Céline Bardet juriste et enquête criminelle internationale a conçu en collaboration avec la société Intech BackUp. Une plateforme numérique cryptée qui permet de sécuriser les témoignages et de fournir des données précieuses sur les auteurs de viols de guerre. Au sein de We are not Weapons of War, l’ONG qu’elle a fondée, ce dispositif est à l’oeuvre sur les zones de conflit. Un outil innovant qui pourrait faire ses preuves dans la lutte contre l’ensemble des violences conjugales et sexuelles faites aux femmes. Une vision inédite dont elle a regretté l’absence au cours du Grenelle consacré à cette question.
Le rapport très critique du Sénat met en évidence la « quasi-absence de mesures nouvelles » dans le cadre du Grenelle des violences conjugales. Cela vous a surprise ?
J’ai été étonnée que le Sénat faisse un rapport aussi critique, parce qu’il est très critique de facon factuelle. Au sein de WWoW nous ne travaillons pas sur la violence conjugale mais on est concerné de facon indirecte par les violences sexuelles. J’ai refusé de participer au Grenelle car je voyais bien qu’il y avait beaucoup de com mais pas de réflexion sur comment innover ? Si des choses ne fonctionnent pas, comment tente-t-on d’autres approches ?
Au delà de la formation, il faut mettre en place des procédures et des systèmes qui permettent à la police et à la justice de comprendre de quoi on parle, il y a encore énormément de travail.
Ce que dit très bien le rapport c’est que Marlène Shiappa a mis en avant des solutions qui existaient déja comme les psychologues dans les commissariats de police, la formation … Il y avait des approches innovantes qui n’ont pas été financées.
Dans le cadre de la lutte contre le viol en zone de conflits, vous avez développé un plateforme numérique cryptée qui permet de recueillir en toute sécurité des témoignages de victimes. Comment fonctionne BackUp ?
C’est un site web mobile qui a la forme d’une appli mais qui n’en est pas une. C’est important de le dire parce qu’on a un système qui fait que lorsqu’on le referme tout disparait des supports, il n’y a aucun historique, aucune trace.
Il a deux fonctions. La première est de permettre à n’importe quelle personne de s’alerter ou d’alerter quelqu’un, une interface avec un questionnaire qui permet de dire je me trouve à tel endroit, il m’est arrivé ça … La personne peut ajouter un contact et la victime est géolocalisée si elle le souhaite. De plus, on peut s’exprimer de toutes les manières possibles : enregistrer sa voix, attacher des documents, des vidéos, des photos… On aussi la possibilité de s’exprimer via des pictogrammes, des systèmes de sons car il y a des gens illettrés à l’autre bout du monde et l’interface doit être accessible à tous.
Cette fonction est très importante car elle garantit la sécurité des témoignages ?
C’est la seconde phase avec la plateforme d’analyse qui utilise l’intelligence artificielle, la blockchain pour suivre, archiver et sécuriser tous les dossiers que l’on reçoit, parce qu’on sait que les viols de guerre ont souvent lieu en masse et cette fonction permet de construire des dossiers judiciaires de façon plus rapide. Une fois que les dossiers sont complets, il y a une clé numérique d’entrée qui ouvre le dossier qui de ce fait n’a pas pu être altéré.
Nous collaborons avec la Cour Pénale Internationale sur différents dossiers. Notre force, c’est que nous sommes en contact direct avec des victimes sur le terrain, et nous les accompagnons au quotidien. La CPI n’a pas toujours cette possibilité, nous permettons donc cette médiation.
Lea Rose Stoain, Directrice adjointe et Chargée des opérations WWoW
Ce système serait adaptable au plan national pour lutter efficacement contre les violences faites aux femmes ?
Nous allons lancer BackUp au niveau mondial avant la fin de l’année. C’est une opportunité car nous pourrions concevoir une version adaptée aux violences conjugales et sexuelles en France. Ce serait l’occasion de lancer un pilote.
Cela permettrait aux femmes de porter plainte sans crainte ?
