Dans son dernier essai très documenté « Vieille peau » la journaliste Fiona Schmidt s’empare de la question du vieillissement des femmes, ultime tabou d’une société jeuniste et patriarcale. L’autrice en analyse les perceptions genrées : entre sexisme et âgisme, c’est toujours la double peine. Et cela commence très tôt. Interview.
Le vieillissement reste un impensé des causes et engagements féministes. Lorsque Simone de Beauvoir publie en 1970 « La vieillesse », elle décrit un processus dont souffriraient plus les hommes en rupture avec leur identité sociale. Et il faudra attendre l’écriture de l’article fondateur de la féministe Susan Sontag, deux ans plus tard, pour conceptualiser la notion de double standart du vieillissement qui ne reconnait qu’une seule norme au féminin, celle de la jeune femme alors que les hommes bénéficient du modèle du jeune homme et de l’homme d’âge mur.
Vieillir serait (est) donc une course d’obstacle faussée dès le départ puisque les femmes partent avec un handicap. Des injonctions à planquer les signes du vieillissement et/ou à « vieillir avec grâce », les femmes d’âge moyen doivent leur salut à leur capacité à rester jeune le plus longtemps possible. Fiona Schmidt décortique les paradoxes d’une société qui répugne à vieillir à l’aune de son vécu.
Pourquoi s’intéresser au vieillissement à 40 ans ?
Je pense que le rapport de ma mère à l’âge a influencé mon propre ressenti. Elle fait partie de la génération de 68 et ne se voit pas vieillir, elle ne se considère pas en tant que vieille. Globalement, rien ne nous incite à nous préoccuper de l’âge. Nous planquons les signes du vieillissement, c’est une véritable hantise ! Personne ne parle de l’avancée en âge ou alors on l’angélise ! Quand j’ai passé le cap des 40 ans, je me suis enfin autorisée à traiter ce sujet qui m’obsédait.
Tu parles de ta propre expérimentation de l’âge, c’est une prise de conscience qui a démarré dès l’enfance ?
J’ai toujours été entre deux âges ! J’ai eu une puberté précoce et à 10 ans et j’avais l’air d’une ado de 15 ans. les hommes me traitaient en fonction de mon apparence physique, comme si j’en avais la maturité. L’apparence est importante, l’âge détermine la manière dont on nous traite. J’ai été précipitée dans l’âge adulte avec l’injonction de devoir conserver cette apparence toute au long de ma vie. On m’a renvoyée à mon âge très tôt, ce qui était inconfortable à cause de la sexualisation et de la responsabilisation précoce que cela a fait peser sur moi. Beaucoup de jeune filles sont les suppléantes de leurs mères, leur supposée maturité leur donne par exemple la charge de prendre soin de leur fratrie.
Le vieillissement pour les femmes est assimilé à une perte de séduction ce qui n’est pas le cas des hommes ?
J’ai grandi sans les magazines féminins qui étaient proscrits chez moI, avec des publicités pour des produits anti âge présentés avec des femmes de mon âge ! Notre apparence physique est normalisée et très indexée sur la fécondité, les moches sont incompétentes… Ne plus apparaitre jeune c’est être moche. Et dire que l’on est bien conservée c’est du sexisme et de l’âgisme, ce n’est jamais un compliment, comme toutes les expressions « vieillir avec grâce », « ne pas faire son âge » qui nous renvoient à des injonctions à rester jeune.
Cette vision du vieillissement très normée est bousculée par les femmes qui comme toi,sont childfree (sans enfant) ?
De plus en plus de femmes n’auront pas d’enfants par choix ou en raison de problèmes de fertilité. Ce qui est le cas d’un couple hétéro sur six aujourd’hui. Si l’on ajoute le recul de l’âge de la première maternité cela va changer l’âge des solidarités entre les femmes. On va devoir s’emparer de la question du vieillissement en dehors du regard des mecs. Il y a une vie joyeuse en dehors de la maternité contrairement au discours mortifère auquel on assiste. Le choix de la non maternité peut être épanouissant car il permet aux femmes de s’inventer en dehors de la construction de la famille. Mais ce choix n’est pas équivalent au choix de la maternité. La fille qui n’a pas d’enfant reste toujours la vieille fille ou la vieille folle.
Pourquoi le vieillissement est un sujet qui devrait être considéré par toutes les femmes y compris les plus jeunes ?
Il est absurde et contre productif de se préoccuper du vieillissement au moment de la ménopause, il faut déconstruire l’âgisme bien avant. Le vieillissement nous regarde toutes, c’est la question à laquelle on n’échappera pas. Nous sommes amenées à nous occuper des plus vieilles. Les femmes assurent un boulot colossal (aides soignantes, infirmières, personnel des ehpad …) du fait de notre éducation on s’occupe des vieilles et des vieux dépendants. Les très vulnérables et très mal traitées sont les femmes.
Est ce que tu constates néanmois que les représentations du vieillissement des femmes commencent à bouger ?
Les représentations commencent à bouger même si la parité n’est pas acquise, aujourd’hui il y a une féminisation des milieux de la culture. Les femmes de tous les âges ont réussi à percer en produisant d’autres récits, ce qui fabrique d’autres représentations. De Sarah Jessica Parker à Philippine Leroy Beaulieu, il y a de plus en plus de quinqua sexy à l’écran. Des films comme « Aurore » n’auraient jamais existé auparavant. Les séries sont devenues un terrain très féminisé, je pense à Grace & Frankie entre autres.
Malgré cela, les femmes de 50 ans et + à l’écran sont toujours peu présentes, comment l’expliques tu ?
Les femmes de 50 ans et + sont sont trois fois moins présentes à l’image que dans la vie, pour les hommes, leur représentation est proportionnelle à la place qu’ils occupent dans la société. Mais cette catégorisation utilisée par les statistiques et le marketing ne veut rien dire, à partir de 50 ans, les femmes sont des individus totalement interchangeables.
Quel message voudrais tu passer aux jeunes femmes ?
Le vieillissement est un problème de femmes, l’âge loin de lisser les inégalités les accentue ; en terme de travail à temps partiel les seniors sont plus impactés par le chômage, les familles monoparentales sont essentiellement composées de mères et d’enfants. La question n’est pas de cacher les rides ou les cheveux blancs, le double standard du vieillissement a bien un impact sur l’estime de soi.
Vieille peau de Fiona Schmidt – Editions Belfond