MARCHE DES FEMMES : LES JOURS D’APRES

Women's march in Lexington ©Sarah Hart Landolt
Women’s march in Lexington ©Sarah Hart Landolt

Le 21 janvier à Washington DC un demi million de femmes a salué à sa manière l’investiture de Donald Trump. Mickaël Moore, Madonna, Scarlett Johansson, Alicia Keyes ont associé leur voix médiatiques aux slogans scandés par une majorité de femmes anonymes. Dans la ferveur d’une sororité nouvelle, elles ont convergé vers le Capitole pour défendre leurs droits menacés par le programme du nouveau président. Banalisation du sexisme, remise en cause du droit à l’avortement, suppression des subventions pour le planning familial, discrimination raciale et sexuelle. Autant de colères portées par des femmes aux luttes pourtant distinctes. Les causes féminines défendues par les minorités noires, hispaniques, LGBTQ  (Lesbien, Gay, Bisexuel, Transgenre, Queer) ont été élargies aux questions climatiques, éducatives, de santé et des droits civiques. Elles se sont agréger pour faire de la marche le carrefour de toutes les résistances. Témoignages.

Elles sont unanimes. Washington DC est une ville qui cultive la diversité. Quinn Pregliasco, 27 ans, travaille dans une entreprise qui promeut l’économie locale par le biais d’initiatives immobilières communautaires. Elle a quitté le Kentucky il y a dix ans. « C’était incroyable pour moi de venir étudier et vivre dans une ville où être homosexuelle ne m’interdisait pas de me marier, d’adopter un enfant et de faire avancer ma carrière ». Heather Coleman, 45 ans, est blanche et a aussi grandi dans un autre Etat, le Mississipi. Un territoire où elle n’a jamais rencontré le moindre démocrate. « Je suis la seule démocrate de ma famille et mon père plaisante toujours en disant que c’est ma tare de naissance » ! Mariée à un noir musulman travaillant pour une institution gouvernementale, Heather mesure l’impact de la politique de l’administration Trump. « C’est une sensation étrange, Quand on est élevé aux Etats-Unis, vous pouvez dire ce que vous voulez à l’école parce que c’est un pays libre. Maintenant je ne suis plus sûre que mes enfants (deux filles de 9 et 7 ans, un garçon de 5 ans) auront cette liberté d’expression, c’est la première fois que j’ai peur ».

 Ce sentiment ne se vit pas seulement à l’échelle politique. Il a des répercussions profondes au sein des familles américaines. « Beaucoup de gens vont vivre une grande solitude ». Comment parler ouvertement de ses convictions politiques quand on risque de perdre sa famille. Heather Coleman connaît le prix de l’engagement. « J’ai du prendre une décision quand j’ai choisi mon mari, je sais ce que cela implique même si aujourd’hui mes parents l’adorent ». Pour libérer la parole, les Pantsuit Nation, ( la Nation tailleur pantalon) symbole vestimentaire du ralliement à Hillary Clinton ont essaimé des groupes fermés sur Facebook. Sur invitation, les membres y expriment librement leurs idées politiques. « Je pense que la marche a transcendé ces groupes virtuels et a permis de se retrouver face à face».

 

L’administration Trump a visiblement l’intention de départir le gouvernement de son pouvoir régulateur pour laisser les citoyens en proie aux plus puissants.

 