C’est une mauvaise approche de dire aux femmes d’aller porter plainte, d’appeler le 3919, car la majorité ne le fait pas. cela ne répond pas à la problématique. Avec BackUp nous adaptons le service à la problématique de la victime. Autant le viol de guerre et les violences domestiques ne sont pas les mêmes choses, autant il y a un retour d’expériences à tirer de ce que nous faisons contre le viol de guerre. Car nous savons que pour tout ce qui a trait aux violences sexuelles et conjuguales, il faut une approche hollistique. Un accompagnement à 360° parce que beaucoup de victimes ne vont pas témoigner. Les gens ont du mal à comprendre ça mais c’est une réalité.
En quoi cela permet d’accélerer la procédure pénale ?
Un des problèmes de la justice c’est qu’elle reçoit souvent des plaintes qui ne sont pas à niveau et c’est très difficile pour les victimes car les éléments juridiques suffisants ne sont pas là. Uen fois les données transférées, on passe au travail d’analyse juridique. L’intelligence artificielle au coeur de cette plateforme permet au système d’apprendre du travail d’analyse des juriste puis de le reproduire pour aller chercher les éléments pertinents à la constitution d’un dossier.
La lenteur de la justice en France est un phénomène aggravant pour les victimes ?
En France, je n’arrive pas comprendre comment la justice peut être aussi lente. Quand on voit que les procès d’assises ont lieu 4 à 5 ans après les faits minimum c’est incompréhensible ! Je travaille dans le monde entier dans des pays où on n’arrête pas de parler de réformes judiciaires, ce sont des pays qui sont en réforme permanente. En France on n’entend même pas ce mot là, il serait temps de réformer la justice et la police.
Votre expertise est mieux prise en compte à l’internationale où vous collaborez avec de nombreuses institutions ?
On travaille en partenariat avec des institutions locales, par exemple avec la police guinéenne qui met en place BackUp au sein de l’unité de lutte contre les violences sexuelles. Et ce sont des pays qui n’ont pas des moyens importants. Ca serait totalement adaptable en France afin de préparer un document dans l’optique du judiciaire.
On veut mettre à profit ce qu’on apprend avec WWOW au niveau national sur les violences conjugales, sexuelles…
Nous collaborons ainsi avec le niveau national, notamment l’OCLCH (Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité, les génocides et les crimes de guerre). Par exemple en Libye, nous avons déposé une plainte en compétence universelle, devant le TGI de Paris et une partie des éléments est issue de l’utilisation de BackUp avec nos réseaux Libyens.
BackUp vous permet de fournir des données en temps réel ?
BackUp basé sur ces alertes en temps réel génère des chiffres. On est capable de dire à tel endroit sur tel territoire il y a eu tant d’alertes entre telle et telle date. Ça nous permet de transférer ces éléments d’information par exemple aux Nations-Unis ou aux missions de maintien de la paix. A terme l’idée est d’en faire un outil d’alerte et/ou de prévention.
C’esst pour prendre une plus grande part au débat public que vous lancez une agence de consultation sur les grandes questions judiciaires ?
Nous lançons fin septembre avec Léa Rose Stoian une agence de conseils et d’expertises sur les questions plus larges de justice au niveau international. Elle sera le miroir de WWoW. Nous avons envie aussi de revenir apporter quelque chose au niveau national, notamment en terme de réforme de la justice. Nous venons de signer un contrat avec le service de probation pénitentiaire.
Vous déployez un outil innovant qui prouve que l’argent n’est pas LA solution ultime ?
Il faut qu’il y ait l’argent mais surtout qu’est ce qu’on en fait ? Quelle est la feuille de route ? Pendant des années on a dit il faut trouver un hébergement pour les femmes, mais à quel moment ce sont les femmes qui doivent quitter leur domicile ? L’Espagne a choisi une politique au sens littéral du terme. Et ça marche. En France on ne tombe que dans la réaction de pompiers, on sauve certaines personnes mais ça ne résoud rien et après tout rejaillit sur les associations. Il faut une prise de partie sociétale et d’éducation.
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