L’Arabie Saoudite a annoncé le 26 septembre que les femmes seront autorisées à conduire. Une révolution au cœur du royaume ultra conservateur portée par le prince héritier Mohammed Ben Salmane (MBS). La décision saluée comme une avancée pour le droit des femmes s’inscrit dans un vaste plan baptisé « Vision 2030 » publié en 2016. Ce programme de réformes économiques et sociales doit répondre à des enjeux politiques vitaux pour la dynastie saoudienne. Décryptage.
Le décret royal entrera en vigueur en juin 2018. Le permis de conduire sera délivré « indifféremment aux hommes et aux femmes ». Dernier pays au monde interdisant aux femmes de prendre le volant, l’Arabie Saoudite satisfait les demandes des activistes qui depuis 1990 portent régulièrement leur revendication sur les réseaux sociaux. Des campagnes de protestation jalonnent les trois dernières décennies. En 2017 la militante Lujain Al-Lhathloul a été arrêtée et emprisonnée 73 jours pour avoir franchi la frontière en voiture entre les Emirats et le royaume saoudien. « Les Saoudiennes revendiquent actuellement sur les réseaux sociaux le droit de se débarrasser du droit du tutorat masculin. Elles avancent à leur rythme, à pas comptés, mais elles avancent dans ce que je nommerais « une marche silencieuse » » analyse la journaliste française Clarence Rodriguez correspondante pendant 12 ans à Ryad. La jeunesse saoudienne utilise de plus en plus YouTube et Twitter « seul espace disponible pour exprimer leurs opinions » souligne Fawziah Albakr professeure au département des sciences de l’éducation à l’université de Ryad au nombre des 47 femmes pionnières de la première manifestation en 1990. Assiste-t-on aux prémices d’une libéralisation des droits des femmes qui ne sont toujours pas libre d’ investir l’espace public sans une tutelle masculine familiale ?
My opinion piece in the @NYTimes today
I Can’t Wait to Drive in Saudi Arabia Again https://t.co/5P4HlyTGix#Women2Drive #SaudiWomenCanDrive— منال مسعود الشريف (@manal_alsharif) September 28, 2017
Frédéric Encel, géopolitologue maitre de conférence à Sciences Po, auteur de « Mon dictionnaire géopolitique » (à paraître le 4 oct) analyse la décision à l’aune d’un pouvoir wahhabite chancelant « Ses bases vacillent en raison de sa faible légitimité religieuse – la famille régnante n’est pas descendante du prophète, contrairement aux Hachémites ou aux Alaouites du Maroc -, de son absence de succès militaire – la guerre au Yémen est un désastre -, de son manque de réussite stratégique et diplomatique face aux avancées de l’axe russo-iranien et chiite et de son économie en berne avec un baril à 50$ ». L’émancipation des saoudiennes est devenu un enjeu économique non négligeable pour le royaume. « Les débats autour du droit pour les femmes de conduire ne sont pas nouveaux et on a failli à plusieurs reprises y parvenir ces dernières années » rappelle Frédéric Encel. Déjà en 2016 le prince saoudien Al-Walid ben Talal dans un communiqué sur le sujet exprimait « Une demande sociale urgente que la conjoncture économique justifie ». Chaque famille dépense en moyenne l’équivalent de 950 € par mois pour louer les services d’un chauffeur privé ou de taxis. Un coût exorbitant doublé d’une baisse de productivité si l’époux choisit de conduire sa femme.
Ce nouveau droit accordé aux femmes est, dans ce contexte géopolitique sinistré, un geste de conciliation à l’endroit des Occidentaux. Frédéric Encel
Justifiée par la chute du cours du brut, l’évolution du droit des saoudiennes est une donnée économique essentielle pour le secteur privé. « L’objectif est donc de porter le taux d’emploi des femmes de 18 à 28% d’ici 2020, et de multiplier par quatre le nombre de femmes dans la fonction publique (aujourd’hui à 5%) » souligne le Huffpost Maroc à propos du plan « Vision 2030 ». « On retrouve la touche du nouvel homme fort du pays, le prince Ben Salman qui, soit par conviction profonde soit par nécessité de politique intérieure, penche pour des réformes sociétales » ajoute Frédéric Encel. Même si depuis quelques années, la participation des femmes à la vie publique s’est élargie (nomination de 30 femmes au Conseil Consultatif en 2013, participation aux élections municipales en 2015), les saoudiennes demeurent sous la tutelle d’une société patriarcale. « La politique saoudienne demeure extrêmement répressive, sans liberté d’expression, de formations politiques ou syndicales, de droits de succession égalitaires pour les femmes, de droit pour elles de sortir librement du territoire ou d’exercer certaines activités professionnelles. Sans compter le statut de sujet de seconde zone pour les chiites ou encore l’absence de droits pour les autres confessions… Donc cette mesure ne dissimule rien, elle traduit juste le caractère extraordinairement rétrograde du régime ».
Cette victoire est également tempérée par l’activiste Manal al-Sharif résidant aujourd’hui à Sydney. Sur Twitter elle a déjà annoncé la suite du combat : la suppression des lois de tutelle. Dans l’intervalle, l’Arabie Saoudite devra organiser les conditions nécessaires à la bonne application du décret. Mise en place d’auto-écoles, formation d’une police féminine …