NINA BOURAOUI : « LES FEMMES RESTENT ENCORE DES PROIES DANS TOUS LES PAYS DU MONDE, MEME EN OCCIDENT»

Nina Bouraoui
Nina Bouraoui

Née d’un père algérien et d’une mère bretonne, Nina Bouraoui interroge dans son premier roman écrit à 24 ans « la voyeuse interdite », la place de la femme dans une société fermée. A Alger où elle a vécu ses 14 premières années, elle observe la violence des hommes et construit une œuvre romanesque portée par la quête de l’identité entre deux mondes.

La romancière a publié à la fin de l’été « Beaux Rivages ». L’histoire d’une rupture sentimentale à l’ère du numérique. L’héroïne quittée par sms ne peut s’empêcher d’épier sa rivale sur les réseaux sociaux. La froideur de la technologie impose une double peine.

 

« On aime plus comme avant et on est plus quitté de la même manière. Avant on avait le droit au silence mais aussi à l’espérance. L’autre reviendra peut-être… Aujourd’hui on nous impose une cruauté quotidienne, c’est quelque chose de l’ordre de la vitesse des sentiments, des désespoirs, des rencontres, des ruptures. Humainement nous avons perdu beaucoup, totalement régressé ».

 

L’occasion de parler de sentiments, de féminisme et d’homosexualité avec l’auteure à la double culture franco algérienne.

Est-ce que votre vie en Algérie vous a rendu sensible au féminisme ?

Je suis très sensible au féminisme car j’ai vécu dans un pays masculin très violent pour les femmes. En Algérie ma mère qui était blonde aux yeux bleus s’est retrouvée dans des situations très périlleuses dans la rue. Ma mère est arrivée dans les années 60 à Alger, c’était une idéaliste, une révolutionnaire. Avec mon père, ils faisaient de ces intellectuels très optimistes sur l’avenir de l’Algérie indépendante. La condition de la femme je l’ai vécu à travers ses yeux. Elle a été agressée plusieurs fois, mais elle n’a jamais haï ce pays qui était celui de son mari et de ses enfants. Elle n’a jamais été raciste. Je l’ai trouvé très forte.

En même temps vous avez une nostalgie de ces années ?

Ma mère est tombée folle amoureuse de cette terre algérienne. C’est elle qui nous a fait découvrir notre pays avec ma sœur, elle nous a emmené dans le désert. Mais dans ce pays, les femmes ont une place délicate et nous sommes parties car ma mère ne supportait plus cette pression. Les femmes restent encore des proies dans tous les pays du monde, même en occident, on court toujours un risque dans la nuit, ou quand on voyage seule.

L’indépendance des femmes est dans votre ADN ?

Ma grand mère née en 1912 était dentiste, la seule dans sa promotion. Mon arrière grand-mère travaillait aussi. Je fais partie d’une famille où les femmes ont toujours travaillé. L’indépendance, ça c’est mon terreau, j’ai toujours été élevée ainsi.

De quelle façon êtes-vous féministe ?

Je trouve qu’un homme et une femme doivent se respecter et ne pas se faire la guerre. Il n’y a pas deux camps qui s’affrontent. il faut que les hommes sachent que les femmes sont toujours encore en situation de fragilité et qu’une femme qui écrit ce n’est pas comme un homme qui écrit. J’ai l’impression que l’on doit toujours faire nos preuves, toujours plus ! Le combat est loin d’être achevé. Il faut être très vigilant parce qu’il me semble que les jeunes femmes de 20 ans ont l’impression que c’est fini, que nous avons acquis nos droits. C’est pas vrai, les droits peuvent encore reculer.

Vous pensez à la manif pour tous particulièrement ?

Oui, tout ça n’est que le produit de l’ignorance et du fantasme ! Cà ne changera que par l’instruction. il faut enseigner la tolérance à l’école très jeune. L’autre est différent mais il est peut-être aussi comme toi et il a droit d’avoir les mêmes droits que toi et il ne t’enlèvera rien. Quand je les voyais défiler, ces gens là sont dans leur haine. Il y aussi un effet de meute. C’est horrible ! Elle est forte et se sent supérieure.

Comment expliquez-vous ce rejet de l’homosexualité ?

On a peur parce qu’on a une part en soi qu’on ne gouverne pas, on a des pulsions qu’on ne veut pas admettre. Les gens les mieux dans leur sexualité et les plus tolérants sont ceux qui sont le plus épanouis dans leur identité. C’est difficile de savoir qui on est vraiment, qui on aime vraiment. C’est un cheminement, et puis il faut être courageux pour être homosexuel. Savoir qu’on ne sera pas dans la norme, qu’on sera regardé différemment.

 Sophie Dancourt – photo © Sophie Dancourt

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