« NOURA RÊVE » : LE PORTRAIT D’UNE FEMME TUNISIENNE INSOUMISE

La réalisatrice belgo tunisienne Hinde Boujemaa
La réalisatrice belgo tunisienne Hinde Boujemaa

Pour son premier long métrage « Noura rêve », Hinde Boujemaa réalise le portrait d’une femme libre qui a choisi de divorcer pour vivre avec son amant. Une déconstruction des stéréotypes sur la soumission des femmes maghrébines et sur le désir féminin après 40 ans. Un propos universel.

Au travers de l’émancipation d’une femme qui vit ses désirs amoureux, Hinde Boujemaa s’affranchit des stéréotypes qui pèsent sur la société tunisienne. Dans le contexte post révolution arabe, la réalisatrice belgo tunisienne se focalise uniquement sur ses personnages. « J’ai juste envie de raconter des histoires humaines de femmes ». Et Noura incarnée par Hend Sabri, campe une femme forte. « La liberté d’expression m’importait. Pendant les années de dictature il y a eu cette image de la femme arabe soumise comme si elle ne pouvait être que victime » ! Son héroïne veut divorcer alors que son mari Djamel est une fois de plus en prison. Mais sa sortie anticipée va la confronter au délit d’adultère puni de 5 ans d’emprisonnement.

Avec « Noura rêve », on compte faire vaciller cette loi sur l’adultère. Mon cinéma est toujours un peu politique et si l’on peut faire quelques chose grâce à un film, alors on s’en sert

Un archaïsme que dénonce la réalisatrice. « Cette loi touche aux libertés personnelles et l’Etat n’a pas à intervenir sur ce sujet ». Hinde Boujemaa souligne toutefois que la loi sur l’adultère prévoit les mêmes sanctions pour les deux amants. Et lorsque Noura se rend auprès de l’administration pour divorcer, c’est une femme qui la questionne. « Mais pourquoi tu veux divorcer »? Une première déconstruction qui raconte les biais d’une société aussi véhiculée par les femmes. « C’est comme si il y avait toujours des obstacles pour acquérir son honneur et sa liberté ». Et la quête de Noura pour gagner sa liberté d’aimer est aussi un combat qui passe par un langage très grossier.

Noura interprétée par la comédienne Hend Sabri

Le langage de la rue

Hinde Boujemaa donne à ses personnages les mots de la rue. « Les femmes tunisiennes sont très vulgaires dans la parole, dans les disputes, c’est un vrai langage de charretier » . Et si cela choque, c’est parce que « Noura rêve » montre cette réalité rarement filmée. Lors de l’avant première, les rires dans la salle éclatent lors de scènes de tension peu propice à l’hilarité. « Les spectateurs rient aux mots grossiers. Mais on ne peut plus mettre dans les dialogues un langage très élégant alors que les personnages vivent dans un milieu de délinquance ! « . Noura exprime un tempérament que la réalisatrice décrit comme « commun » en Tunisie. « il y a beaucoup de femmes comme elle (…), elle doit lutter contre le regard social, les lois qui existent et son propre désir ».

Le désir étouffé des femmes

Car de désir il est question. Et tout particulièrement du désir des femmes après 40 ans. « Un jour un médecin m’a dit que j’avais tourné la face b » s’indigne Hinde Boujemaa pour qui la notion d’âge est peu existante. « Nous n’avons plus le droit de désirer et d’être désirable. On doit rester à la maison. On doit tirer le rideau, passer de mère à grand-mère, on ne peut exister par nous-mêmes. Je suis convaincue que la femme avec maturité arrive à une manière d’aborder son désir et sa vie beaucoup plus intéressante, plus profonde, plus jouissive ». Elle confère cette liberté à son héroïne dont le mari et l’amant( le comédien Hakim Boumsaoudi) revendiquent la propriété. Un sentiment d’appropriation qu’elle qualifie d’universel.

La déconstruction de la virilité

Avec son trio, la réalisatrice déconstruit le mythe de la masculinité toute puissante. Djamel interprété par le comédien et humoriste Lofti Abdelli campe « un type en danger » qui jamais ne dénonce sa femme pour adultère, et préfère se venger sur son rival. « Comment restituer ma virilité en tant qu’homme » et sa position dans la société interroge Hinde Boujemaa. Dans cet échange, les enfants sont les témoins d’une violence verbale qui ne les épargne pas. Du parloir en prison à la mise à la porte de leur maison, les enfants ne se révoltent jamais. « Dans certains milieux, ils assistent aux bagarres. Ce sont comme des enfants de la guerre, ils ne connaissent que ce système de fonctionnement social » souligne la réalisatrice.

Je ne voulais pas faire de tourisme, je souhaitais rester très concentrée sur les personnages. Je trouve que ce vivent les personnages en terme d’émotions, de pulsions, de sentiments étaient assez riches et il ne fallait pas que je les quitte un instant. 

Une Tunisie qui se devine

Dans une Tunisie qu’on devine plus qu’on ne voit, « Noura rêve » reste concentré sur ses personnages. La vie extérieure est un univers réduit aux sons. Pas de cartes postales solaires comme décor, mais un huit clos constant entre les acteurs. « J’ai inventé un univers sonore, des radios au loin, toute une vie, des petites voix que parfois on entend, des disputes ». Seule la blanchisserie de l’hôpital où travaille Noura offre un repère social. « Mon objectif avec ces cadres circonscrits, c’était aussi de faire sentir qu’il y a des regards hors champ qui pèsent sur Noura ».

Sortie en salle le 13 novembre

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