PATRICIA RICARD, L’OCÉAN DANS LE SANG

Patricia Ricard
Patricia Ricard présidente de l’Institut Océanographique Paul Ricard

Au delà de la défense des océans qu’elle a reçue en héritage Patricia Ricard milite pour que les « sociétés humaines vivent en bonne intelligence avec la biosphère ». Un crédo comme une évidence pour la petite fille de Paul Ricard, créateur du « vrai pastis de Marseille ». Marquée par une enfance passée à explorer la mer au côté des son grand père et d’Alain Bombard, nourrie par les exploits de la Calypso, la présidente de l’Institut Océanographique Paul Ricard plaide pour la préservation de sa Méditerranée. De cet océan modèle pour les scientifiques, elle fait émerger des solutions novatrices liant la mer au développement durable. Avec Take Ocean For Future elle invente le mécénat philanthropique et crée sur le modèle de résidences d’artistes des pépinières de chercheurs pour accroitre et partager leurs connaissances. Interview.

Quelle éducation avez-vous reçue ?

J’ai eu une éducation très particulière emprunte d’amour et d’attention. Entourée d’êtres exceptionnels comme mon grand-père. Il m’a beaucoup inspirée et accompagnée dans une éducation très atypique. J’étais une élève douée mais totalement rêveuse. Je n’étais pas une bête de concours mais en revanche j’étais très curieuse.

Comment est né l’Institut Océanographique créé par votre grand-père ?

Engagé contre une des premières pollutions de la Méditerranée, le rejet des boues rouges au large de Cassis mon grand père a créé l’Observatoire de la mer en 1966. A l’époque il y avait eu une levée de boucliers avec des gens comme Haroum Tassief, Alain Bombard … Ceux que j’ai appelé plus tard les bâtisseurs de conscience. Cette génération a tiré le signal d’alarme. Le commandant Cousteau avec la Calypso faisait sonner la corme de brume. J’avais la chance d’avoir Cousteau à la télé et Bombard aux Embiez. Ce que je voyais à la télé je pouvais le vivre en vacances. Pour moi c’était un sujet normal.

 

Pour moi la terre c’était le fond de la mer qui dépassait.

 

Comment s’est nourrie votre passion pour la mer ?

J’ai été élevée sur des îles. On est une famille très unie et on aime beaucoup être ensemble. L’été on se retrouve sur les îles de Bendor et des Embiez (acquises par Paul Ricard dans les années 50). Le bateau c’était donc tout le temps avec mon grand-père. Il nous emmenait avec mes cousins et cousines trois semaines en mer. On allait voir les ruines de Pompéï. Il nous parlait des ports de commerce … C’était toujours à 360° quand il nous emmenait quelque part. Mon appétit interdisciplinaire est né de cette éducation. il y avait toujours cette approche multi-source qui m’a beaucoup inspirée. Sur l’île des Embiez où a été fondé l’Institut (Paul Ricard) les chercheurs qui m’ont connue enfant disaient que je déboulais avec ma frimousse et que je posais plein de questions. Pour moi la mer a toujours été un endroit de joie, de curiosité et d’émerveillement.

 

J’ai eu le privilège d’être un enfant auquel on fait attention et à qui on répond. Et ca c’est déterminant. Pour moi la question et la réponse étaient vraiment quelque chose qui relevaient de la convivialité.

 

Vous avez cette approche lorsque vous créez les mardis de l’environnement ?

Ca vient de ma rencontre avec Marie Pierre Cabello journaliste avec qui on a crée en 1991 les mardis de l’environnement. Cela m’a permis d’avoir cette approche de développement durable au sens large.

Cette approche environnementale vous paraît fondamentale ?

Les océans sont en totale interaction avec la biosphère. Vous avez l’océan d’un côté, la météo de l’autre et la terre au milieu. Et c’est l’ensemble des trois qui fait que vous avez une planète vivante et une planète résiliente. Par exemple aujourd’hui ce sont les poussières du Sahara qui vont ensemencer la forêt équatoriale brésilienne, et tout ca grâce à des vents créés au dessus de l’océan.

Vous venez de clore la première édition de « 24hrs for the ocean » à Deauville. Quel est l’objectif de cette initiative ?

Il y avait plusieurs buts. D’abord lancer la philanthropie pour les océans. J’ai la chance de travailler dans une entreprise qui finance depuis 50 ans des chercheurs. Le mécénat culturel a bâti notre civilisation aujourd’hui c’est le mécénat en faveur de la nature qui va nous sauver. Il faut orienter les actions de philanthropie. Les actions de ce type vont beaucoup à la culture, aux œuvres de culture de l’homme. On a besoin d’aider la nature à nous porter plus longtemps si on veut aider les générations futures. C’est essentiel, on a dans cette optique une démarche pédagogique.

