« LA SITUATION DES FEMMES S’AGGRAVE EN TURQUIE, POUR DES QUESTIONS DE POLITIQUE INTÉRIEURE »

Ursula Von der Leyen
photo Illustration ©Renew Europe

La Turquie s’est retirée fin mars de la Convention d’Istanbul, un texte visant à lutter contre les violences faites aux femmes. En visite cette semaine dans le pays, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a appelé la Turquie à revenir sur sa décision, sans succès.

La Turquie avait été le premier pays à ratifier en 2012 ce texte dont la rédaction avait été conclue sur son propre territoire. Malgré ce geste initial, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a publié fin mars un décret organisant le retrait de son pays de la Convention d’Istanbul, un traité international sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. Le texte, initié par le Conseil de l’Europe, une organisation pan-européenne de défense des droits humains, est juridiquement contraignant et est aujourd’hui ratifié par 33 pays. 

La Turquie justifie son retrait

En Turquie, des protestations ont eu lieu dans les plus grandes villes du pays, comme Istanbul et Ankara, réunissant jusqu’à plusieurs milliers de personnes. En Europe, de nombreux dirigeants et dirigeantes politiques ont condamné ce retrait. Mais le ministère turc des Affaires étrangères a répliqué que les droits des femmes turques étaient « garantis dans la législation nationale »« Il n’est pas nécessaire de chercher le remède en dehors de chez nous, d’imiter les autres. La solution est dans nos traditions et nos coutumes, dans notre essence », a expliqué le vice-président turc. La présidence turque estime que la Convention d’Istanbul « a été détournée par un groupe cherchant à normaliser l’homosexualité, qui est incompatible avec les valeurs sociales et familiales de la Turquie »

Ce retrait n’est pas une surprise

Ce retrait ne représente pas la mise en œuvre d’une promesse de longue date, mais il ne constitue pas une surprise, selon Didier Billion, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et spécialiste de la Turquie joint par J’ai Piscine Avec Simone. « Le pouvoir d’Erdogan est dans une situation compliquée, notamment au vu des mauvais résultats économiques. Pour diriger, il s’appuie sur un partenariat avec un parti d’extrême droite et les couches les plus conservatrices de la société turque », explique-t-il. Or ces manœuvres ont un coût : « Il est clair que la situation des femmes s’aggravent, pour des raisons de politique intérieure »

« Ramener les femmes à un rôle de mère et de femme au foyer »

Depuis l’arrivée au pouvoir de Recep Tayyip Erdogan, en tant que Premier ministre à partir de 2003, puis en tant que président depuis 2014, le régime a cherché à limiter la place des femmes dans le pays. « Il n’y a pas eu de régression formelle – l’égalité avec les hommes est toujours garantie au niveau juridique –, mais dans la réalité, il y a une volonté systématique de ramener les femmes à un rôle de mère et de femme au foyer », explique Didier Billion. En 2016, Recep Tayyip Erdogan déclarait ainsi qu’une femme sans enfant était « incomplète » et encourageait les Turques à avoir « au moins trois enfants ». C’est un contexte qui « n’est pas favorable à l’émancipation et à l’épanouissement des femmes », analyse le directeur adjoint de l’Iris. 

Pour lui, le président répond aux aspirations de la société turque en procédant ainsi. À l’exception des grandes villes du pays où vivent des classes moyennes plus occidentalisées qui aspirent à d’autres valeurs. « La société turque est majoritairement conservatrice », rappelle-t-il. C’est une société où des « crimes d’honneur » sont encore pratiqués, au nom desquels des femmes sont tuées chaque année par des membres de leur famille. C’est une société où 300 femmes ont été tuées par un homme de leur entourage en 2020, selon l’association turque « Nous mettrons fin aux féminicides »

En visite mardi en Turquie, Ursula von der Leyen a déclaré avoir demandé à Recep Tayyip Erdogan de faire revenir la Turquie dans la Convention d’Istanbul. « Les droits humains ne sont pas négociables », a-t-elle affirmé. La présidence turque est à l’origine d’un incident de protocole interprété comme une réponse informelle par de nombreuses personnalités et responsables politiques européens : l’absence d’un siège au côté de Recep Tayyip Erdogan pour la présidente de la Commission européenne.

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