GISÈLE HALIMI AU PANTHÉON : LES FEMMES LE RÉCLAMENT

Gisèle Halimi
« Merci Gisèle Halimi » Marsac s/l’Isle (Dordogne), août 2020

Choisir la cause des femmes, l’association qu’elle a présidée jusqu’à sa mort en juillet 2020, a lancé la semaine dernière une pétition pour réclamer la panthéonisation de Gisèle Halimi. L’initiative rejoint d’autres appels à saluer cette grande figure de la République et du féminisme, digne de venir bousculer un peu le déséquilibre femmes-hommes au Panthéon. 

« Aux grands hommes la patrie reconnaissante », affiche le fronton du Panthéon. Mais où sont les femmes ? Dans l’édifice qui accueille les tombes ou les urnes funéraires des personnes qui ont marqué l’histoire de France, le déséquilibre entre femmes et hommes est flagrant : 75 hommes pour 5 femmes. 

Régulièrement, des collectifs féministes font donc des appels du pied. Leurs militantes rappellent le parcours exemplaire et l’engagement pour la France de plusieurs femmes, comme Joséphine Baker, Lucie Aubrac ou Olympe de Gouges. Gisèle Halimi est l’une d’entre elles. Choisir la cause des femmes, l’association qu’elle a cofondée en 1971 avec Simone de Beauvoir, a publié la semaine dernière dans Libération une tribune réclamant sa panthéonisation et a ouvert une pétition en ligne

Du côté des opprimé·es

À sa mort en juillet 2020, à 93 ans, des hommages lui ont été rendus, dans les médias ou dans la rue. Mais son enterrement a été un moment « extrêmement triste », explique Violaine Lucas, présidente de Choisir la cause des femmes : « Il y avait à la fois la douleur de la perdre et la douleur de constater l’absence des représentants du gouvernement. La secrétaire d’État des droits des femmes n’était pas là, le ministre de la Justice non plus alors qu’elle a été une grande avocate… » « Il a vaguement été question d’un hommage national, mais on sentait que c’était vraiment secondaire. Puis la crise sanitaire n’a pas favorisé ça… », soupire-t-elle.

Cette douleur a poussé l’association à l’action. « Gisèle Halimi s’est engagée dans les causes qui ont façonné le XXe siècle », rappelle en introduction la tribune, signée par plusieurs associations et personnalités féministes. L’avocate et ancienne députée, née en Tunisie en 1927, « comprit très tôt que son combat devait être du côté des opprimé·e·s et des oublié·e·s de la République : les peuples colonisés, les pauvres, les femmes ». Les Françaises et les Français lui doivent beaucoup. Elle contribua à la légalisation de l’IVG, à la dépénalisation de l’homosexualité ou à la dénonciation des crimes de torture en Algérie.

D’autres soutiens publics

La pétition lancée par Choisir la cause des femmes vient s’ajouter à une autre, lancée en août par Louise Dubray et qui a recueilli plus de 35 000 signatures. Psychologue à l’association WomenSafe, qui accompagne des femmes victimes de violence, elle voue une admiration profonde à Gisèle Halimi : « C’est une pierre angulaire dans mon féminisme, un modèle à suivre ». Pour elle qui côtoie au quotidien la violence subie par les femmes, Gisèle Halimi a fait beaucoup. « Depuis cinq ans, j’ai dû voir deux condamnations pour viols sur environ 500 femmes suivies. C’est une violence judiciaire. Gisèle Halimi est celle qui a permis d’expliquer toutes les conséquences d’un viol sur la vie des femmes. » Le procès d’Aix-en-Provence de 1978, où elle défendait deux jeunes femmes victimes d’un viol collectif et qui a conduit à la criminalisation du viol, est en effet gravé dans les mémoires féministes. 

L’association Les effronté-e-s, dont Louise est membre, a ensuite imaginé en octobre un happening devant le Panthéon associé à un événement en ligne en octobre, avec plusieurs autres associations et collectifs féministes. Puis le Conseil de Paris et Élisabeth Moreno, secrétaire d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes, ont également soutenu publiquement son entrée au Panthéon. Le rapport de l’historien Benjamin Stora sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie, commandé par Emmanuel Macron et remis en janvier, a recommandé à son tour l’entrée de Gisèle Halimi au Panthéon en tant que « figure d’opposition à la guerre d’Algérie ». 

Une réponse positive de la part du gouvernement semble cependant compromise pour le moment. La recommandation du rapport Stora a froissé « certaines associations de harkis et de pieds-noirs », qui « l’ont pris comme une insulte », a confié mi-mai à France Inter une source proche du dossier, en raison du rôle de l’avocate auprès des militants du FLN (Front de libération national). Une réaction que regrettent les féministes interrogées. « Emmanuel Macron a commencé son quinquennat en dénonçant le rôle de la France pendant l’Algérie. Il se contredirait lui-même s’il s’appuyait sur ces arguments pour y renoncer », assène Violaine Lucas. « Gisèle Halimi est une figure relativement consensuelle, on est vraiment très étonné. Si on pensait qu’il y avait un acte symbolique facile, c’était bien ça », affirme Claire Charlès, porte-parole des Effronté-e-s.

Les femmes doivent-elles être irréprochables ? 

Ce qui émerge, c’est aussi le «deux poids, deux mesures» réclamé aux femmes et aux hommes qui accèdent au Panthéon. « Quand il s’agit des femmes, elles n’ont jamais le CV parfait. Dans la mort aussi, il faut qu’elles en fassent toujours plus pour être dignes de rentrer au Panthéon, estime Isabelle Gillette-Faye, membre du Collectif des femmes au Panthéon. On va accepter des comportements de certains grands hommes, notamment des comportements d’un sexisme absolument effroyable, en étant capable de séparer l’homme de l’artiste. Alors que pour les femmes, non, il y a des critères supplémentaires. »

Claire Charlès abonde : « Le problème, c’est que les hommes ont le droit d’être non consensuels, tandis que les femmes doivent être irréprochables et faire consensus auprès de tout le monde ». « Il est temps que le Panthéon affiche un visage qui soit plus représentatif de la diversité des personnes qui ont fait l’histoire de France », ajoute-t-elle, en précisant que pour l’instant, l’institution est très masculine, mais aussi très blanche, avec seulement deux hommes racisés présents, Alexandre Dumas et Toussaint Louverture. Pour Isabelle Gillette-Faye, c’est un obstacle supplémentaire à lever pour Gisèle Halimi qui était franco-tunisienne, ou Joséphine Baker qui était noire : « Leurs origines ethniques, en plus de leur sexe, fait qu’on va toujours trouver quelque chose pour qu’elles ne puissent pas y rentrer. »

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