Mais où sont donc passées les comédiennes de plus de 50 ans ? Dotées d’un fort pouvoir d’invisibilité, elles ne sont plus représentées dans les fictions, alors même qu’une femme française sur 2 à plus de 50 ans selon l’INSEE. Une équation inique qui n’a pas échappé à L’AAFA-Actrices et Acteurs de France Associés, au travers de sa commission « Tunnel de la comédienne de 50 ans ». Présidée par l’actrice Marina Tomé et réunissant une quarantaine de comédiennes et comédiens professionnels (des hommes s’intéressent à la question), le collectif a réuni le 6 janvier dernier, plusieurs centaines de professionnels lors d’un colloque intitulé « L’étrange et fabuleux destin du personnage féminin de 50 ans ». La comédienne Catherine Piffaretti dresse l’état des lieux d’un phénomène qui résonne bien au delà du milieu artistique et pose une question sociétale. Interview.
D’où vient cette prise de conscience de la raréfaction des rôles ? Ce phénomène n’est pourtant pas récent ?
C’est un constat qu’on a toutes fait individuellement il y a longtemps, mais récemment de façon collective. Ca fait un peu plus d’un an que la commission « AAFA-Tunnel de la comédienne de 50 ans » existe au sein de L’AAFA. Ce collectif rassemble plus de 400 comédiens et comédiennes qui ont décidé de se fédérer pour créer des passerelles au sein de notre profession et vers nos institutions, qui se veut un espace de réflexion, de rencontres, d’entraides, et d’échanges interprofessionnels. L’AAFA est une association paritaire coprésidée par Olivier Sitruk et Tessa Volkine.
Comment est née la commission Tunnel de 50 ans ?
Le principe au sein de l’AAFA est que toute personne qui a envie de travailler sur un sujet particulier peut ouvrir une commission pour réfléchir avec tous les comédiens et comédiennes intéressés sur le sujet. Casting, formation, solidarité, auteurs, théâtre privé… Marina Tomé a a décidé de lancer la commission Tunnel de la Comédienne de 50 ans. Car comme nous toutes, comédiennes qui passons le cap fatidique des 50 ans, elle a cruellement pris conscience du déficit de rôle de femmes de cet âge…
Ce passage à l’invisibilité est-il brutal ?
Oui, cela se fait du jour au lendemain. La semaine anniversaire de mes 50 ans j’ai eu deux propositions de casting pour des publicités. Une pour un médicament censé lutter contre les effets négatifs de la ménopause, et l’autre pour un appareil auditif. J’y suis allée pour savoir pourquoi on voulait me caster. Le directeur de casting me dit « oh vous avez du vous tromper ». Je lui réponds « vous attendez une femme qui a les cheveux blancs et les yeux bleus de préférence, le teint pâle, svelte de préférence et le regard pétillant. Mais vous avez demandé une comédienne de 50 ans et ce que vous cherchez en réalité c’est une actrice de 70 ans ». Je lui ai dit « Regardez moi bien je suis une actrice de 50 ans ».
Il y aurait donc un imaginaire collectif de la femme de 50 ans qui correspondrait à la génération précédente ?
C’est exactement ça. Etant donné que les femmes de 50 ans ne sont pas représentées dans les fictions, nous n’avons pas de modèles ou très peu, l’inconscient comble ce déficit avec des représentations du siècle dernier. On représente plus de la moitié des femmes majeures françaises et on existe pas dans les fictions ! On nie la moitié de la population féminine de ce pays !
On oppose jeune et jolie à vieille et moche ! Mais il y a quelque chose de l’ordre de l’inconscient collectif. Ce sont des stéréotypes tellement ancrés depuis des générations dans les fictions qu’on a finit par les intégrer. Réalisateurs et réalisatrices peuvent les reproduire en toute bonne foi.
Vous parlez d’un tunnel, cette disparition ne serait donc pas définitive ?
On en sort vers 65 /70 ans quand de nouveau on a un corps et une tête qui correspond à l’archétype de la grand-mère. Les actrices arrivent en masse entre 20 et 35 ans. Passé cet âge, elles redescendent dans les chiffres. C’est l’effet de porte tambour : on rentre dans la carrière facilement on en est éjecté rapidement.
Il y a néanmoins l’exception des stars ?
On leur fait jouer des rôles de femmes de 50 ans alors que certaines approchent 70 ans, mais elles ressemblent physiquement à des femmes de 50 ans. Elles ont le droit de vieillir car elles ont été stars jeunes. Elles sont hors norme, elle représente réellement un pouvoir parce qu’on peut construire un film sur leur nom. A la fois elles font avancer le regard des gens sur cette question, mais d’un autre côté elles brouillent les pistes des représentations de l’âge à l’image et c’est un peu l’ arbre qui cache la forêt.
