MONTER SA BOITE POUR CONTOURNER L’ÂGISME EN ENTREPRISE : ENTRE LIBERTÉ ET INSÉCURITÉ

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©Centre for Ageing Better

[ENQUÊTE]

Pour faire face à l’âgisme en entreprise, il peut être tentant de larguer les amarres pour monter sa propre boîte. Une liberté choisie ou contrainte, qui demande de l’accompagnement et ne représente pas forcément l’eldorado promis pour toutes.

« Certains employeurs ont préféré m’écrire qu’ils privilégiaient un profil plus junior, alors que c’est illégal », s’emporte Sophie Gourion. Il y a quatre ans, cette féministe revendiquée s’est retrouvée à rechercher un emploi à 45 ans, après avoir officié pendant 11 ans au service marketing et communication de L’Oréal, puis avoir été chargée de communication au ministère de la Famille, de l’Enfance et des Droits des femmes de 2016 à 2017. Elle a alors enchaîné les entretiens. Essuyé de nombreux refus. « Un employeur m’a même demandé si je savais ce qu’était Twitter et Instagram, alors que j’ai plus de 20.000 abonnés sur Twitter, que je tiens un blog, un podcast…. Clairement, il n’avait pas daigné regarder ce que j’avais mis sur mon CV », souffle-t-elle encore.

Lassée, elle s’est alors lancée sur la voie de l’entreprenariat : « Je n’en pouvais plus de me prendre des réflexions âgistes, alors je me suis reconvertie en freelance. » À l’heure des débats sur la réforme de la retraite, qui souhaite faire passer l’âge de départ de 62 à 64 ans, de plus en plus de femmes seront-elles contraintes d’emprunter ce chemin ?

Car encore faudrait-il trouver du travail, passé un certain âge. Certes le taux d’emploi des seniors est au plus haut niveau depuis 1975 avec 56 % des 55-64 ans en emploi en 2021 (Dares, direction des études du ministère du Travail). Mais il s’est accompagné d’un « sas de précarité », avec un tiers de cette tranche d’âge qui se retrouvent ni en emploi, ni en retraite (Drees, direction des études du ministère de la Santé). Et la majorité (66 %) des personnes subissant cette précarité sont des femmes. Les clichés continuent d’avoir la vie dure pour employer des femmes autour de la cinquantaine.

Créer son propre emploi pour contourner les contraintes

« Dans les secteurs de la communication ou des nouvelles technologies, il y a clairement du jeunisme. Passé 40 ans, c’est très violent de se faire taxer de senior, ajoute Sophie Gourion. Créer son propre emploi, c’est une façon d’échapper à ça et de montrer qu’on est toujours capable de travailler ». En 2019, elle est alors devenue consultante en gestion de carrière, en tant que freelance référencée au sein d’un cabinet. À son bureau ou en visio, elle en a vu défiler d’autres femmes « épuisées », « qui ne supportaient plus la vie en entreprise ». « Elles n’en pouvaient plus de la pression, de la réunionite. Elles étaient confrontée à un plafond de verre », décrit-elle. Comme pour elle, « la solution de facilité, c’était de se dire qu’elles allaient créer leur microentreprise pour avoir plus de liberté, pour gagner en équilibre de vie. »

Beaucoup des femmes qui réfléchissent à une reconversion auprès de Sophie Gourion reviennent de congé maternité ou ont des enfants en bas âge, moins sont des femmes de sa tranche d’âge. Attirées par une organisation de vie qui semble permettre de mieux concilier vie pro et vie perso, certaines lorgnent sur une vie de « mompreneuses », en référence au terme né aux États-Unis au début des années 1990 qui désigne les mères entrepreneuses, importé en France à la fin des années 2000. Chez les femmes de plus de 45 ans, le passage à l’entreprenariat est envisagé de manière plus prudente.

