qu’est ce qu’on fait ? On dit les femmes ne disent rien ? Mais comment ? Bien sûr que les femmes disent ! Le problème c’est que la justice n’entend pas et d’autres moyens d’action ont été pris pour essayer de se faire entendre.

Mais il y avait des féministes qui dénonçaient déjà les viols, c’est que la société ne voulait pas entendre. Bien sûr qu’on savait, on était complaisant.

« La société ne voulait pas entendre »

Il y a eu une émission des « Dossiers de l’écran  » (NDLR émission phare de la télévision) en septembre 1986 sur le viol incestueux. Une femme de Grenoble, Eva Thomas avait été violée par son père et avait écrit « le viol du silence ». Tout le monde a vu ce film, le numéro vert du collectif féministe contre le viol est apparu en incrustation et au téléphone le lendemain nous avons entendu toute la souffrance des femmes souvent âgées qui nous disaient moi aussi j’ai été violée dans ma famille, j’ai aujourd’hui 70 ans et j’en avais 5 àl ‘époque des faits. Nous avons édité des bulletins pour porter leurs paroles, donc c’était connu. Et maintenant on nous dit l’époque était comme ça, on y pouvait rien ! Mais il y avait des féministes qui dénonçaient déjà, c’est que la société ne voulait pas entendre. Bien sûr qu’on savait, on était complaisant.

Est ce que dans l’euphorie de mai 68 les femmes ont réellement eu accès à la parole ?

L’expression féministe a été relativement ténue alors que les femmes étaient très présentes en mai 68. Même si il y a eu des débats à la Sorbonne, il a fallu effectivement attendre deux ans plus tard avec l’acte fondateur que nous avons célébré hier à l’Arc de Triomphe pour que le mouvement féministe commence à surgir.

La femme du soldat inconnu

La célébration de la femme du soldat inconnu a été l’acte de naissance du MLF ?

C’était une action symbolique et puissante et elle a été érigée en acte fondateur du mouvement de libération de LA femme a dit la presse, en reprenant le « women’s lib » américain. Les féministes ont dit « pas de la femme mais des femmes » car il n’y a pas d’absolu féminin.

Comment avez vous vu évoluer le mouvement féministe ?

Je suis porte parole du Collectif national pour le droit des femmes créé en 96 à la suite de la grande manifestation du 25 novembre 95 qui n’était pas du tout sur  les violences mais sur les droits des femmes en général. Après les deux septennats de Mitterrand et la décennie 70 il y a eu, comme pour tous les mouvements sociaux une décélération du mouvement féministe. Dans les années 80, on a créé les associations qui combattent les violences, mais il y a eu la VFT, association contre les violences faites aux femmes au travail. Cela a été des années de divergence au sein du mouvement féministe mais aussi des années de consolidation et de difficultés.

Les féministes se sont réunies encore une fois sur la défense de l’avortement ?

A partir des années 90 il y a eu des attaques de commandos anti avortement de cliniques et d’hopitaux et des associations comme la CADAC se sont créées en réponse à ce phénomène. Et quand Toubon a été ministre de la justice en 95 il a eu une très bonne idée d’amnistier les commandos anti IVG ! Il y a eu une levée de boucliers des syndicats, des associations féministes et des partis politiques contre cette décision. Il a reculé et il y avait une telle mobilisation qu’on s’est dit on va continuer et on a prévu au doigt mouillé une manif le 25 novembre 95 sur l’ensemble des droits des femmes qui a réuni 40 000 personnes. On voulait repartir et par hasard on s’est retrouvé au tout début du mouvement social de nov/dec 95. En janvier 96 on a créé le Collectif national pour les droits des femmes.

Quels sont vos prochains combats ?

On a fait quelque chose d’assez informel qui s’appelle « on arrête toutes » pour essayer de faire le 8 mars comme les féministes en Argentine, en Suisse en Belgique une super grève féministe pour montrer le rêle fondamental du travail des femmes dans la société. C’est ce combat qu’on porte actuellement et qui touche à tous les sujets. Et j’espère qu’on va pouvoir manifeste le 25 novembre contre les violences et faire des rassemblements de plus de 5000 personnes. Ce sont toujours des combats globaux. 

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