QUELLE PHILOSOPHE ÉTAIT ANNE DUFOURMANTELLE ?

Anne Dufourmontelle. - ROBERTO FRANKENBERG
Anne Dufourmontelle. – ROBERTO FRANKENBERG

Son décès accidentel le 21 juillet a remis en lumière l’œuvre de la philosophe et psychanalyste. Anne Dufourmontelle, 53 ans, s’est noyée dans une mer démontée en portant secours au fils de l’une de ses amies sur la plage de Pampelonne à Ramatuelle dans le Var. Ses obsèques ont eu lieu aujourd’hui. Elle a pris ce risque au péril de sa vie. « Quand il y a réellement un danger auquel il faut faire face […], il y a une incitation à l’action très forte, au dévouement, au surpassement de soi». Sujet de l’un de ses 20 ouvrages, son « Eloge du risque » (Payot 2011) revêt un écho particulier. « Comment ne pas s’interroger sur ce que devient une culture qui ne peut plus penser ce risque sans en faire un acte héroïque, une pure folie, une conduite déviante » ? interrogeait-elle prémonitoire. Sa réflexion se portait sur des thèmes peu abordés par la philosophie mais centraux pour la psychanalyse. La maternité (La sauvagerie maternelle), le secret (Défense du secret) ou le rêve (Intelligence du rêve) étaient autant « d’énigmes » qui ouvrent de nouveaux espaces de liberté. La ministre de la Culture, Françoise Nyssen a salué sur Twitter son œuvre. “Grande philosophe, psychanalyste, elle nous aidait à vivre, à penser le monde d’aujourd’hui ».

Docteure en philosophie diplômée de Paris Sorbonne en 1994 et de l’université de Brown aux Etats-Unis, Anne Dufourmantelle a enseigné à l’Ecole Normale Supérieure à Paris et à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Paris-La Villette. Elle chroniquait régulièrement dans les pages de Libération. Et partageait avec Avital Ronnel l’amitié de Jacques Derrida. Dans  « American philo » (2006) les deux philosophes cosignent des entretiens. « Bêtise, tests, drogues, téléphone… Avital Ronell nous décrit d’abord comment elle tend à s’emparer d’objets souvent délaissés par la philosophie » souligne Arnaud Laporte en 2009 sur France Culture.

 

Tweet Francoise Nyssen
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Cet ancrage dans la société post-moderne se traduit par une réflexion sur la place de la mère peu abordée en philosophie. Dans « La sauvagerie maternelle » (2011), elle dévoile la dimension particulière de cet amour tentaculaire. Une subordination indicible transmise de mère en fille. La reproduction d’un schéma d’aliénation. Toutefois, elle invite à une autre dimension réparatrice en convoquant le rêve.

 

Toute mère est sauvage. Sauvage en tant qu’elle fait serment, inconsciemment, de garder toujours en elle son enfant.(…) Ce serment se perpétue ainsi, secrètement, de mères en filles et en fils, jusqu’à l’étouffement et parfois même le meurtre, si de la différence ne vient pas en ouvrir le cercle, et briser l’enchantement. C’est ce serment, que doit rompre l’enfant pour devenir lui-même, accéder à sa vérité, son désir.

 

Dépassant l’interprétation freudienne des rêves chère à la psychanalyse, la philosophe initie là encore une réflexion novatrice. Dans une conversation avec Raphaël Enthoven, elle expose son propos. « Ce que peut le rêve est immense, réparer, se remémorer, prophétiser, écouter, mettre en garde, terroriser, apaiser, dévoiler, libérer et nous permettre d’oublier. Le génie du rêve appelle à une conversion ».

Ouvrant des espaces inexplorés, elle fustige la société en réhabilitant le secret. Dans « Défense du secret » (Payot, 2015) elle exprime un refus de la transparence et plaide pour un  retour à l’intime.  Un véritable luxe au même titre que le silence jugé « transgressif ». « On est sans cesse sous le regard de l’autre, du fait de l’évolution des technologies et aussi de cette douce, insidieuse et forte pression du surmoi social. On se sent obligé de tout dire et d’exprimer à nos enfants, nos conjoints à peu près tout de notre vie intérieure. Les espaces très préservés, comme le silence ou la prière, deviennent de grands luxes.» confiait-elle à Madame Figaro. Puis dans une société dont la réussite se mesure à l’aune d’actions agressives, Anne Dufourmantelle oppose la « Puissance de la douceur » (Payot, 2013) comme une appartenance à l’enfance écrivait-elle. Commentant la phrase d’Hölderlin « Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve » dans « L’éloge du risque », elle a mis jusqu’au bout  sa vie en concordance avec sa philosophie.

 

La douceur apparaît d’abord comme une défaillance. Elle déroge à toutes les règles du savoir-vivre social. Les êtres qui en font preuve sont parfois des résistants mais ils ne portent pas le combat là où il a lieu habituellement. Ils sont ailleurs. Incapables de trahir comme de se trahir, leur puissance vient d’un agir qui est constamment une manière d’être au monde.

 

 

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