ELISABETH SCHEMLA : LE DROIT À L’ENFANT EST UNE QUESTION DE SOCIÉTÉ PORTÉE PAR LES HOMOSEXUELS

Elisabeth Schemla Salon du livre ©Sophie Quesnel
© Sophie Quesnel

Elisabeth Schemla, journaliste et auteure vient de publier « les homos sont-ils des hétéros comme les autres ? » Une enquête étayée de témoignages d’inconnus et de personnalités qui se mêlent à son récit autobiograhique. L’ex directrice adjointe de la rédaction de l’Express dresse un état des lieux de l’homosexualité 4 ans après l’adoption du mariage pour tous. Une vision anthropologique salvatrice qui dézoome les passions pour en saisir la question essentielle : le droit à l’enfant. Observatrice de la société, elle interroge le futur sans partialité et propose une réflexion sociologique qui pose des enjeux bioéthiques articulés autour du masculin féminin qui l’obsède. Entretien.

Pourquoi ce livre maintenant ?

Je suis à ce moment de la vie où l’on a envie de faire un point. Je suis sans arrêt confrontée à ce qui se passe dans la société pour les lesbiennes et les gays depuis une cinquantaine d’années. J’observe avec empathie, j’analyse les évolutions que peuvent être pour le meilleur ou le pire. Et je me suis dit qu’il serait intéressant de raconter tout ça. La trame en est mon expérience, elle me permet de montrer comment à chaque époque cela a évolué et vers quoi nous allons. Ce travail fait de récits tressés démontre qu’inéluctablement, notamment après le mariage pour tous, se pose la question fondamentale au cœur du livre : le désir d’enfant chez les homos, et donc la PMA et la GPA.

Comment avez vous dosé la part personnelle de votre récit ? Est ce que cela a été difficile de parler de vous ?

Je pense que je n’aurais pas fait ce livre du vivant de mes parents. Non pas que mes parents ignoraient ce qu’il y avait à savoir de moi, mais en raison du respect mutuel qui prévalait entre nous. Maintenant j’avance en âge et j’ai une liberté que je n’aurais pas ressentie plus tôt. Je n’ai eu aucune difficulté à parler de moi. J’avais en revanche une responsabilité profonde de savoir si les êtres de ma vie étaient d’accord ou pas. Et il a fallu que j’explique, que je dise ce que j’allais faire. C’était une responsabilité morale et affective. Mais tout s’est très bien passé notamment avec Yaël qui était centrale. En revanche il était beaucoup plus compliqué de mêler le récit autobiographique aux autres récits car ces derniers sont très souvent plus crus que le mien qui n’avait aucune vocation à être impudique. Tellement difficile que c’est ce qui m’a pris le plus de temps. Entre l’enquête et le moment de l’écriture j’ai eu énormément de mal à voir comment j’allais tresser ces différents éléments. Et puis un jour, je me suis dit : « puisque je veux parler de moi je vais commencer par le commencement. Ainsi, j’ai choisi de construire mon livre en suivant les saisons de la vie, de l’enfance à la maturité. Ensuite, j’ai décidé de faire de même pour toutes les générations de mes interviewés et de les faire entrer comme sur une scène de théâtre, à tour de rôle.

Comment vous les avez choisis ?

Il y a d’abord les incontournables célébrités, Ruquier, Fogiel, Taubira, Fourest, Bachelot, etc … Les autres, soit je les connaissais, soit j’ai comme on dit tiré des fils. Une partie de mon travail d’enquête et d’entretiens se situe en Normandie, une autre à Paris, une autre encore dans le midi. J’ai abandonné certains témoignages et j’en ai utilisé d’autres plus que je ne pensais.

Est ce que c’est une parole qu’il formulait pour la première fois devant une journaliste?

Oui pour certains. Je n’ai rencontré aucune difficulté et j’ai été stupéfaite par la liberté de la parole que j’ai rencontrée. Pour certains c’était presque une sorte de soulagement de témoigner.