Vous parlez d’un enjeu de société ?
Si les personnages féminins de 50 ans et plus n’existent pas dans nos images “collectives”, alors dans la société elles n’existent pas non plus…. Cela va au delà d’un problème de comédiennes en mal de rôle, c’est un enjeu de société, parce que nos filles n’ont pas de rôle modèle. Ce qu’on leur montre, c’est qu’elles ont le droit d’exister tant qu’elles sont fraîches et fécondes, et après elles disparaissent ! Le psychiatre Thierry Delcourt qui participait au colloque parle de double violence pour les femmes de cet âge là qu’on fait disparaître et pour l’ado qui ne peut se construire parce qu’elle n’a que des modèles archétypaux et stéréotypés définis en fonction de l’homme et non pas en fonction de la femme qu’elle pourrait devenir.
La femme débarrassée de ses fonctions matriarcales et familiales fait peur car elle est libre
C’est pour cela que vous avez convié au colloque des sociologues, des psychiatres, des scénaristes, des réalisatrices, des agents de casting … ?
Pendant la table ronde on a essayé de faire un état des lieux. On ne peut pas hurler dans le vide au risque d’être traité de folles dingues ! Il faut prouver ce que l’on avance, d’où l’idée de faire venir des gens qui avaient déjà réfléchi à la question. Par exemple, Mathieu Arbogast, sociologue s’intéresse aux représentations des femmes dans les séries policières et particulièrement à celles de 50 ans. Il explique qu’au niveau démographique l’écart d’âge des couples, en moyenne de 2 ans, passe à 8/9 ans dans les fictions.
Comment avez-vous réalisé cet état des lieux ?
On a listé tous les films français de cinéma sortis en 2015 et on est allé compter dans le casting les rôles donnés aux femmes de 50 ans : 51 % de la population féminine majeure sont représentés à hauteur de 8% dans les fictions françaises.
Comment avez-vous décidé de réagir à ce constat ?
On a fait des vidéos de sensibilisation qu’on a mis en ligne sur les réseaux sociaux. Puis, on a été labellisé par le ministère du droit des femmes qui a mis en place une campagne contre les stéréotypes de type sexiste intitulée #SexismePasNotreGenre.
C’est un processus inconscient d’invisibilisation
De quelle façon allez vous poursuivre vos actions après le succès du colloque ?
Nous continuons nos actions de sensibilisations sur les réseaux sociaux. Une nouvelle vidéo est en préparation. Mais surtout il nous faut une étude genrée sérieuse. Nous cherchons des financements, des partenariats pour qu’un institut d’études puisse nous faire un rendu chiffré de la représentation des femmes dans la fiction entre 50 et 65 ans. Etude qui nous permettra ensuite de saisir le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et de travailler avec nos ministères de tutelle… Notre principe est qu’on ne travaille pas contre mais avec la profession dans son ensemble. Ainsi nous mettons en place un groupe de travail avec des réalisateurs, des scénaristes, des comédiens pour réfléchir ensemble à une grille d’analyse qui permettait aux scénaristes de réfléchir en amont différemment aux personnages féminins de plus de 50 ans.
Vous allez mener une étude conjointe avec Centre Médical de la Bourse, la médecine du travail des intermittents du spectacle ?
Il y a dix ans le CMB a fait une étude sur les comédiennes de 50 ans. Elle indiquait que ces actrices avaient des pathologies que les comédiens ne développaient pas et un vrai creux de carrière. Nous avons convaincu le CMB de former un partenariat avec L’AAFA et Audiens, la protection sociale des intermittents du spectacle qui financera l’étude en fournissant une statisticienne et des moyens techniques. Nous avons travaillé avec des sociologues et des chercheurs pour la mise en place d’un questionnaire. On va pouvoir interroger tous les comédiens et comédiennes français, et en sortir une étude plus sociologique et médicale. Si on obtient une étude genrée de chiffres conjointe avec l’étude du CMB et l’étude réalisée auprès du grand public par notre partenaire le magazine Femme Majuscule, on aura en main quelque chose qui nous permettra de dire voilà la situation et pourquoi il est important d’agir pour que les femmes de 50 ans retrouvent dans les fictions la place qu’elles occupent de fait dans la société. Pour que la moitié de la population féminine cesse d’être traitée comme une minorité invisible…
Propos recueillis par Sophie Dancourt
Comments · 3