ÉLISE THIÉBAUT : « NOUVELLES LUNES CHERCHE À CRÉER DU LIEN ENTRE GÉNÉRATIONS »

Elise Thiébaut
Elise Thiébaut © Pauline Rousseau

Hydre à deux têtes, « Nouvelles Lunes » est une newsletter écoféministe doublée d’une collection de livres courts et défricheurs chez Au diable vauvert. Sa fondatrice nous explique ce qui a conduit à créer ce double champ d’exploration.

À 61 ans, Élise Thiébaut a plusieurs carrières à son arc. Elle a été journaliste, a conçu des spectacles de feux d’artifice, a réalisé la signalétique de grands musées… Depuis plusieurs années, elle se consacre aussi à l’écriture d’ouvrages féministes. Elle a écrit sur les mutilations génitales [Le Pacte d’Awa, 2006, éditions Syros]. Sur les règles [Ceci est mon sang, 2017, éditions La Découverte]. Elle a aussi publié en 2021 une biographie de Françoise d’Eaubonne (1920-2005), autrice, militante féministe et écologiste française, qui a notamment inventé le terme « écoféminisme ».

Passionnée par cette pensée qui fait le lien entre la domination des femmes et celle de la nature, Élise Thiébaut a choisi d’explorer davantage ce champ en créant « Nouvelles Lunes ». Sous deux formes différentes. L’une numérique, diffusée par newsletter et envoyée toutes les deux semaines, au moment de la pleine et de la nouvelle lune. On y trouve une fiction, un poème ou un récit écrit par un·e autrice contemporain·e. L’autre papier, avec la publication d’ouvrages aux équinoxes et aux solstices dans une nouvelle collection qu’elle dirige aux éditions Au diable Vauvert. Le premier titre, paru en mars, est une réédition du pamphlet Le Sexocide des sorcières de Françoise d’Eaubonne.


D’où vient votre envie de créer Nouvelles Lunes ?

Cela faisait très longtemps que j’avais envie de publier des textes courts sur l’écoféminisme. Des textes fertiles, drôles, décalés. J’avais même créé une association à cette fin, il y a 15 ans. Mais la société n’était pas encore prête pour l’écoféminisme. La vitalité sur la question du féminisme dans l’édition n’était pas celle que l’on connaît aujourd’hui non plus. Puis l’envie est revenue à la faveur de l’écriture de la biographie de Françoise d’Eaubonne, de mon déménagement en Camargue et de ma rencontre avec Marion Mazauric, qui dirige les éditions Au diable vauvert.

Comment l’écoféminisme s’est-il imposé dans votre vie et votre projet ?

Je pense que j’ai toujours eu une sensibilité écoféministe. J’ai toujours pensé que la domination des femmes était la matrice de toutes les autres inégalités et violences. Pourtant, à 61 ans, je peux vous dire que j’ai passé la majeure partie de ma vie dans un monde farouchement opposé à la pensée écolo comme féministe. Pendant longtemps, les deux ont été considérées comme dépassées, inutiles, ringardes.

Je n’ai véritablement commencé à m’intéresser à la pensée écoféministe qu’après l’écriture de Ceci est mon sang, en 2017. J’ai découvert des liens très forts avec l’écoféminisme et j’ai appris à connaître Françoise d’Eaubonne, dont j’ai commencé à rédiger la biographie. Tout a commencé à faire sens pour moi. Plus je lisais et entrais dans cette pensée, plus elle me paraissait être la plus fertile pour créer le monde à venir.

L’écoféminisme propose une analyse de la pensée de la domination sous un angle anthropologique. C’est aussi une pensée queer parce qu’elle refuse la binarité, et donc la hiérarchie. L’écoféminisme est rassembleur et révolutionnaire.

Publier un texte de Françoise d’Eaubonne relevait donc de l’évidence pour le premier titre de la collection ?

Commencer une collection qui explore les champs de l’écoféminisme avec Françoise d’Eaubonne, c’était une manière de célébrer l’héritage de sa pensée. Dans l’écoféminisme, j’aime le refus du mythe de la génération spontanée : celle qui se serait faite toute seule, de manière indépendante. Un discours très capitaliste en somme… Avec Nouvelles Lunes, j’ai envie que les générations se rencontrent. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai proposé à Taous Merakchi [35 ans, autrice entre autres de Le Grand mystère des règles, Witch Please ou Vénère] d’écrire la préface de ce texte. Puis Le Sexocide des sorcières de François d’Eaubonne est un texte très drôle, pamphlétaire, dynamique ; parfait pour démarrer.

Vous trouvez qu’il n’y a pas assez de lien entre les différentes générations de féministes ?

Les clivages entre les générations sont mortifères. Dans notre société capitaliste et patriarcale, les seules personnes qui ont voix au chapitre sont jeunes et l’âgisme est épouvantable, surtout pour les femmes. Nous sommes aussi très tourné·es vers le présent, vers l’instantané. La mémoire des gens est facilement effacée. Il y a peu d’ancrage.

Rassembler les générations, cela permet de créer des connexions, de faire circuler les pensées, de partager les expériences. J’ai envie que Nouvelles Lunes serve à ça : à mieux se comprendre, mieux se parler, à remettre les choses en perspectives. Se rassembler, c’est aussi indispensable sur le plan politique. On doit refuser d’être renvoyées sur un ring où l’on s’accroche pour des petites phrases, car c’est exactement ce que les puissant·es attendent de nous.

Comment choisissez-vous les textes qui œuvrent à ce dialogue ?

Il y a des textes que j’ai découverts et envie de faire découvrir. D’autres que j’ai commandé à des auteur·rices. J’ai envie de sortir de la binarité et d’un féminisme ou d’un écoféminisme trop blanc et féminin. Puis j’ai envie que ce soit des textes drôles, accessibles, sensibles. La réhabilitation du sensible par l’écoféminisme, c’est quelque chose qui me touche beaucoup.

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