 

Le mot convivialité est notre valeur principale. Il faut prendre du plaisir à travailler ensemble sur ce projet magnifique qui est de maintenir la planète en état d’émerveillement.

 

Dans cette optique vous avez créé une résidence de jeunes scientifiques ?

Ce qui m’importe le plus aujourd’hui c’est d’expliquer qu’il est encore temps. Ce qui est essentiel c’est d’expliquer que c’est maintenant qu’il faut s’occuper de la planète. Les solutions existent. On ne peut pas penser le futur avec les idées du passé. Il faut de la créativité. C’est pour ça qu’il faut relancer la recherche fondamentale et favoriser l’aide aux jeunes chercheurs. A l’Institut on a fêté nos 50 ans l’année dernière. Et c’est parce qu’il y avait de jeunes chercheurs et scientifiques confirmés, des étudiants, un mécène et l’ile des Embiez que chacun a pu apporté son talent selon ses moyens et ses capacités. Grâce à ce mélange de bienveillance et de compétence on a trouvé des solutions qu’on propose aujourd’hui à l’ONU et à la COP.

Entre autres solutions vous prônez le bio mimétisme. Qu’est ce que c’est ?

C’est innover durablement en s’inspirant de la nature. La nature a réussi tous les défis auxquels on s’attaque aujourd’hui c’est a dire produire sans détruire. La nature recherche l’équilibre permanent entre une quantité infinie de données variables qui finalement tend vers un équilibre fertile.

 

 

Est ce que ça passe aussi par l’enseignement dès le plus jeune âge ?

Dans un monde idéal on devrait apprendre dès le primaire la physique, la biologie, la chimie pour comprendre la nature. A une époque j’avais une émission de télé qui s’appelait Planète. J’avais demandé à Albert Jacquard : si j’étais la fée clochette que me demanderiez vous pour ce troisième millénaire ? Il m’avait dit je voudrais qu’on supprime l’arithmétique de l’école. Je n’avais pas compris tout de suite ! L’arithmétique est une invention humaine pour permettre la compétition, c’est le plus et le moins, le premier et le dernier. C’était lumineux !

 

Le Capitaine Watson dit toujours les humains sont les seuls passagers embarqués sur un vaisseau qui mange l’équipage. Il faut apprendre à ne plus manger l’équipage et à faire en sorte que notre action aide le vaisseau à aller plus loin.

 

Quels sont les obstacles aux solutions que vous proposez ?

L’arrogance et l’esprit de compétition humain ont créé la nécessité de l’expert et du champion. Ce sont des gens mono spécialisés. Quand on a des gouvernements qui sont obnubilés par ces champions on ne peut pas trouver des solutions de cercle vertueux qui appelle à l’interdisciplinarité et à la collaboration. La nature est coopérative, les sociétés humaines sont compétitives et c’est probablement le plus grand écueil.

Comment trouver des solutions à long terme conciliable avec le « temps court » de la politique ?

La seule façon de sortir d’un conflit « temps » c’est d’y mettre de la compréhension. C’est de montrer l’exemple. Il faut travailler avec les communautés. Une des grandes chances aujourd’hui c’est la solidarité et la coopération avec les pays pauvres avec lesquels on peut développer des compétences. Ces pays ont généralement moins de contraintes réglementaires que les pays développés. La mise en place de solutions simples inspirées par la nature à l’échelle humaine avec des résultats probant c’est probablement la plus belle façon d’éduquer les autres.

La position de Trump sur le climat ne met-elle pas en péril votre travail ?

Tous les Etats ne sont pas aussi fermés qu’on veut bien le dire. Ca fait 35 ans que je m’intéresse à ces questions. J’ai vu les choses accélérées. J’ai eu la chance de faire partie de la délégation française à la conférence sur les océans en juin dernier. Regardez le nombre d’Etats qui commencent à bannir le sac plastique, ceux qui ont signé les implications volontaires de chaque Etat sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre et de carbone. Regardez le nombre d’Etats qui a signé l’accord de Paris. Dans l’histoire il n’y a jamais autant d’Etats qui signe en temps de paix des accords internationaux. C’et un traité de paix avec la planète !

Quelles sont vos prochaines actions ?

Nous allons rénover notre laboratoire et passer à la vitesse supérieure car nous avons besoin de plus d’espaces de recherche. Il va être financé par des fonds privés et publics. Pour la partie institutionnelle nous continuons à œuvrer avec la plateforme Océan climat. Nous avons rejoint récemment un mouvement qui utilise les aquariums pour communiquer en autre sur la problématique des déchets plastiques.

 

Propos recueillis par Sophie Dancourt

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