LETTRE A MARGAUX GILQUIN 57 ANS A LA RECHERCHE D’UN EMPLOI

Margaux-Gilquin-copyright-Bruno-Lévy
Margaux-Gilquin-copyright-Bruno-Lévy

Un nouveau Président de la République a été élu. Pour toi, Margaux Gilquin, 57 ans Pas de liesse ou d’espoir. Tu n’attends plus rien des politiques. Depuis ton licenciement il y a 8 ans, ta vie est un combat organisé pour retrouver un travail et garder ta dignité si possible. De colères en espoirs furtifs anéantis par des périodes d’abattements, tu as écrit ton histoire pudiquement intitulée « Le dernier salaire ». Un roman plein de vie pourtant. Pour les cinquantenaires tentées de se rassurer, Margaux n’es pas une femme sans qualification, issue de quartiers difficiles, un stéréotype des statistiques de chômage longue durée. Tu n’as eu de cesse de te former, consciente que depuis les années Mitterrand les diplômes prenaient une valeur croissante. Assistante de direction, tu as acquis ces compétences à force de volonté pour réparer un destin contrarié par le rythme professionnel itinérant de ton mari. Un bac tardif, un BTS, un diplôme bilingue de la chambre de commerce viennent à bout d’une vie de petits boulots. Femme de service dans une clinique, vendeuse de chaussures, standardiste, hôtesse d’accueil… « Bref le parcours classique d’une nana qui n’a pas fait d’études ».

Avec deux ans d’indemnisation devant toi pour plus de dix ans de bons et loyaux services, tu es sereine. « J’ai toujours retrouvé du travail. C’est bon dans deux mois, c’est reparti. J’aurais même le choix entre plusieurs postes » ! Personne ne s’inquiète dans ton entourage. Tu te mets à écrire des CV – tu en enverras plus de 1500 la première année – Tu t‘entretiens régulièrement avec ton conseiller Pôle Emploi, tu suis des ateliers de toute sorte. Ecrire des CV en multiples versions, rédiger des lettres de motivations, apprendre à se présenter. Oui tu sais faire ça mais ca ne suffit jamais. Tu reçois toujours des courriers avec la même formule « sans réponse de notre part sous 3 semaines considérez…  » La routine.

L’angoisse viendra mais pas tout de suite. Tu pars en vacances mais tu comptes. Tout. Les petits plaisirs du quotidien se font plus rares. Chaque mission repousse de quelques semaines la fin de la période d’indemnisation. Parfois le CDI mirage s’approche mais jamais assez près. Les entretiens d’embauche claquent comme des gifles. « Comment pourrais-je vous faire des reproches, vous avez l’âge de ma mère » ? le dispute à « Peut-on vous appelez mamie » ? Alors oui tes compétences sont là mais trop tard et tout le monde s’en fout. Tu protestes, tu es pleine d’énergie. Mobile. Capable de traverser la France pour une toute petite mission d’intérim. Il paraît que c’est un atout la mobilité. Toujours pas suffisant et puis ton âge !

Tes ressources physiques et financières épuisées tu quittes ton logement en banlieue parisienne. Avec 16,25 euros par jour d’allocation de solidarité spécifique (ASS) tu passes en mode survie, vends tout ou presque. Emballes ce qui reste et part sur suggestion de ta cousine dans le Lot, territoire de ton enfance tenir le rôle de dame de compagnie auprès de tante Marthe. Tu as pensé « je vais devenir vieille fille au pair ». Mais tu y vas, tu ne penses à rien. Juste reprendre ton souffle.

 

Je suis épuisée. J’arrive, il fait très beau. C’est le mois de mai ou juin je crois. Tout est en fleur. Tante Marthe est quelqu’un de délicieux. J’ai une chambre à l’étage sur le palier. Le soir il n’y a pas de bruit. Je suis à la campagne. Je ne réfléchis pas. Le premier soir on a mangé avec les gars qui m’ont déménagée. Dans la cuisine, je me souviens de la tomette où je mets librement mes pieds au frais.

 

Tu récupères. Enfin doucement. La fibromyalgie ne te lâche pas. Ce n’est pas pour toi la cueillette de prunes ou les travaux dans les vignes. Tu repars à la conquête des missions d’intérim et le soir tu écris ce qui deviendra un roman. Myriam El Khomeri, ministre du travail te reçois bien que très occupée par la loi travail. La question des seniors lui importe. Soit. Les politiques, tu les as vus, leur a parlé et au bout du compte tu as conclu qu’ils n’avaient aucune solution à proposer. Alors que toi oui ! Tu as réussi à faire ouvrir un comité de pilotage sur l’emploi des seniors à la mairie de Bordeaux.

 

On est actif à chercher un emploi qui n’existe pas. Les seniors sont les grands oubliés de cette campagne !

 

Même si la résignation se profile ta colère ne faiblit pas. Peut-être est-ce le moteur nécessaire d’une action de masse que tu ne vois pas venir. Descendre dans la rue ? « Il faut faire un grand mouvement, ouvrir des groupes, contacter des associations de précaire comme l’Archipel des sans voix. Il ne faut plus accepter de se laisser noyer ». Et en attendant quoi ? Accepter de faire des ménages pour 8 euros net de l’heure pour des sociétés de nettoyage « véritable négrier des temps modernes » ! Tu prônes la révolte un brin nostalgique de cette époque pas si lointaine où les cinquantenaires étaient des femmes émancipées. « Nos propres mères pouvaient divorcer et travailler. Nous les nanas de notre génération, on a pris double peine. On a voulu être libre, divorcée d’un mec qu’on aimait plus et non seulement on se retrouve toute seule mais on a pas de boulot ».

Tante Marthe a 85 ans. Elle a décidé de planter un arbre fruitier dans son jardin avant de s’en aller. Femme de la terre, elle regarde ton énergie à ne pas disparaître. Elle ne comprend pas comment on en est arrivé là. Elle seule t’émeut désormais.

« Le dernier salaire » Margaux Gilquin – XO Editions

Comments · 6

  1. Il suffit de changer de statut. . En effet ai 72 ans et on me propose des missions chaque semaine, suis freelance , ai toujours refusé le statut de salarié , à 18 ans je comptais mes tartines pour savoir si je pouvais manger le lendemain, ai vendu des encyclopédies de porte à porte pour payer mes études. A force de se complaire sous un statut de salarié on sera toujours considéré comme un subalterne vis à vis de son interlocuteur. ce n’est pas une question pécuniaire, ni de niveau d étude, mais de MENTALITÉ

  2. @Margaux Gilquin, contactez moi en MP, je vais essayer de vous aider dans votre recherche car vous avez beaucoup à apporter au monde du travail

  3. alors Margaux comment avec ce beau et jeune président, sera ton avenir???? avec une offre de nouvelle formation, genre fabrication de pizzas!!! ou gaufre belges celles que préfère ta mère!!!!!

Laisser un commentaire

*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.