RÉFORME DES RETRAITES : LES FEMMES PÉNALISÉES D’UN BOUT À L’AUTRE DU SPECTRE DU TRAVAIL

reforme_retraites_femmes_2023
©wikicommons media

Le gouvernement a présenté les contours de sa réforme des retraites, qu’il souhaite faire adopter d’ici la fin du trimestre en vue d’une entrée en vigueur à la fin de l’été. Présentée comme plus « juste, notamment pour les femmes », de nombreuses données font douter de cet élan.

« Nous on veut vivre, pas juste survivre… » Sur l’air de « I will survive » de Gloria Gaynor,  « Les Rosies », affublées de leur bleu de travail et de leur foulard noué en référence à Rosie la riveteuse, ont remis le couvert aujourd’hui lors des manifestations contre la réforme des retraites. Ces femmes ont dansé et chanté pour mobiliser autour d’elles, pour dénoncer le report de l’âge légal de la retraite prévu par le gouvernement et demander « pour les femmes, qui triment, qui rament, l’égalité et la fin de la misère des salaires ».

Car les chiffres sont bien défavorables aux femmes. Leurs salaires sont en moyenne toujours inférieurs de 22 % à ceux des hommes (Insee). Côté retraite, c’est encore pire : leurs pensions de droits directs (c’est-à-dire sans droits dérivés comme la réversion après le décès d’un conjoint) sont inférieures de 40 % à celles des hommes (Drees, service des statistiques du ministère du Travail). Les femmes sont aussi majoritaires parmi les personnes touchant les plus petites pensions et le taux de pauvreté des femmes retraitée est sensiblement plus élevé que celui des hommes (10,4 % contre 8,5 %), un écart qui a tendance à se creuser depuis 2012, d’après le rapport du Conseil d’orientation des retraites, un organisme consultatif du gouvernement.

Les femmes, pénalisées d’un bout à l’autre du spectre du travail… La réforme des retraites souhaitée par le gouvernement viendra-t-elle corriger ces injustices et sera-t-elle favorable aux femmes ? Rien n’est moins sûr. Pourtant, la Première ministre Élisabeth Borne le soutient : l’objectif est de proposer « une réforme juste, notamment pour les femmes ».

64 ans, une gageure pour les femmes ?

Les femmes ont les plus bas salaires, ont les carrières les plus hachées, sont celles qui sont les plus contraintes aux temps partiels… Dans cette situation, difficile pour elles de prétendre pouvoir partir à la retraite au nouvel âgé légal qui passerait de 62 ans à 64 ans et de parvenir à la durée de cotisation de 43 ans pour avoir un taux plein. Ou il faudra partir avec une décote, ou il faudra attendre 67 ans, l’âge d’annulation de la décote, qui lui est maintenu. Un maintien d’ailleurs utilisé comme l’un des premiers arguments en faveur des femmes par la Première ministre.

Mais « où est donc le progrès ? », a répondu dans une tribune pour Le Monde Christiane Marty, ingénieure-chercheuse à EDF et membre du conseil scientifique d’Attac et de la Fondation Copernic, coautrice de Retraites : l’alternative cachée (Syllepse, 2013).  Actuellement, 60 % des femmes qui sont parties en retraite l’ont fait après une carrière complète, contre 75 % des hommes (Drees) et elles sont deux fois plus nombreuses que les hommes à continuer à travailler jusqu’à l’âge de la décote à 67 ans…

« Tout recul de l’âge légal de départ signifiera une prolongation de la situation précaire que vivent de nombreuses personnes – parmi elles, une majorité de femmes – entre la fin de l’emploi et la liquidation de la retraite », souligne également la chercheuse et militante. 37 % des femmes de la génération née en 1950 et 28 % des hommes n’étaient plus en emploi l’année précédant leur retraite (Drees), dont la moitié parce qu’elles étaient au chômage, en inactivité, en maladie ou en invalidité.

Retraites : un horizon toujours inégalitaire

Que répond le gouvernement face à ces données ? Que la durée de carrière des femmes s’allonge progressivement et que les inégalités femmes hommes se résorbent. Effectivement, l’écart se réduit au fil des générations : il y avait 54 trimestres d’écart entre les femmes et les hommes pour la génération née en 1928, contre 33 trimestres pour celle née en 1950 (Drees). Si l’on ajoute les trimestres validés au titre du chômage, de la maladie ou de la maternité, l’écart entre les femmes et les hommes se réduit encore. Il est passé de 41 trimestres pour la génération 1928 à 8 trimestres pour la génération 1950.

Malgré tout, cette réduction est très lente. Selon le Conseil d’orientation des retraites, la pension des femmes devrait atteindre 84 % de la pension des hommes en 2037 et augmenter ensuite plus modérément… sans jamais atteindre l’égalité : elle se stabiliserait autour de 90-92 % à l’horizon 2070.

Les solutions ?

De quelles manières serait-il possible de parvenir à des conditions plus égalitaires pour les femmes à la retraite ? Pour cela, il faudrait agir à la fois en amont en aval, selon l’économiste Anaïs Henneguelle, En amont, « on peut stimuler le taux d’activité des femmes (il faut dans ce cas agir sur les modes de garde qui est le principal frein actuel) ou on peut baisser celui des hommes (il faut alors les inciter à prendre des congés parentaux) et en luttant contre les discriminations salariales à leur égard », décrit-elle dans la newsletter féministe Les Glorieuses. Encore aujourd’hui, une femme sur deux réduit ou arrête complètement son activité professionnelle à l’arrivée d’un enfant, quand c’est le cas pour seulement un homme sur neuf.

En aval, « on peut calculer différemment les pensions pour mieux prendre en compte la situation inégalitaire vécue par les femmes sur le marché du travail, par exemple en majorant les périodes de temps partiel ou on peut supprimer le mécanisme de la décote, qui conduit à une « double peine » pour les femmes », ajoute-t-elle. 

Pour Christiane Marty, il est aussi nécessaire de remettre en question le modèle économique : « On ne peut pas continuer comme ça, à dire qu’il faut travailler plus, plus longtemps, et qu’il faudrait produire plus pour redistribuer plus ! La dégradation de la planète et du climat oblige à reconsidérer ce qu’on produit, à prioriser les productions utiles, celles qui répondent aux besoins sociaux et environnementaux, et à changer de vision ! L’enjeu des retraites, c’est tout à fait lié à l’enjeu féministe et écologiste. »

Lire aussi : EMPLOI DES SENIORS : L’INSTITUT MONTAIGNE PROPOSE DES PISTES



Laisser un commentaire

*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.