LA BIENVEILLANCE : DE LA SPHÈRE PRIVÉE ET PROFESSIONNELLE AU CREDO POLITIQUE

Capture illustration Bienveillance
Capture illustration Bienveillance

Argument de campagne figurant dans son discours de victoire au Louvre, la bienveillance s’est inscrite dans la stratégie d’Emmanuel Macron. Vaste notion sans laquelle le nouveau monde ne pourrait naître. Erigé comme une règle de vie par le nouveau président, ce terme échappé de la sphère privée a glissé jusqu’au combat politique pour l’humaniser. Un mot fourre tout où chacun y puiserait soit une morale, une éthique ou parfois même un sentiment teinté de religieux. Adopté par les managers de grandes entreprises dans leur gestion d’équipes, l’attitude bienveillante n’est pas pour autant un aveu de faiblesse ou de gentillesse exagérée. Dans une société clivée,  la bienveillance serait un baume apaisant. Manuels Vals alors candidat à la primaire tacle le programme de François Fillon en appelant de ses voeux « une République ferme (…) mais aussi bienveillante. » Y aurait-il un socle commun universel parmi toutes ces  injonctions ? Si le plus grand nombre adhère à la notion de bienveillance, c’est sans doute parce qu’elle « parle des gens au gens. La bienveillance puise sa raison d’être dans l’attention que l’on porte à autrui afin de s’assurer de son bien-être. En d’autres mots, il faut bien veiller » définit la sociologue Sophie Hamel-Dufour. Le philosophe Yves Michaud s’agace de cet engouement qui ferait « croire en un monde où toutes les idées sont acceptables, où les différences s’enrichissent, où les conflits ne sont jamais irréductibles, où les bonnes volontés finissent toujours par s’entendre ». Une tyrannie compassionnelle dangereuse favorisant l’émergence de droits catégoriels (religieux, ethniques ou lobbying). Au sein de l’entreprise, « bien veiller » est aussi un argument économique. Gaël Chatelain, consultant, conférencier, romancier et auteur de « Mon boss est nul, mais je le soigne » décrypte les enjeux d’un nouveau type management qui investit pour le profit de l’entreprise de nouvelles relations sociales.

 

Pourquoi s’intéresser à la bienveillance ?

J’étais manager d’assez grosses équipes dans les médias. Et  j’ai toujours appliqué la bienveillance de façon intuitive. Ce qui me surprenait c’est que ce n’était pas le cas pour tout le monde. A l’époque je ne le formalisais pas. C’est mon éducation. C’est comme ça que je parle aux gens. Par ailleurs j’ai toujours considéré que le travail n’était en aucun cas  le centre de ma vie. Hurler sur quelqu’un parce qu’il a mal fait son travail ou se mettre en stress total parce qu’on  atteint pas ses objectifs est effrayant ! J’avais moins de turn-over dans mes équipes. Il y avait moins d’absence. Tout simplement il y avait une bonne ambiance.

On est dans le registre d’un sentiment, de la morale ?

Je fais le parallèle entre l’humanisme à la française et la bienveillance, voire avec un petit côté judéo-chrétien qui est : ne fait jamais à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse. Comment ne pas faire mal à autrui dans l’entreprise puis ensuite comment faire que autrui soit heureux ? Un bon manager c’est quelqu’un qui accepte que le bien-être de ses équipes soit élevé. Par exemple, il n’a pas à  laisser travailler ses collaborateurs jusqu’à 22h, en les écrasant ou en s’attribuant leurs succès.

Pourquoi associer la bienveillance aujourd’hui à la réussite au sein de l’entreprise ?

Parce que les suicides de France Télécom sont passés par là. Tous les DRH vous le diront. Quand on parle de risques psycho sociaux dans les entreprises, le point de de départ c’est le choc terrible de France Télécom. C’était la prise de conscience que l’entreprise pouvait tuer littéralement. On parle de plus de trois millions de personnes au bord du burn out. Plus de 10% de la population active. Ce qui veut dire que potentiellement si ces entreprises ne font rien, elles ont dix pour cent de leur force vive qui ne travaillent pas. Ce n’est pas qu’une prise de conscience humaniste c’est aussi une prise de conscience économique. Est-ce qu’une entreprise peut se passer de 10% de ses forces vives ?