Vous parlez de la question homosexuelle depuis les années 50. Constatez-vous une évolution concernant l’acceptation de l’homosexualité par l’entourage. Ya-t-il toujours les mêmes souffrances, notamment à l’adolescence ?

je pense que c’est un peu autrement en réalité. Pendant longtemps, jusqu’aux années 70/80, la douleur était énorme. Ce n’était même pas que l’aveu était difficile ou entraînait des conséquences qui pouvaient être tragiques, l’aveu était presque impossible. La société était toute entière construite « homophobiquement ». Les homos devaient se dissimuler. Le silence, donc le mensonge régnaient. Seuls osaient quelques individus au tempérament extrêmement trempé et qui voulaient vraiment vivre leur vie sexuelle et amoureuse telle qu’ils la ressentaient. Aujourd’hui l’aveu est plus que possible et paraît naturel. Il y a eu le PACS puis le mariage, l’évolution des mœurs, le débat sur les enfants pour les couples homosexuels, l’adoption… La loi, le droit. L’homosexualité est entrée dans notre société. Bien sûr il y a des résistances, les parents, la famille, notamment quand la religion occupe une place importante. Mais aussi l’école, et l’univers professionnel. Cette homophobie peut être très violente mais c’est à mes yeux une homophobie de défense, celle de pans de la société qui se crispent, se sentent menacés par les cette évolution. Cela n’a plus rien a voir avec la société que j’ai connue.

 

Dans le sport l’omerta est terrible (…) Dans le foot il y a encore plus d’homophobie que dans le reste de la société.(…) Pourquoi cette homophobie ? A cause du culte de la virilité. Plus la discipline fait appel à la virilité plus l’homophobie est violente. Ces gars sont ensemble nus dans les douches. Ils se tapent sur les fesses, s’étreignent, s’embrassent : il ne peut y avoir aucune suspicion.

 

Quelle part attribuez vous à la religion dans l’homophobie ?

Une part énorme. Fondamentale, car pour les trois religions c’est « l’abomination ». Le mot est très fort. Joëlle Berthoud qui s’occupe d’une ligne SOS depuis 15 ans raconte qu’elle a eu affaire à 21 suicides. Et c’est elle qui m’a le mieux raconté les choses. Pendant les mois de la manif pour tous, elle a été impressionnée par le nombre d’appel de garçons et de filles qu’elle a reçus : ils vivaient un drame terrible, ils étaient obligés d’aller à la manif pour tous emmenés par leurs parents pour gueuler contre eux mêmes. Mais le jeune clergé catholique est très franciscain. Avec ses propos sur l’homosexualité et les homosexuels, le pape a libéré les prêtres : il leur permet de mener sans entraves leur action pastorale. Et ils sont bien plus ouverts qu’on ne le croit.

Vous parlez d’homophobie de défense, par exemple vous dites que Frigide Barjot, (ex) présidente de la manif pour tous n’est pas homophobe ?

Elle n’a en effet aucun problème avec l’homosexualité. On ne peut pas ne pas entendre par exemple les arguments des gens de tous bords qui sont contre le mariage pour tous. De même, difficile de ne pas écouter Christophe Girard, le maire de gauche du 4ème arrondissement de Paris, ex adjoint de Delanoë à la culture, qui ne concevait pas avec son mari d’avoir un enfant par GPA. Alors qu’il a fait scandale il y a quelques années quand il a écrit un livre pour expliquer qu’il était père. Laurent Alexandre qui intervient dans mon livre vient de publier « la guerre des intelligences ». Il explique ce que c’est pour l’espèce humaine de savoir qu’aujourd’hui elle va pouvoir engendrer des enfants par procréation artificielle. Et que les homos sont au cœur de ce questionnement. C’est une question qu’on doit pouvoir mettre sur la table en toute tranquillité. Elle ni de droite ni de gauche cette question !

Finalement la question du mariage est issue du sida ?

Les lesbiennes ont perdu fondamentalement la partie avec le sida et avec le PACS pour de bonnes et de mauvaises raisons. Le sida n’a pas concerné les femmes. C’était les gays qui étaient concernés. Ils ont eu à se s’entraider pour survivre. Rappelons que le sida a fait 30 000 morts entre 1983 et 1995. Les féministes les ont soutenus mais c’était eux qui étaient porteurs de la douleur, de la nécessité de la survie. C’était leurs compagnons qui se retrouvaient jetés à la rue, sans aucun droit, par des parents qui n’avaient jamais accepté l’homosexualité de leur fils. La revendication d’une légitime sécurité a engendré le PACS. Cet acquis était intéressant pour les lesbiennes qui voulaient vivre en couple. Mais elles n’étaient pas les porteuses de cette revendication. Aujourd’hui, il y a en gros 8000 mariages homos par an. Ce n’est rien si on sait que les homosexuels représentent entre 6 et 10 % d’une population. Fin 2013 et en 2014, 65% des mariages étaient des mariages de couples de gays, en général vivant depuis très longtemps ensemble et qui officialisaient cette liaison. Ensuite, le mariage marque terriblement le pas, les chiffres sont en chute libre. Et ce sont les femmes qui en très peu de temps, en 3 ans, choisissent de se marier tandis que les hommes délaissent cette cérémonie. Aujourd’hui, c’est dans le mariage homo que la parité homme femme est la mieux respectée en France !

