ROSELINE LALOUPE : « POUR QU’IL Y AIT UNE RÉVOLUTION RH, IL FAUT ACCEPTER QU’ON AIT ÉCHOUÉ »

Roseline Laloupe
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Ancienne RH devenue consultante indépendante, Roseline Laloupe fait partie des rares voix qui osent dire ce que beaucoup taisent. Sacrée Top Voice LinkedIn, elle rassemble plus de 92 000 abonnés autour d’une idée simple et subversive : remettre l’humain au cœur du travail.

Roseline Laloupe s’est imposée comme une voix singulière dans un univers où la parole est souvent formatée. Ancienne responsable RH, elle a quitté un système qu’elle jugeait déconnecté de l’humain pour créer Une RH qui vous veut du bien, devenue à la fois son laboratoire, sa tribune et sa signature.
Créatrice de contenu et Top Voice LinkedIn, elle aide aujourd’hui les professionnels — RH, entrepreneurs ou candidats — à développer leur visibilité et à repenser leurs pratiques managériales.
Son projet est né d’un constat, mais aussi d’un besoin de secouer les codes. « Je voulais faire réagir. Parce qu’il y a des RH qui se moquent complètement des besoins des salariés. Leur rôle, c’est de défendre la direction. Moi, je voulais inverser cette logique. »

Formée au sein d’un cursus classique en ressources humaines, elle découvre dès ses premières expériences le grand écart entre les idéaux affichés et la réalité du terrain. Dans les entreprises qu’elle fréquente, les services RH apparaissent isolés, cloisonnés, davantage préoccupés par le reporting que par l’écoute. « La communication ne descendait jamais, tout était hiérarchisé », résume-t-elle. Partout, la même mécanique, des managers obsédés par les résultats, des process qui étouffent l’initiative, une culture où la conformité l’emporte sur le sens. « Ils étaient là pour atteindre leurs objectifs, pas pour donner du sens », analyse-t-elle. Trop souvent, ajoute-t-elle, les RH se déchargent de leur responsabilité sur la direction générale. « L’intelligence émotionnelle, les soft skills, tout ce qui relève de l’humain, ça n’intéresse plus personne. »

Chercher un candidat, c’est comme chercher un partenaire

Fatiguée de ce grand écart, elle quitte le salariat pour fonder Une RH qui vous veut du bien, son laboratoire, mais aussi sa tribune. Sur LinkedIn, ses prises de position tranchent avec le ton convenu de la profession. Ses publications, suivies par une communauté grandissante, abordent sans détour les angles morts du métier. « Dès qu’on pointe un dysfonctionnement, on nous accuse de faire du bashing RH. Pourtant, pour améliorer un métier, il faut commencer par reconnaître ce qui ne va pas. » Ce franc-parler lui vaut autant de critiques que d’adhésion, mais il a le mérite d’ouvrir un espace de réflexion que beaucoup jugent salutaire.

Au fil de ses analyses, elle observe combien les entreprises ont transformé le recrutement, supposé moment de rencontre, en une mécanique impersonnelle. « Chercher un candidat, c’est comme chercher un partenaire : il faut écouter, dialoguer, donner du feedback. » Une métaphore amoureuse qui prend tout son sens à l’ère du ghosting. « La séduction devrait être réciproque : le candidat fait un effort de présentation, l’entreprise aussi. Mais aujourd’hui, la “marque employeur” est devenue un vernis vide. On se met en scène sans écouter. » Les candidatures s’accumulent sans réponse et les échanges se réduisent à des messages automatisés. « Le manque de temps n’est qu’un prétexte. Ce n’est pas une question de planning, mais de considération », insiste la consultante. En traitant les postulants comme de simples « unités comptables », les entreprises détruisent un lien de confiance essentiel. « Le candidat d’aujourd’hui peut devenir le client ou le partenaire de demain. Chaque silence ferme une porte. »

L’entreprise, un monde d’hommes impensé pour les femmes

Cette logique d’optimisation à tout prix se double, pour les femmes, d’un second filtre, celui du corps et de ses transformations. « L’entreprise reste un monde d’hommes. Les sujets qui concernent les femmes – maternité, charge mentale, ménopause – n’ont pas leur place dans les discussions RH. On ne parle pas de la vie des femmes au travail, parce qu’on ne l’a jamais pensée. » Cette invisibilisation a des conséquences concrètes, mesurables en perte de confiance, en autocensure et en décrochage professionnel. Le silence actuel autour de la ménopause illustre ce déni collectif. En France, le sujet reste tabou, et rares sont les organisations prêtes à le prendre en compte. Pourtant, quelques initiatives émergent, souvent dans des start-up dirigées par des femmes. « Le mouvement viendra d’elles, de celles qui osent créer, communiquer, lancer des podcasts et imposer ces sujets dans le débat professionnel. »

À cela s’ajoute l’âgisme, discrimination tenace qui freine les organisations et perpétue les stéréotypes. « Dans une start-up où la moyenne d’âge était de trente ans, le dirigeant m’a dit : “Je ne recrute plus personne au-dessus de quarante ans, ce n’est pas assez productif.” » se souvient Roseline Laloupe. Une phrase, prononcée sans gêne, symbole d’une culture où la jeunesse est synonyme d’efficacité et l’expérience d’obsolescence. « Beaucoup de dirigeants pensent la même chose, même s’ils ne le disent pas. On continue à valoriser la performance immédiate plutôt que la maturité. ».

Une révolution RH qui tarde

Elle établit un parallèle entre cette discrimination d’âge et d’autres formes d’exclusion au travail. « Certaines entreprises préfèrent payer une amende plutôt que de recruter des profils jugés “coûteux” : des seniors, des femmes, des personnes handicapées. C’est une question de mentalité, pas de finances. » Dans ce paysage, les femmes de plus de quarante ans paient le prix fort avec la double peine du genre et de l’âge, duo gagnant de leur invisibilisation.

Pour la stratège en communication, la clé du changement passe avant tout par une parole plus juste. Le discours RH, trop souvent lisse et inspirant, a perdu son ancrage dans le réel. « On parle toujours de réussite, jamais d’échecs. » Contrairement aux Anglo-Saxons, où l’échec fait partie du processus d’apprentissage, la culture française en a fait un tabou. « En France, un échec abîme la réputation. C’est absurde. » Roseline Laloupe plaide pour une communication authentique, où les dirigeants oseraient reconnaître leurs erreurs. « Les gens n’attendent pas des entreprises parfaites, mais cohérentes. La confiance renaît quand on ose dire qu’on s’est trompé. »

Et c’est probablement à cette condition qu’une révolution RH pourrait avoir lieu. Avec un léger espoir, elle observe que de plus en plus de responsables quittent les grandes structures pour exercer en indépendantes. « Sortir du salariat, c’est reprendre le pouvoir sur ses décisions. » Elle se montre en revanche sceptique face à la promesse technologique.« L’intelligence artificielle va permettre aux RH de traiter plus de dossiers, pas d’être plus humaines. » Mais aucune transformation durable ne se fera sans lucidité collective. « Pour qu’il y ait une révolution, il faut accepter qu’il y ait un problème. La révolution commencera le jour où les RH diront : on a échoué. »

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