ANNE MARIE PHILIPE JOUE ET MET EN SCENE LA CORRESPONDANCE AMOUREUSE DE SIMONE DE BEAUVOIR

Anne Marie Philipe
Anne Marie Philipe

Anne-Marie Philipe joue et met en scène des extraits de la correspondance amoureuse de Simone de Beauvoir le 12 février à Deauville au théâtre du casino. Avec les élèves comédiens de sa troupe  » l’atelier des déchargeurs », elle y propose depuis 2011 un spectacle inspiré par la passion amoureuse. Les amours libres de Simone de Beauvoir relatées dans des lettres quotidiennes racontent une femme iconoclaste éloignée des clichés germanopratins. Sur scène, avec Simone, il y aura Sartre bien sûr et deux hommes moins connus aux talents immenses, Nelson Algren, l’amoureux transatlantique, lauréat du National Book Award en 1950 et Jacques Laurent Bost, journaliste et membre fondateur de la revue “Les Temps Modernes”. Interview.

Pourquoi avoir choisi Simone de Beauvoir cette année pour célébrer les lettres d’amour ?

Je cherchais une correspondance, j’avais envie de dire des lettres. C’est un exercice auquel je m’étais frottée en lisant sur scène « Le temps d’un soupir »livre écrit par sa mère Anne Philipe en 64 – et cela m’avait laissé un très beau souvenir. Je cherchais aussi quelqu’un d’un peu complexe. D’une manière générale, je m’attache toujours à chercher un terrain de jeu qui me permette de sortir la personne que je vais choisir de ce qu’on pense savoir d’elle. En me plongeant dans ses échanges épistolaires, et Dieu sait s’ils sont nombreux, puisqu’elle écrivait tous les jours et même plusieurs fois par jour à beaucoup de monde, je me suis aperçue qu’il y avait matière à ça.

Comment avez-vous arrêté votre choix sur ces trois hommes hormis Sartre qui est une évidence, mais comment avez-vous choisi les deux autres ?

Ce qui m’intéressait c’était l’inconvenance, le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle l’est ! Le choix de Nelson Algren s’est imposé de tout de suite. Cet amour transatlantique a été extrêmement fort puisqu’elle a été enterrée avec l’anneau d’argent qu’il lui a offert à la suite de leur première nuit d’amour. C’est quelqu’un qui a énormément compté dans sa vie. Il a même initié « Le deuxième sexe ». C’était un immense auteur à l’époque, comparé à Faulkner qui a obtenu le prix Pulitzer notamment. On l’a oublié aujourd’hui mais c’était un grand auteur. J’ai une passion pour Tennessee Williams et il y a des points communs entre eux dans le sens où Algren qui était de Chicago trainait dans les milieux les plus glauques. Cependant, Il a réussi à faire comprendre à de Beauvoir que la cause des noirs était la même que celle des femmes. Ce qui a été un choc énorme pour cette grande bourgeoise qui sortait de Saint-Germain des Prés ! Quand à Jacques Laurent Bost, il m’intéressait aussi parce qu’on allait aussi du côté de l’inconvenance. Il avait été un élève de Sartre et avait épousé Olga Kosakiewicz, elle-même aimée par Sartre mais qui ne lui rendait pas ! On était bien avec Bost dans le mic-mac du clan sartrien. Sa vie privée et sa vie d’écrivain sont intimement liées.

Ce qui m’a intéressé ce n’est pas l’intellectuelle, c’est la femme. Comment est-ce qu’elle vivait le quotidien ? C’est d’ailleurs passionnant pour tous les intellectuels du monde

Comment avez vous fait le tri parmi toute cette correspondance ?

Il y a eu des moments où je me suis dit je n’y arriverais pas ! Et puis extrêmement curieusement et comme par miracle, et je n’ai pas peur d’employer ce mot là,  lors de notre première résidence à Deauville, avec les trois autres comédiens, l’ensemble s’est fait quasiment en une journée. Nous avions travaillé chacun de notre côté. Chacun disant « moi j’ai quelque chose qui répond à ça ».

