CONVERSATION AVEC ÉLODIE DRATLER

Elodie Dratler, fondatrice de Wominds
© Cyril Romand

Elodie Dratler, 50 ans,  est la fondatrice de la start up Wominds, une plateforme technologique qui répond à une ambition sociétale forte : porter, accompagner  et mesurer l’égalité professionnelle femme homme au sein des entreprises. Au cours de cette conversation nous avons décortiqué le parcours d’une femme entrepreneure qui n’avait pas les codes lorsqu’elle s’est lancée. De l’idée au concept jusqu’à ses récentes levées de fonds, elle décrypte les grandes étapes de son développement où s’invite la charge mentale d’une mère solo aidante. Une sacrée succession de challenges qui riment avec course d’obstacles. Une réponse détaillée aux injonctions qui nous disent d’oser ! Une femme qui nous inspire chez J’ai piscine avec Simone.

Etre une femme entrepreneure c’est un long cheminement dans ton cas ?

Pour moi l’entrepreneuriat c’est compliqué, en raison d’un manque de confiance non pas en ma vision mais en ma capacité à passer de l’artisane à l’entrepreneure , par autocensure, et parce que je crois souvent que je n’ai toujours pas les codes qu’on apprend dans les grandes écoles.

Peut-être que c’est bien de ne pas les avoir ?

Une jeune femme de 22 ans m’a demandée : « qu’est-ce que vous auriez aimé qu’on vous dise quand vous aviez cette âge là sur votre avenir ?»  j’ai répondu que j’étais très contente qu’on ne m’ait rien dit, que j’étais très heureuse d’ignorer tout le chemin à parcourir pour pouvoir relever les défis, parce que si on m’avait dit tout ce qu’il fallait faire ou être pour se déployer,  je ne l’aurais jamais tenté. Dans l’ignorance il y a cette naïveté, qui fait qu’on arrive à juste faire confiance à sa vision, à son envie d’agir. C’est ça mon moteur.

Je pense que c’est un atout, parce qu’on n’a pas l’angoisse de se dire qu’on ne va pas y arriver, mais peut-être que cela veut dire que tu n’avais pas d’attentes précises au moment où tu t’es lancée ?

J’avais en tête que cela allait forcément coûter. Je savais que petit à petit j’allais m’orienter vers une technologie, mais j’ignorais toutes les démarches que cela allait nécessiter. J’avais compris qu’il y avait une road map financière à mettre en place et aussi que les hommes ont plus de capacité à lever des fonds, à s’organiser pour trouver des associés alors que les femmes ont une démarche plus personnelle, orientée projet, impact, faisabilité financière raisonnable. Je me suis située au fil de l’eau entre ces deux pôles.

J’avais d’énormes barrières, et j’en ai toujours. Par exemple, me dire que j’allais lever des fonds est une démarche qui a nécessité que je gagne en confiance donc en compétence et en expertise sur mon domaine qui est l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Et auparavant, il a fallu que je reconstruise un réseau professionnel parce que je ne venais pas de ce monde-là.

C’est super important parce qu’on passe son temps à entendre qu’il faut construire un réseau mais il n’a pas forcément de rapport avec ce que tu fais après.

De façon très naïve je n’avais pas conscience que l’égalité professionnelle femme homme était un enjeu politique. J’avais en tête de répondre à ce que j’avais identifié en tant que femme célibataire, aidante travaillant dans le numérique. Déjà, nous sommes peu nombreuses. J’ai commencé il y a 20 ans dans le numérique, j’étais une très jeune maman célibataire et il n’y avait pas de maman dans l’agence dans laquelle j’étais.

Mon statut de maman solo a impacté mes choix puisque j’étais dans un univers où il fallait bosser jusqu’à 1h du matin et moi j’avais un bébé. il a fallu que je demande des dérogations pour que je puisse rentrer chez moi vers 21 heures et cela a déconsidéré mon travail, on me disais que je faisais des demi-journées ! J’ai été contrainte de démissionner parce que la pression que je subissais était trop grande.