Chez l’association Force Femmes, qui accompagne depuis 2005 des femmes de cette tranche d’âge au chômage, entre 30 et 40 % d’entre elles choisissent tout de même la voie de la création d’entreprise. « On observe qu’il y a un peu plus de personnes qu’on accompagne qui vont vers l’entreprenariat ces deux dernières années, depuis le Covid, relate Sophie Fenot, déléguée générale de l’association. Certaines le font parce qu’elles ne trouvent pas d’emploi dans leur secteur ou dans leur zone géographique, le choix de l’entreprenariat est alors plutôt par défaut. Certaines le font aussi comme un vrai choix, envisagé comme deuxième partie de carrière. Ceci dit, cela peut être lié au fait qu’elles ont été «saoulées» dans leur dernier poste ou par le monde de l’entreprise… »

Des inhibitions propres aux femmes

Mais le cap est plus difficile à franchir passé un certain âge pour les femmes. Le service national de statistiques Insee recense ainsi 8,5 % de femmes âgées de 45 à 60 ans parmi les créatrices d’entreprise, contre 25,9 % pour les homologues masculins du même âge. Ce qui semble étonnant, alors que la charge d’éduquer des enfants est passée pour beaucoup d’entre elles. Alors que 47 % des femmes seraient prêtes à changer de métier par choix, elles ne sont plus que 25 % dans ce cas après 50 ans, relève également une étude menée l’an dernier par l’institut de sondage Ifop pour le cabinet de conseil en carrière pour les femmes Garance & moi sur la reconversion professionnelle des femmes.

En cause ? Le découragement et la crainte sur l’avenir, la contrainte financière et de temps, ainsi qu’un manque d’envie et d’inspiration. Cette dernière raison est particulièrement soulignée par les femmes de 50 ans et plus, rapporte la chargée d’étude de l’Ifop Chloé Tegny auprès du podcast Plaff. « L’autocensure joue particulièrement pour ce public », précise-t-elle. Difficile aussi de se projeter sans sécurité financière. Même après 30 ans de carrière, une femme gagne en moyenne 22 % de moins qu’un homme, d’après l’Insee. Ce qui freine les femmes à se lancer dans une reconversion et à monter leur propre activité.

Une approche du risque différente

Des différences genrées persistent également dans cette génération. « Les hommes vont avoir tendance à créer des entreprises plus grosses, à demander plus d’argent aux banques, à prendre plus de risques, dresse Sophie Fenot de Force Femmes. Alors que les femmes vont développer des boîtes plus petites. Elles vont plutôt créer leur propre activité pour en retirer leur propre revenu, plutôt que de créer des entreprises où il y a besoin d’investissement, de recrutement. » Pour elle, cela s’explique effectivement par une notion du risque plus mesurée, pour des raisons financières comme familiales. « Beaucoup de femmes seniors sont divorcées et ont vu leur train de vie chuter. Elles assument aussi plus facilement le rôle d’aidant d’une personne âgée ou malade ».

Pour contourner ces raisons, plusieurs cabinets ou associations accompagnent des femmes sur la voie de l’entreprenariat, à la fois en cherchant à leur donner confiance en elles et en leur transmettant les outils pour se lancer. C’est ce à quoi s’attèle en partie l’association Force Femmes pour les femmes de 45 ans et plus. Ou bien l’incubateur What’s Up Camille, pour la population de 50 ans et plus et dont les femmes représentent au moins 80 % des personnes accompagnées.

Un eldorado qui n’est pas pour tout le monde

Reste que l’entreprenariat n’est pas forcément l’eldorado promis. « C’est un mythe qui nous est vendu par Pôle emploi, le gouvernement et les magazines, sans mettre en avant la précarité de ce statut, le salariat souvent déguisé, la fausse liberté dans laquelle les femmes sont souvent enfermées », esquisse aujourd’hui Sophie Gourion. « Cela nécessite des compétences et des qualités que tout le monde n’a pas : il faut être une bonne commerciale, une bonne communicante, être autonome, savoir faire preuve de créativité. Cela on ne le dit pas aux femmes quand on leur suggère de créer leur entreprise », estime-t-elle.

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Elle-même s’est d’ailleurs pris ces difficultés en plein dans la figure. « J’avais une pression commerciale très forte et même en travaillant presque à temps plein, je n’arrivais pas me payer comme je l’aurais voulu. Mon activité avait pourtant bien décollé, même trop, au point où j’ai fait un burn-out assez violent l’année dernière. J’ai dû m’arrêter trois mois et j’ai découvert que je n’avais droit à aucune couverture sociale en termes d’arrêt maladie. » L’entreprenariat, un choix qu’elle avait pris sous la contrainte, elle en est donc revenue. Depuis la rentrée 2022, elle est de nouveau salariée et responsable de l’insertion professionnelle chez DesCodeuses, qui accompagne des femmes en reconversion vers les métiers du numérique. Et si, le mieux, c’était que toutes les conditions soient réunies pour que les femmes, passées 45 ans, se sentent légitimes soit à rester dans leur travail, soit à bifurquer comme elles le souhaitent ?

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