Comment avez-vous travaillé ?

Mon idée de départ était que le terrain de jeu était tellement vaste que le seul moyen était de travailler par touches impressionnistes, de donner des choses de manière à ce que les spectateurs englobent l’ensemble par impression, au vrai sens du terme. Il y a des petits intervalles où je raconte à quel moment de sa vie Simone de Beauvoir en est. Je ne peux pas juste balancer un échange épistolaire comme ça. J’aime faire œuvre d’un minimum de pédagogie ! C’est mon travail. Notamment lorsqu’on introduit le personnage d’Algren. Tout se tient, car cette rencontre fait suite à un voyage de Sartre aux Etats-Unis où tout intellectuel de l’époque se devait d’aller, et où il a rencontré Dolores Vanetti, une actrice française avec qui il allait vivre plusieurs mois par an. Algren est aussi une réponse à Dolores.

Vous jouez avez des comédiens qui font partie de votre troupe l’atelier des déchargeurs, est-ce que cela modifie votre façon de travailler ?

Oui. C’est très intéressant car on se connaît maintenant bien, sauf Alexandre Laval arrivé l’an dernier, qui joue les trois hommes.  je met en scène pour la 5ème fois Camille Lockhart, et c’est la deuxième participation de Mathilde Ripley. Ils connaissent ma façon de travailler, ils savent qu’il y a une liberté, mais il y a un moment où je choisis. On travaille très ensemble, Le montage de textes a été un travail collectif. Une espèce de fourmillement dans cette unique journée au cours de laquelle les choses se sont agencées parfaitement. L’une découlait de l’autre. Au bout de 14 heures on a éteint l’ordinateur et on s’est dit on l’a.

Résidence d’artistes à Deauville. Extrait des répétitions du spectacle de 2016

Vous avez choisi de jouer un rôle dans cette pièce, alors que vous ne jouez pas systématiquement dans vos créations ?

J’ai choisi trois hommes et une femme. Simone face à Bost, Sartre et Algren. En revanche, j’ai choisi que nous soyons sur scène, trois femmes et un seul acteur pour représenter les trois hommes. Il y a trois Simone, celle de Bost, celle de Sartre et celle d’Algren. J’ai tout naturellement pris la Simone de Sartre, je n’ai pas d’ailleurs la plus présente dans le spectacle.

Qu’est-ce que l’on découvre de Simone de Beauvoir sur un plan plus personnel et plus intime, qui casse l’image un peu rigide que l’on a d’elle ?

D’abord elle était extrêmement drôle, elle avait un humour énorme. Elle disait des choses de manière crue. Elle a des images tout d’un coup extrêmement drôles, c’est un spectacle très surprenant pour toutes ces raisons. Quand on écoute et qu’on ferme les yeux, si on ne sait pas qui a écrit ces lettres, on ne peut pas imaginer que c’est Simone de Beauvoir. C’est une des choses qui a dicté mes choix de lettres. Hormis le fait que c’est magnifiquement écrit, elle a un grand sens de l’image.

On ne soupçonne pas que l’auteur du deuxième sexe puisse écrire de façon romanesque ?

Elle est tout à fait passionnée et romanesque. Quand elle aime, elle aime entièrement. Je pose tous les paradoxes de cette femme qui était brillante mais à la recherche d’un rêve d’absolu, qui était libre mais romantique. Il y a un paradoxe en elle qui m’a intéressée. Brillante on le sait, les lettres le reflètent, ce qui m’intéressait c’était de faire découvrir l’autre versant de cette montagne, de cet Everest.

Est-ce que le fait d’avoir choisi Simone de Beauvoir s’inscrit en réaction à un monde qui se rétrécit pour les femmes, est-ce aussi un engagement féministe de produire ces textes aujourd’hui ?

Mais bien entendu ! La phrase prémonitoire de Simone de Beauvoir qui dit « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. » résonne avec force aujourd’hui.

 

Propos recueillis par Sophie Dancourt

 

 

 

 

 

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