Les difficultés d’être mère monoparentale dans un univers patriarcal, ou l’innovation et le pouvoir sont incarnées par des hommes jeunes, et où la charge de travail est très importante étaient ma réalité. Le monde a de ce point de vue beaucoup changé.

A cette époque Wominds n’est pas dans ton esprit ?

Wominds est arrivé 20 ans plus tard, j’ai fait toute une carrière dans le digital avant, toujours sur le fil de l’épuisement. J’ai construit une carrière dans ce milieu là jusqu’à des postes de direction commerciale, puis de direction générale adjointe.A ce moment-là mon fils est tombé malade et j’ai dû gérer une direction générale adjointe et un rôle d’accompagnant dans un contexte de maladie mortelle.

Comment tu tenais dans ton travail ?

Je suis arrivée à un niveau de stress et de fatigue où j’ai dû être en arrêt maladie pendant 8 mois, tout en accompagnant mon fils. Et tous les mois on me demandait “quand est-ce que tu reviens pour qu ’on s’organise ?”  À la fois il y avait une bienveillance et une tolérance nécessaire mais on ne me demandait pas comment je tenais le coup.

Puis cette entreprise a été approchée par des concurrents qui voulaient la racheter. Et comme il y avait beaucoup de doublons de postes, ils ont commencé à éliminer tout le monde, sans aucune réflexion sur comment on sort ces gens, qui on adresse,  est-ce qu’il y a un plan de reconversion etc.

Je me souviens que mon boss a osé m’appeler un lundi soir à 20h45, Il me remercie pour tout le travail que j’avais fait depuis quatre ans et me dit : « je voulais juste te dire que je ne pouvais pas te garder. Je voudrais savoir avec qui je négocie :  toi en direct ou avec ton avocat ? parce que j’aimerais bien que ce soit réglé avant la fin de la semaine ».

Empathie 0 – patriarcat 1, C’est d’une violence !!!

Il fallait que je trouve une avocate avant la fin de la semaine pour m’auto virer rapidement. Je me dis c’est quoi toutes ces start-up ? Il est où le capital humain ? C’est cette vulnérabilité forte, qui s’est révélée en conscience dans mon corps et dans ma tête à ce moment-là. Je me suis dit que les femmes sont vulnérables. L’histoire que je vis doit arriver à plein de femmes aidantes. Mon âge devenait compliqué aussi, puisque j’avais 45 ans et que je travaillais dans la Tech.

J’ai pu rebondir avec tout ce que j’étais, dans une PME, toujours dans le digital, où j’ai pris une direction marketing produit. Je savais que ça allait être ma dernière boîte dans le digital, j’ai signé le contrat, je les informe que je suis aidante, je leur dis de m’attendre sur des résultats mais pas sur des horaires. Je savais que je pouvais intégrer l’inattendu lié à une maladie lourde tout en délivrant.

Mais cette société a racheté une autre société et le rachat ne s’est pas très bien passé, les fondateurs ont décidé de vendre leur boîte. J’étais là depuis cinq mois, super fatiguée de l’année que je venais de traverser avec ce licenciement, la maladie. je décide de partir en vacances, et le jour où je pars ils me disent qu’ils souhaiteraient vendre l’entreprise et que je la rachète ! Je n’ai donné pas suite parce que je ne croyais pas assez dans le projet mais surtout je ne croyais pas assez en moi.

Un cas d’école non ?

Oui, Autre prise de conscience : parce que je suis une femme, je m’autocensure,  je ne suis pas à la hauteur d’une confiance qui pourrait me porter plus haut. Comme je n’ai jamais racheté de société, je pense que je ne suis pas du tout légitime.

C’est le syndrome de la bonne élève

Ca a été assez fulgurant. J’ai donné ma démission et je me suis autorisée à me dire que si ces personnes pensent que je peux être la patronne de leur boîte, peut-être que je peux être patronne de la mienne ! Mon domaine  sera la transformation des cultures d’entreprises :  féminiser pour que les femmes restent et viennent dans une entreprise. C’est comme ça que j’ai créé Wominds , women mindset.

C’est un chemin logique, il y a un vrai fil rouge dans ton parcours.

