«CROQUANTES» : QUAND LES AGRICULTRICES S’ORGANISENT POUR ÊTRE VISIBLES

documentaire "Croquantes"
©Croquantes

Le documentaire de Tesslye Lopez et Isabelle Mandin suit 10 agricultrices de Loire-Atlantique qui échangent et se forment dans un groupe en non-mixité, pour s’émanciper et faire entendre leur voix en milieu rural.

La première scène ouvre sur un échange autour des règles et de la ménopause, sur ce que cela provoque comme changements dans la vie quotidienne et en particulier au travail. Le documentaire Croquantes, de Tesslye Lopez et Isabelle Mandin, met les pieds dans le plat. Le film est là pour parler de femmes agricultrices, de leur intimité qui se mêle souvent à la vie professionnelle, dans une exploitation agricole sans doute encore plus qu’ailleurs. Le film est aussi là pour les rendre visibles : non, elles ne sont pas forcément conjointes d’agriculteurs ; oui, elles peuvent aussi être cheffes d’exploitation.

Pendant trois ans, dix agricultrices de Loire-Atlantique ont accepté d’échanger devant leur caméra et d’être filmées dans leur quotidien. Elles font partie du « groupe femmes » du Centre d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural (Civam) du département. Créé en 2013, ce groupe accueille aussi bien des jeunes exploitantes que certaines bientôt sur le point de prendre leur retraite. Il est devenu leur espace de liberté. Elles y puisent de la force pour se sentir légitimes au quotidien dans leur métier. Et affirmer haut et fort qu’elles sont bien là.

Des agricultrices sans statut

« J’ai dit stop, j’existe ! », crient-elles d’ailleurs à plusieurs reprises dans une pièce de théâtre qu’elles ont joué en 2018. Croquantes les suit aussi dans l’élaboration de ce texte à partir de leurs revendications, puis lors de leurs premiers pas sur scène. Elles y déclament leur « Déclaration solennelle des conditions de travail exigées pour les agricultrices du 21ème siècle » : « Article 1 : Je consacrerai le temps nécessaire au bon fonctionnement de la ferme et prendrai du plaisir au travail. Je choisirai le rythme qui me convient afin de mener la tâche qui m’incombe au mieux. […] Article 6 : Je me reconnaîtrai légitime. Je me saurai agricultrice, éleveuse, maraîchère, toute entière. Je pourrai me consacrer pleinement à mon atelier sur la ferme sans être forcément tout le temps en charge des enfants et de la maison.»

Trouver ses marques en tant que femme sur une exploitation fait partie des enjeux de ces agricultrices, longtemps reléguées derrière le travail d’un conjoint et sans statut. « Les activités qui reviennent encore souvent aux femmes, c’est de s’occuper des veaux, de la traite, de l’administratif ou de la vente, alors que les hommes, c’est le travail en extérieur, le labour, les semis, le tracteur ou la réparation de matériel », constatent-elles. Aux hommes le travail visible en milieu rural, à elles les tâches invisibles ? Elles veulent changer la donne. Elles soupirent lorsque la répartition genrée des tâches se perpétuent contre leur volonté.

À travers le « groupe femmes », elles se sont donc formées, comme le montre le film. Rencontrée à la suite de la projection presse, Gwenaëlle Falchi est soulagée de savoir désormais conduire un tracteur : « Ce n’est pas toujours évident de se former avec son conjoint et dans le rythme du quotidien. Apprendre des tâches en non-mixité, ça permet de prendre vraiment l’outil en main, sans se sentir jugée. » Elle se félicite d’être désormais autonome si son conjoint à un problème, mais conduire un tracteur, elle « déteste toujours autant », affirme-t-elle dans un grand rire. Céline Caillon, de son côté, se réjouit d’avoir appris des trucs et astuces en ergonomie. Elle raconte avec un sourire encore gourmand le moment où elle a vu l’un de ses salariés manquer de tomber parce qu’elle venait de graisser une barrière, permettant de l’ouvrir en y mettant moins de force.

Interroger la place des femmes sur leur territoire de vie

Dans leurs films, Tesslye Lopez et Isabelle Mandin veulent interroger la place des femmes sur leur territoire de vie. Pour leur précédent documentaire, Habitantes (2021), elles avaient suivi plusieurs femmes lors des travaux de rénovation du quartier Montplaisir, à Angers (Maine-et-Loire). Avec Croquantes, elles proposent un pendant rural, avec un documentaire qui interroge la place des femmes dans ce milieu. Les deux réalisatrices revendiquent aussi la pratique du documentaire d’intervention sociale. Le but avec Croquantes, c’est aussi « d’encourager la création d’autres groupes de femmes agricultrices à l’échelle nationale », décrivent-elles.

Les deux femmes, accompagnées par plusieurs des agricultrices filmées, ont donc commencé à sillonner la France pour le présenter. Une tournée de projections-débats est prévue à travers la France jusqu’à fin 2023, qui doit les mener en Bourgogne, dans les Hautes-Alpes, en Normandie et encore ailleurs. Pour changer les regards et faire essaimer ces espaces encourageant l’émancipation.

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