 

Les jeunes de moins de 25 ans dans le livre interrogés dans le livre ignorent que le mariage est issu de la volonté de protection du conjoint qui a émergé à cause du sida.

 

La peur des anti mariage concerne explicitement la remise en cause de la filiation classique ?

C’est incontournable : même artificielle, la procréation nécessite un homme et une femme. Des adultes décident qu’ils vont priver leur enfant d’une partie de leur généalogie. C’est une responsabilité énorme. En général, on cherche plutôt à dire à ses enfants voilà qui est ton père qui est ta mère. On ne peut pas balayer ca d’un revers de la main. Maintenant, si l’enfant grandira « normalement » ou pas : on n’en sait rien. La question du genre est pertinente sur la construction de l’enfant en revanche. On ne peut pas réduire les sexes à une similarité et au fait qu’ils sont superposables. Je pense qu’il y a là un grain de sable mais est-il pour autant destructeur pour l’enfant en construction ?

Vous parlez d’infertilité culturelle pour les homosexuels ce qui résume bien la question ?

C’est cela qu’ils réclament. Le changement anthropologique est là. Ils ne disent pas je ne peux pas faire l’amour avec une femme ou avec un homme ils disent je ne veux pas. Et je veux quand même un enfant et j’ai le droit d’avoir un enfant. Tout mouvement revendicatif réclame un droit. Si on invente pas le droit on obtient rien. En l’occurrence, il faut inventer un droit dont on a jamais encore entendu parler jusqu’ici dans l’Histoire : celui du droit à l’enfant. C’est la procréation artificielle qui ouvre le concept du droit à l’enfant. Ce droit implique une problématique : faut-il ou non accepter ce que réclame à la société une minorité, à savoir d’accepter qu’ils sont stériles culturellement.

Les prochaines évolutions nécessaires seront  liées à la procréation ?

C’est le nœud. La question du livre ne veut rien dire d’autre. On peut dire qu’homo et hétéro c’est pareil le jour ou on accepte ça.

Les évolutions majeures sont donc portées par les homosexuels ?

Absolument. On pourrait faire un deuxième livre les hétéros sont ils des homos comme les autres ? On est sur un oscillement extraordinaire constitué par le positionnement du curseur entre le masculin et le féminin. Les homos portent la PMA et la GPA. La PMA et la GPA ce sont de longs processus de décision, un parcours de combattant. On ne peut dire je monte un projet d’enfant comme une start-up. Ma start-up à moi c’est mon enfant, uniquement pour me faire plaisir ! Non, on a une responsabilité morale ! A partir du moment où la PMA sera légalisée pour les femmes, au nom du droit égalitaire des hommes diront pourquoi pas nous ? Que leur répondra-t-on?

Quelle va être la responsabilité du législateur ?

C’est une énorme responsabilité. Aussi importante que pour l’euthanasie.

La GPA pose la question de la marchandisation du corps des femmes…

Aux Etats-Unis les femmes sont totalement lucides sur ce qu’elles font, elles sont des êtres responsables. Il n’y pas d’exploitation. Quoique l’on en pense à titre personnel, difficile de trouver à y redire les concernant. Bien sûr, il s’agit là d’une GPA pour les riches : 200 000 euros pour un enfant. Mais il y a la GPA des pauvres, en Inde, en Amérique Latine … qui n’est pas acceptable. Les femmes sont exploitées comme ventres pour une poignée de dollars. Pourtant, on n’échappera pas à cette évolution. Henri Atlan, grand médecin, posait la question de la séparation entre sexualité et procréation avec la création de l’utérus artificiel. Quand les scientifiques inventent quelque chose ils s’en servent. C’est un changement considérable. C’est un big bang !

Quelle est la suite pour vous ?

Je tiens beaucoup à ce livre. Je le ressens comme un ouvrage de transition vers la fiction. J’ai aimé écrire sur moi. J’ai été intéressée par le processus de triche avec soi-même que comporte le récit, la recomposition incontournable. La fiction permet d’ouvrir tous les possibles que l’on porte.

Le prochain livre sera donc un roman ?

Je le crois.

 

« Les homos sont-ils des hétéros comme les autres ?  » Éditions de l’Observatoire

 

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