A plus de 600 km de la capitale fédérale, Sarah Hart Landolt s’exprime librement. Elle a participé à la marche organisée dans sa ville. Célibataire de 31 ans, artiste et enseignant le français à l’université, elle vit à Lexington. Une ville bleue – couleur des démocrates – dans le Kentucky, Etat républicain rouge vif sur la carte électorale. Malgré ses inquiétudes elle relativise. « Je me rappelle qu’après la victoire d’Obama, il y avait des manifestations du Tea Party et à l’époque je trouvais ça stupide ! Les conservateurs disent ça de nous aujourd’hui ». Sarah se prépare à un engagement de longue durée à l’instar de l’un de ses amis . « Il  n’a pas marché parce que ce n’est que le début. Trump va nous donner l’occasion de participer à plein d’autres manifestations ». Un mode de protestation plutôt rare de ce côté de l’Atlantique comme le souligne Josiane Faubert, franco gabonaise de 40 ans, mariée, mère de trois enfants et gestionnaire d’une banque d’images. Elle a quitté la France en 1990. Réinstallée à Washington après 6 ans de vie à Londres, elle a acquis la nationalité américaine il y a tout juste un an. « J’étais très enthousiaste à l’idée de voter pour la première femme présidente des Etats-Unis ! Jusqu’à la dernière minute j’étais persuadée qu’il y aurait un revirement de situation. Le résultat de cette élection a été un coup de massue ».

 

la marche des femmes-2 Washington DC ©DR
la marche des femmes Washington DC ©DR

 

 

Sonnées aussi par le résultat des urnes, Bonnie Sen (33 ans) et Judy Licht (58 ans) expriment une colère apaisée par l’action collective. Photographes à Washington, elles dénoncent la fracture de la société américaine. « L’une des méthodes de Trump est de nous diviser par la peur plutôt que nous réunir par l’espoir ». Bonnie a posté pour la première fois sur son fil Instagram professionnel une photo légendée « J’ai participé à ma première manifestation, aujourd’hui je suis fière d’être une washingtonienne ». Ré énergisées par l’ampleur du mouvement des « pussyhats », Judy craignait que la marche ne dépasse pas le cadre originel de la défense des droits des femmes. «Les noirs, les blancs, les hommes, les femmes, les pauvres, les riches, les urbains, les ruraux, tous doivent présenter un front uni pour aborder des grandes questions comme le climat ». Une évidence pour Josiane. « Quand on marche pour les femmes on marche aussi contre le racisme, pour un meilleur système de soin, pour l’égalité des salaires, pour les droits LGBT et tous les autres droits car les femmes sont impliquées dans tous ces domaines ». Heather y puise un élan patriotique endormi.
 

Nous devons nous interroger sur ce à quoi nous croyons profondément. C’est très positif car c’est quelque chose que nous n’avons jamais eu à faire jusque là. Cela va nous obliger à défendre la démocratie

 
Cette prise de conscience démocratique pourrait avoir un impact bénéfique sur le soutien au mouvement afro-américain Black Lives Matter (la vie des noirs compte). En réponse aux meurtres de noirs par des policiers, les manifestations organisées jusqu’à maintenant ont été peu soutenues par les blancs. « Si vous êtes un homme blanc et chrétien, tout ceci ne va pas affecter votre vie, pour notre famille c’est différent » note Heather Coleman. Quinn Pregliasco estime que beaucoup de blancs approuve BLM, mais qu’ils n’ont jamais protesté car ils ne savaient comment s’impliquer. Aujourd’hui c’est chose faite. Josiane Faubert tempère. « Il est vrai qu’une mobilisation plus importante permettrait une plus grande sensibilisation autour de ce sujet. Malheureusement il y beaucoup d’idées fausses à ce sujet ».

La démonstration de force des femmes à Washington a donné la marche à suivre à travers tous les Etats-Unis. Paradoxalement certaines actions seront sans effet à Washington. Le harcèlement téléphonique préconisé auprès des élus est sans objet à DC faute de représentant au Congrès. Peu importe. Heather continuera à défiler en portant sur son sac des rubans au nom de ses enfants. Josiane fait régulièrement des dons à un organisme qui défend les droits des femmes. Quinn militera jusqu’à ce que le Congrès comprenne le poids que représente l’union des minorités. Sarah pense à s’engager de façon artistique. « C’est juste le début ».

 

Sophie Dancourt avec Sandrine Boyer Engel – photos ©Sarah Hart Landolt, ©Heather Coleman

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