8 MARS : DE L’USAGE DES MOTS POUR UNE ÉGALITÉ PARFAITE

8 mars

Chjara Benedetti, 18 ans est en Hypokhâgne à Montpellier. Et elle a adressé à la rédaction de J’ai Piscine Avec Simone un texte à l’unisson des enjeux de cette journée du 8 mars dédié aux droits des femmes dans le monde. L’utilisation des mots et leur choix la passionne. L’étudiante « s’interroge sur les fonctions de notre langage dans notre société et sur les informations qu’il délivre à notre insu ». Elle souhaite ici partager ses « craintes et colères, dans l’espoir que certaines les partageront ». C’est fait.

On parle souvent des autres. Vous savez. On parle souvent sans savoir. Parce qu’on
aime dire. Parce qu’on aime s’exprimer. Parce qu’on aime parler, donner, notre avis, notre voix, à
l’écoute du plus grand nombre. Parce que je pense, comme vous je le crois, qu’on aime dire ce qu’on
comprend. Parce qu’on aime partager notre étonnement.


Notre enthousiasme se traduit en mots. Notre monde se comprend en sons. Et on
aime cette irréalité tangible. Et on tend à se convaincre qu’elle possède une sorte de romance.
Qu’elle donne sens à ce que nous voyons. Mais nous préférons voir ensemble. Il est si triste de voir
seul. Alors, on parle et on comprend l’autre, ou l’on parle de lui, avec lui, par lui, grâce à lui. Et on
le juge, malgré nous « ce n’est pas sa faute »… On fait… en sorte, on le pense en tout cas, que le
langage soit universel, pour dire le plus de choses possibles, mais surtout, pour que le plus grand
nombre nous écoute, ou soit forcé de nous écouter. Or, est-il vraiment réaliste ce langage ? Est-il
vraiment universel ? N’est-il pas possible de s’en sentir exclu ?  « les enfants, si dans un groupe de
trois personnes il y a Amélie, Jérémy et Clothilde, vous dites   » ils  » pour rester neutre… »
. Lent
processus qui efface, pose l’un au-dessus de l’autre, invisible mais constant.

« Ça va ! C’est juste une manière de parler »

Alors, on ne remarque pas que l’on fait mal. Qu’on fait du mal.  « vieille fille » . Aux
autres.  « C’est pas sa faute » . Avec qui on parle.  « Mec t’es sérieux ? »  «  Moi c’est Céline » « Hein ? Pourquoi tu me dis ça ? » « Rien… laisse ». On dit des pensées, sans qu’elles ressemblent aux mots « fils de pute » . On dit des mots, parce qu’ils sont « sans importance » , parce qu’on y est habitué. « frérot tu fais exprès ou..? »« Moi c’est Catherine », sans qu’ils ne ressemblent à la pensée,
médiation perfide du langage… mots qui la dévoilent, sans qu’on s’en rende compte. Lapsus.
Inconscient ? Vaste question. Expressions idiomatiques. Sens courant, admis, « compris »  soidisant,
de tous, justement. Au point où cela infuse dans l’esprit. Au point où nous ne réfléchissons
plus « ça va ! C’est juste une manière de parler… » . Alors, on parle, sans se soucier, par habitude,
car c’est comme ça  « fais pas ta pute », on parle, on utilise cette langue sans la comprendre, par
banalisation des expressions, par association d’idées incomprises. Grammaire, vocabulaire, aux
origines inconnues, la connaissance complexe souvent in-désirée. Nos mots et notre grammaire dévoilent une vérité communément admise, mais ignorée de tous.

On ne se rend pas vraiment compte que ce sont nos mots qui nous mènent, du début  
la fin, sur la pente, la dégringolade, de notre réflexion vers l’habitude. Voyez, alors même que je
parle de mots, on ne remarque pas mes propres expressions.