 

La bienveillance est plutôt une éthique, une manière de veiller sur le monde. C’est donc aussi une question collective. La manière dont le lien social s’agence selon la confiance ou la défiance. En France, par exemple, le lien social semble fondé sur des antagonismes. Extrait interview Fabienne Brugère philosophe in Libération 5/08/2016

 

Comment se traduit un management bienveillant ?

Cela se traduit par des formations, des outils pour mesurer la qualité du management. Chez General Electric vous n’avez plus jamais d’entretien annuel. Vaste blague ou un N+1 va demander à son N-1 s’il pense qu’il est un bon manager !  Aujourd’hui ce sont les collaborateurs qui vont noter leur manager, ce qui permet non pas de les punir mais de les former. Il y a des entreprises suédoises qui célèbrent l’échec du mois. Apprendre de ses échecs est primordial. L’entrepreneuriat français a peu cette culture de l’échec ce qui est moins vrai des anglo-saxons. Si vous chercher à lever des fonds pour une start- up aux Etats-Unis et que vous arrivez avec un CV sans vous êtes jamais plantés, on vous regarde avec des gros yeux. C’est limite louche ! les codes sont en train d’évoluer.

 

Quand Michelin dit vous n’avez pas le droit d’envoyer de mails en dehors des heures de bureaux, si vous le faites l’info remonte au DRH. C’est de la bienveillance imposée. Il y a de plus en plus d’entreprises qui le font. Volkswagen coupe les serveurs mail à 17h 30 et les rouvre à 7h du matin. La déconnexion numérique est importante et l’entreprise a un rôle à jouer. Il y a des entreprises qui ferment les salles de réunion à partir d’une certaine heure.

 

Est ce que la bienveillance est un outil capable de rééquilibrer la charge mentale qui pèse sur les femmes ?

Une startupeuse disait au cours d’une conférence, « Mesdames ça va être dur parce que vos mecs ne feront rien à la maison ». Je ne pense pas que ce soit dans l’ADN des hommes. Quand j’étais en entreprise  j’ai toujours fait la popotte pour ma famille. Et le diner est prêt tous les soirs quand ma femme arrive à la maison. C’est une question de discussion que l’on doit avoir dans le couple. Ce n’est pas une fatalité. La bienveillance c’est aussi un dialogue qui évite le rapport de force établi. Dans les entreprises, le premier combat à mener est celui de l’égalité salariale entre hommes et femmes et le second la discrimination à l’embauche. Je pense précisément aux femmes trentenaires sans enfants. En Suède le problème a été réglé avec un congé parental d’un an que le couple répartit comme il le souhaite.

A quoi fait référence la bienveillance en politique ?

On a entendu les mots bienveillance et amour dans le discours d’Emmanuel Macron. A l’origine on doit ce mot au théoricien du capitalisme, Adam Smith. Il définissait le capitalisme  comme le fait de générer suffisamment de profit afin de donner des salaires aux employés qui à leur tour achetaient des produits. La bienveillance serait un retour aux sources du capitalisme. Je me souviens de l’objectif affiché de Nicolas Sarkozy au G20 de se battre contre la spéculation sur les matières premières agricoles, cause des famines et des émeutes de la faim. On casse ainsi la mécanique inacceptable de faire du profit sur la vie des gens. Il faut remettre la mondialisation au service de l’humain, c’est du pragmatisme. Ce qui se passe au niveau de l’Etat peut avoir un impact très fort dans le monde de l’entreprise.

 

On ne construit pas dans le conflit

 

Par l’exemplarité ?

Les codes et les symboles peuvent changer les choses. Ainsi quand le PDG de Linkedin a renoncé à ses 15 millions de dollars de prime pour redistribuer à ses salariés, le geste a valeur de symbole. La force d’une chaine est celle du maillon le plus faible. que ce soit dans la société civile ou politique.

 

10 points pour etre pleinement heureux au travail
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