SOPHIE GOURION : « IL Y A UNE INJONCTION SUR CHAQUE PARTIE DU CORPS DES FEMMES »

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Sophie Gourion ©DR

Blogueuse fondatrice du site « Tout à l’égo » et du podcast « Corps et Ames » Sophie Gourion s’intéresse aux corps des femmes. A leur représentation et interroge toutes les normes que la société y attachent. L’ex conseillère de Laurence Rossignol, Ministre des droits des femmes de François Hollande évoque cette pression constante sur les corps féminins. Interview.

Pourquoi s’intéresser aux corps des femmes ?

C’est lié a mon parcours personnel et professionnel. J’ai travaillé 11 ans chez l’Oréal au service marketing. on étudiait la beauté, le corps sous toutes ses formes. Comment vendre en fait des complexes aux femmes. A l’époque je n’étais pas du tout féministe. Je n’avais aucun regard critique. J’ai quitté L’Oréal à l’approche de la quarantaine et j’ai lu le bouquin de Mona Cholet « beauté fatale » qui décrypte vraiment tous ces mécanismes de l’industrie de la beauté. Vendre des complexes date des années 50 quand on disait aux femmes vous ne trouvez pas de mari parce que vous sentez mauvais. Achetez du déodorant… Cà crée une espèce d’anxiété. Personnellement quand j’étais enceinte j’avais l’impression que mon corps ne m’appartenait plus. Les gens me touchaient le ventre sans me demander la permission. Chacun me disait faut que tu allaites , il faut pas que tu grossisses. Et je pense que c’est a ce moment là que je suis devenue féministe. On nous a tellement vendu la libération des femmes !

Le corps des femmes doit être très normé pour être acceptable ?

Un homme qui a les cheveux gris on le  trouve charmant et sexy. Une femme qui ne teint pas ses cheveux gris on dit qu’elle est négligée, idem pour les rides. Les standards de beauté ne sont pas du tout les mêmes. Il suffit de voir sur Instagram le nombre de femmes qui exhibe leur ventre sculpté à la limite de la réalité. On a des réserves de graisse qui se stockent sur les seins, le ventre et les hanches, c’est logique. Plus on avance dans la libération des femmes, le fait qu’elles travaillent de plus en plus, qu’elles s’émancipent, plus elles sont rattrapées par ce culte du corps. C’est ce qu’on appelle le backlash (retour de baton). A chaque avancée du droit des femmes elles sont rattrapées par quelque chose qui les fait régresser. Et le retour de baton est aussi pour les petites filles qui sont contrôlées sur leur façon de s’habiller. On paie toutes ces avancées.

Tu évoques sur ton blog les produits d’hygiène intime pour les petites filles ?

Il y a une explosion de ces produits et de la chirurgie intime pour blanchir le vagin, raccourcir les lèvres … Toute une industrie de l’esthétique intime chez les femmes. C’est l’industrie du porno qui a érigé en norme des vulves complètement lisses. On sait qu’on a pas besoin de ces produits. On transmet dès le plus jeune âge cette idée que le vagin était un organe à part un peu mystérieux.

Le corps des femmes fait toujours un peu peur par manque de connaissance. La reproduction, les règles, la ménopause … On est pas loin des sorcières ?

Il suffit de voir la dernière campagne qui incitait les femmes à aller chez le gynécologue. Médicalement il n’y aucune raison d’y aller tous les ans sauf maladie. Cette injonction n’existe pas pour les hommes. On ne leur intime pas l’ordre d’aller chez le proctologue tous les ans ! c’est en plus infantilisant. Le message était tu ne te poses pas de question, tu y vas ! La haute autorité de la santé dit que sans antécédents médicaux il n’y a pas de raison de faire des mammographies tous les ans. On ne sait pas trop bien comment marche le corps des femmes. Pour les adolescentes pas besoin de frottis pour avoir la pilule. Il y un déficit d’information entretenu par le corps médical qui infantilise les femmes. Moi je n’ai eu que des expériences catastrophiques avec des gynécos. Quand j’ai appris qu’on pouvait être suivi par une sage femme ça a été une révélation.

 

 

Qu’est ce qu’il faudrait pour que cette pression sociétale se relâche ?

On devrait en parler dès l’école. On devrait avoir des cours de nutrition pour expliquer le sentiment de satiété et en profiter pour parler de la diversité des corps. Il faudrait dire que la beauté est multiple. Et les parents devraient en parler. Mais en même temps ma fille me voit me peser tous les matins ! Nous sommes soumis à ces injonctions. Quand les marques se rendront compte que la diversité fait vendre il y aura diversité. Quand j’étais au ministère on avait reçu l’équipe dirigeante d’Yves Saint Laurent suite aux campagnes avec des filles squelettiques. Elle nous a dit quand on fait des études de marché on se rend compte que les femmes n’achèteraient pas un produit avec une femme un peu ronde. La réalité du marché c’est que les femmes n’en veulent pas. Ou est la frontière avec le feminism washing ? il faut éduquer nos filles et nos garçons.

C’est ce constat qui t’a amenée à écrire le podcast Corps et Ames ?

L’idée était de laisser la parole à d’autres femmes pour avoir une multitude de regards sur ce corps et se rendre compte que sur chaque partie du corps il y a une injonction. Par exemple il y a des injonctions sur les aisselles ! J’avais beaucoup aimé le travail de Sophie Cale qui décryptait les seins de façon décomplexée. Le podcast favorise l’imaginaire. On peut imaginer une femme grosse, mince,  blanche… il y a un coté universel qui est intéressant.

Quelle est ta définition du féminisme ?

C’est vouloir l’égalité réelle entre les hommes et les femmes, pas juste une égalité un peu fantasmé où on se dit tous les droits sont acquis il n’y a plus rien à faire. C’est une égalité réelle ou une femme n’ait pas peur de se balader la nuit, pas peur d’arpenter l’espace public en mini jupe de peur de se faire agresser ou traiter de tous les noms. Une femme n’a pas peur de dire qu’elle a de l’ambition, envie de réussir et que pour ca elle est prête à moins voir ses enfants. Ou alors une femme qui assume d’être au foyer parce que le féminisme c’est avoir le choix. C’est ne pas porter de jugement, plutôt que de dire encore une victime du patriarcat ! Il y a des femmes qui se sentent bien à la maison et le travail n’est pas forcément une source d’épanouissement non plus. La sororité c’est important. Malgré tout dans les courants féministes on est rarement toutes unies pour faire front parce on a plus tendance à mettre en valeur nos différences que ce qui nous unit.

Est ce que la politique peut faire quelque chose ?

L’égalité femme homme est le plus petit budget de l’Etat mais c’est pas nouveau ! C’est pas un sujet vraiment pris au sérieux. La ministre sert à faire évoluer les mentalités. Si elle arpente les plateaux télé c’est déjà pas mal ! Marlène Schiappa répète, elle fait de la pédagogie mais ça ne suffit pas. Il faut qu’il y ait des moyens derrière pour mener de grandes campagnes, pour aider les associations notamment celle qui gère le 3919. Il faut dire que jamais les associations ne se sont gavées avec l’argent public. Elles travaillent toutes en flux tendu. Il y a un vrai problème de financement et le droit des femmes est la dernière roue du carrosse. C’est pour ça que s’est créée la Fondation des Femmes. En Espagne ils ont investi des millions pour faire reculer les violences conjugales.

Le blog de Sophie Gourion

Corps et Ames le podcast à suivre ici sur ITunes

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