ELLES ONT CHOISI DE « LIBÉRER LA COLÈRE »

Genevieve Morand et Natalie Ann Roy co-directrices de l'ouvrage collectif "libérer la colère"
Genevieve Morand et Natalie Ann Roy ©Valérian Mazataud, Le Devoir

C’est une colère longtemps ravalée que Geneviève Morand et Natalie Ann Roy ont couché sur le papier. L’expression d’un sentiment réprimé par la « bonne » éducation quand on est une fille. Aux injonctions de « sois gentille, tiens toi bien, le collectif dirigé par les deux canadiennes sous le titre « Libérer la colère » donne la parole à 35 femmes de 20 à 65 ans. Une écriture libératoire lancée à la suite de l’affaire Ghomeshi (animateur télé accusé d’agressions sexuelles et acquitté). On a discuté de cette énergie salvatrice qui n’est plus un attribut de pouvoir masculin.

Geneviève Morand se plait à dire qu’elle a un cerveau gauche pour la gestion des organismes à but non lucratif (son job) et le droit pour les projets communautaires à forte dominante féministe. Natalie Ann Roy, designer graphiste se passionne pour les projets collectifs à caractère sociaux. Leur rencontre au sein de la rédaction d’un magazine pour adolescentes a nourri une correspondance pleine de colère suite à l’acquittement de l’animateur de radio Jian Ghomeshi. « C’était deux avant MeToo, cela a déclenché un mouvement de libération de la parole. On s’est dit tout va changer, on sera écouté. On cherchait la réparation et ca n’a pas eu lieu, parce que finalement on a fait le procès public des victimes dans les médias. Et puis il a été acquitté » résume Geneviève Morand. Le clavier de Natalie Ann Roy « fume » ! « il fallait qu’on puisse déposer toute cette rage accumulée, laisser de la place à cette colère ». 

On a pas à mettre la colère sous le tapis, se rendre malade et créer des sociétés fragilisées. Il est jamais trop tard. Des femmes disent : j’ai passé une vie à la nier, à l’enfouir. Cela devrait être comme une hygiène de vie.

35 témoignages de colère

Les deux amies font le tour de leurs réseaux, de leurs amies et lancent un appel à contribution. 35 autrices écrivent sur leur colère. Dépassant l’actualité des agressions sexuelles, les deux trentenaires souhaitent ancrer leur démarche dans un féminisme intersectionnel. « Nous souhaitions entendre d’autres colères liés au sexisme, au racisme, mais aussi aux colères des mères … » Chacune des colères exprimées renvoie à une construction sociale façonnée depuis l’enfance. « On met ça sur le dos des petites filles en leur disant, sois belle, tais toi » relève Natalie Ann Roy. Geneviève Morand rebondit, « On a appris à pleurer mais pas à se fâcher« . La colère réprimée se retourne contre soi, à l’image de cette femme qui croit éprouver tous les symptômes de la ménopause. En réalité, Juste ceux d’une immense colère refoulée !

La colère des femmes est un droit légitime

Les effets de la colère sur la santé mentale sont une constante des témoignages recueillis. Pourquoi ne pas l’exercer comme un droit légitime reconnu aux hommes comme une force virile ? « Si un mec tape du poing sur la table, c’est qu’il a une vision, qu’il ne se fait pas marcher sur les pieds. Moi, j’ai essayé. On m’a demandé en aparté est ce que tu vas bien ? »  s’indigne Geneviève Morand. Cette confiscation est une façon de retirer le pouvoir aux femmes et de les qualifier d’hystérique ou de folle, des mots à se réapproprier positivement. Le vocabulaire péjoratif qui accompagne la colère des femmes est un révélateur. « J’ai toujours voulu être une féministe gentille par opposition à la féministe frustrée perçue comme menaçante ». Peine perdue, la colère conjuguée au féminin est pourtant un outil puissant.

Je ne veux pas que mes filles deviennent un hastag. On a vécu 4 vagues de hastags, on s’énerve, on milite et les choses ne changent pas. 

La colère est une hygiène de vie

« C’est comme une hygiène de vie qui devrait nous servir au quotidien » martèle Natalie Ann Roy. La colère c’est l’émotion du « c’est pas juste ». Le collectif revendique cette énergie comme source d’action. Tout particulièrement, Mélissa Mollen Dupuis, militante de la cause des femmes autochtones au Québec. L’ouvrage construit une sororité en brisant l’isolement. « On se rendre compte qu’on partage toutes ces violences et que la colère est légitime » reprend Geneviève Morand. Un droit naissant qui devrait figurer dans l’éducation des filles et des garçons. « La prochaine étape est de poser la colère au centre du monde » afin de la positiver. Natalie Ann Roy s’inquiète toutefois du mouvement de « backlash » (balancier) à travers la montée des droites ultra réactionnaires. « Je souhaite que cette colère conduise à des actions positives à travers tous ces mouvements de haine ». 

Libérer la colère

Sous la direction de Geneviève Morand et Natalie-Ann Roy. Éditions du remue-ménage, 2018, 208 pages.

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