« On » efface les genres

On ne voit pas ce  « on » que j’utilise. Cet autre débat, au sein même de la grammaire.
« On » est un pronom personnel, mot intime, humain, vivant, mais singulier, alors qu’il se rapporte
souvent à un pluriel.  « On », est plusieurs. Mais on « est » une unité. Force d’union. Et, plus que
tout, « on », est neutre. Il efface le genre. Il rassemble « elle » et « il », il est à la même ligne dans
les tableaux de CP. En effet, on a tendance à oublier que la langue française possède un pronom
neutre. Symbole de l’humanité tout entière… et mon langage cherche à faire disparaitre la hiérarchie
grammaticale entre les pronoms, pour effacer celle, plus grande, de la fausse hiérarchie entre les
hommes et les femmes. Bien que j’utilise des lois paradoxales à mon objectif et continue d’accorder
ce qui le suit au masculin. « Tous »  au lieu de « tous.tes ». « Ils » , au lieu d’un « iels »  (bien plus
réel, bien plus représentatif de la contingence de la réalité, quoiqu’on en pense). Règles injustes,
injustifiables, de facilité et de pouvoir, qui infusent doucement dans les esprits, qui définissent
piteusement à l’avance les dominations du corps social  « oui   » il «   est supérieur à « elle »  
mesdames, car apparemment un seul « il » , même dans un groupe de mille « elles » , possède
l’autorité absolu sur le langage.
»

Trop peu se rendent compte de l’influence que la langue possède sur notre manière de
penser. Trop peu comprennent qu’une langue, qu’une grammaire et l’histoire des mots, nous
orientent tel un chemin de terre battu et creusé dans la forêt de notre esprit. Et j’aimerais, que cette
supériorité  du  « il  » dans la langue soit débattue, réfléchie, évoquée. Mais peu réfléchissent à ces
questions, ou acceptent qu’on se les pose. « C’est juste comme ça voyons ! pourquoi toujours tout
changer, ils ont fait la même chose avec l’accent circonflexe et  à quoi ça a servi hein ?.. »
.

Réconcilier les prénoms

Peut-être serait-il temps de réconcilier les pronoms. De mettre dans les mentalités,
sur un pied d’égalité, les « ils » et les « elles ». Leur faire comprendre que tous (tous.tes) ne sont
qu’un « on ». Il me semble qu’on commet trop de méfaits. De crimes. D’horreurs. Qu’on a trop de
peine. De rancoeur. Qu’on perd, trop de  « elles »… par l’orgueil de trop de « ils » … et par la rigidité de trop de « elles »  … Mais la violence, le plaisir de domination, le rabaissement quotidien… ne
trompent pas. Et j’espère, qu’à la longue, le débat pourra enfin être considéré pour toute la gravité 
qu’il possède. Que l’on cessera d’utiliser des règles uniquement par tradition. Sans questionner
l’habitude. Car chèr.es camarades, collègues, ministres… puisque vous détenez le pouvoir, ces règles
justifient en partie qu’on tue, batte, maltraite, viole, immole. Qu’on possède. L’autre. Pour la simple
raison que ce que l’on considère inférieur, nous ne le respectons pas, car nous aimons garder le
pourvoir. « (…) ils ont fait la même chose avec l’accent circonflexe… ». Le  « il » est d’accord, il ne
change pas sa position, elle lui est favorable et il l’aime bien au final, inconsciemment souvent.
Mais cette humiliation a assez duré.

Alors, regardez les bien : « Il », pronom vif, aigu, onirique, voluptueux. « Elle »,
syllabe  éthérée, souple, forte. « On », son sourd bref, rapide, évident, universel… facile, pour
satisfaire les pragmatiques. Nous sommes « on ». Il ne devrait donc pas exister de différence. Même
au sein de la langue. Pas de hiérarchie. Croyez-le, les enfants n’intègrent pas cette règle uniquement
comme une supériorité grammaticale. Car ce n’est pas qu’une simple histoire de pronoms. Quand
bien même s’en serait une, c’est une bien sordide histoire.

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