Oui en effet. Je me dis que je vais changer les représentations dans la sphère professionnelle et dans la société. Je me rends compte que la problématique est sociétale alors je construis plusieurs phases. D’abord je vais donner à voir des femmes et des hommes pour parler de problématiques sociétales au travers de Fix it by Womind, un podcast vidéo auto produit. Je voulais faire de la vidéo donc il fallait de l’argent, c’est là que je fais mes premiers pas dans le financement.

Je viens de la data, je savais qu’il fallait aussi mesurer les données pour transformer et combattre des écarts entre les hommes et les femmes dans les entreprises. Donc une plateforme, donc à nouveau un besoin de financement.. Et ainsi, la vision globale s’est imposée : wominds c’est de la sensibilisation, de la formation et du média.

Mais à ce moment-là il y a le Covid. En juin je pose toute ma stratégie et je fais sur Ulule ma campagne de Crowdfunding. Mon projet est sélectionné pour les Elles by Contrex, je suis lauréate du mois de juin 2020. Et mon fils retombe malade. Et je n’en peux plus.

Ce qui me frappe dans ton parcours c’est qu’il y a une répétition d’un schéma dans la façon dont tu avances mais c’est comme si tu montais quand même la marche suivante à chaque fois. Chacune de tes étapes professionnelles t’a préparée pour la consolidation de Wominds.

En effet, je me demande pourquoi je vis ça et qu’est-ce que je dois apprendre ? C’était mon MOJO, ne pas être victime de ma vie.

En janvier je commence les premières émissions de Fix It. Et ça change mon réseau car je rentre en relation avec des femmes et des hommes engagés sur des thématiques sociétales, politiques, et globalement sur la diversité.

Et à partir de là tu démarres une autre étape ?

Il faut que je crée un score wominds qui éclaire les problématiques de genre en entreprise, et pour cela j’essaie de trouver une spécialiste en psychologie du travail et sciences sociales. Ensuite il me faudra développer la plate-forme parce qu’il va falloir que l’on mesure toutes les données d’entreprise, que l’on pilote tout et qu’on transforme réellement. Voila le process.

Comment fais tu pour aborder la partie financière dont tu n’es pas experte ?

J’étais incubée chez Wacano puis chez Willa pour être accompagnée sur la partie du financement. Je savais travailler ma cible, mon offre, mes valeurs par contre comme je n’avais jamais été en lien avec le financement, il me manquait des connaissances sur le business plan. Mais même en étant entourée, je n’étais pas très douée. J’ai une vision de mes produits très complexe parce que le sujet l’est.

Je voulais suivre la roadmap classique de financement en allant chercher un prêt d’honneur, puis différents fonds auprès de la BPI comme la bourse French Tech sauf que j’avais passé la brève période d’amorçage, c’est-à-dire la 1ère et la 2de année où on peut faire cette demande. Quand on process des idées, ça prend du temps et on sort ainsi des critères d’éligibilité.

C’est le fait que tu ne sais pas que ces aides ont une deadline.

J’ai pris du temps parce que je ne voulais pas faire les choses seule, il y a toujours ce symptôme de l’imposteur et de la bonne élève réunis. Est-ce que je suis assez légitime ? J’étais sur mes fonds propres,  je me suis retrouvée dans le rouge. Je devais trouver une solution.

À chaque fois que ça ne va pas bien j’essaye de me dire : regardes la situation comme si c’était dans cinq ans, quel regard tu vas avoir dessus ? Est-ce que tu as des options et puis regarde cinq ans en arrière ce qui s’est passé, Regarde comment tu as rebondi.

De cette façon j’évacue mes émotions pour prendre un peu de recul. L’entreprenariat pour moi c’est difficile. Je suis tellement embarquée par mon sujet que je suis frustrée de ne pas pouvoir le faire aussi vite que je le voudrais.

Je trouve mon CTO, mais je n’ai plus de financement ! donc il faut que je fasse une levée de fonds. Et pour y arriver, je fais valoriser mon projet par une entreprise, qui l’évalue à 800 000€ pre-money, c’est sa valeur avant l’augmentation de capital.

Et ça te donne la confiance qui te manquait ?

Oui, c’est d’autant plus important que cette valeur est donnée par un tiers. En discutant avec des entrepreneurs, je me rends compte que lorsqu’ils lancent des projets Tech ils sont sur des valorisations entre 600 000 et 1 million d’euros. Je fais partie de la bande !

Mon objectif est d’aller chercher 120k€ via des business angel, puis d’aller chercher une subvention, puis une dette bancaire, puis une grosse levée. Dans ce parcours côté B.A, un investisseur était intéressé mais il hésita. On a rapidement compris qu’il fallait faire la différence sur la partie solution RH. J’ai décidé de créer des algorithmes liés à une analyse très poussée de l’impact du genre dans les carrières, à tous niveaux, tout au long de la vie en entreprise.

Quand on regarde les promotions au sein des entreprises ce n’est pas juste la répartition femme homme qu’il faut analyser, ou l’écart de salaire, mais bien toutes les différences par département, par âge, par ancienneté, par formation, par nature de départ, etc. Ce sont des croisements qui n’existent pas dans les logiciels actuels. Il faut être plus pertinent aujourd’hui parce que l’on sait que la population vieillit.

Des gros investisseurs arrivent et j’ai fini notre levée de fond au-delà de ce que je pensais lever.

Et tu fais tout ça en quelques mois ! Tu ne t’arrêtes pas là ?

J’ai un effet de levier pour continuer ma roadmap. J’ai dilué mon capital, j’ai cinq investisseurs et un associé qui est mon CTO. Maintenant je vais aller chercher du non dilutif, ça veux dire des subventions ou de l’avance remboursable. Je me fais accompagner pour me donner toutes les chances d’obtenir 400K€ en partie en subvention et avance remboursable.

C’est donc un effet de levier majeur ?

Oui les B.A et la Subvention permettent d’aller vers un prêt bancaire. Je peux ensuite refaire une levée, là mon objectif est de viser 1 million d’euros pour 24 mois auprès d’un fonds d’investissement.

Quelle est la différence entre business angel et fonds d’investissement ?

Ce ne sont pas les mêmes interlocuteurs. J’apprends la base des modèles de construction des VC (Venture Capital), en principe, il faut faire fois trois en CA tous les ans ! Ce sont des métriques que personne ne te donne. Je découvre qu’on accompagne seulement des gens qui font rêver et qui te montrent une ambition. Donc il faut un certain état d’esprit, une grande confiance en soi, une manière de rendre ambitieuse ta vision et ton projet.

C’est aussi mon expérience des subventions. Je me fait retoquer la première fois parce que je comprends que mon projet ne me plaît pas mais surtout que mes chiffres sont trop petits. L’année d’après je représente le dossier en mettant des chiffres que je sais que je n’attendrais pas forcément mais ça passe.

On travaille sur des indicateurs qui sont n’importe quoi, mais les investisseurs misent sur la vision d’un entrepreneur qui ose rêver grand.

Il faut donc dire aux femmes qu’elles apprennent à se valoriser , elles-mêmes ainsi que leurs idées, leur vision, leur audace, leur expertise.

Il faut aussi que tu te dises ce que tu as tellement réalisé !

Oui on devrait se féliciter parce qu’on n’y est allé seules sans être accompagnée, pas avec les bons bagages, sans avoir fait d’école de commerce.

Le monde de la finance n’est pas toujours adapté aux indicateurs d’intérêt et de performance de l’impact sociétal. De la même manière, nos critères d’éligibilité doivent être beaucoup plus longs parce que le changement de société est long.

Si on veut plus d’innovations sociales et technologiques, il faut du temps pour inviter le produit à naître et donc ramener des indicateurs de performance extra financières sur le devant des indicateurs de valorisation d’une entreprise. Des temps de production plus long pour intégrer tous ces projets là utiles à la société sont nécessaires. Parce que les mentalités sont difficiles à faire bouger, le taux d’usage et le temps d’adoption dans les organisations sont longs à obtenir.

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