Loin d’être un « non-sujet », le management au féminin suscite des réflexions majeures sur les stéréotypes de genre et les obstacles structurels auxquels les femmes managers font face. Inspiré par une étude de l’IFOP publiée en mai 2024 sur cette thématique, nous avons interrogé des cadres qui partagent leurs expériences et éclairent les pistes pour réinventer le leadership au-delà des genres.
« Manager, c’est une compétence, pas une question de genre », affirme d’emblée Laurence, coach neuro-manager, forte de 35 ans d’expérience dans des secteurs variés comme l’enseignement supérieur et le transport aérien. Selon elle, la compétence devrait primer sur tout, mais la réalité est souvent bien différente. Les femmes managers, bien qu’à la hauteur des attentes professionnelles, restent encore trop souvent confinées à des rôles dits de proximité, comme des fonctions opérationnelles ou intermédiaires, loin des postes de décision au sein des comités exécutifs. La consultante en gestion du changement se souvient d’un directeur général dont les initiatives avant-gardistes, telles que l’interdiction des réunions après 17h30, reflétaient une réelle volonté de préserver l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle.
Hélène, coach de dirigeant et ancienne manager dans l’industrie cosmétique, partage ce constat amer. « On associe encore les femmes à des compétences « soft » comme la bienveillance ou l’empathie, mais ces qualités devraient être universelles, sans être sexuées », s’insurge-t-elle. En tant que conférencière et enseignante en management, elle milite pour intégrer davantage de bienveillance décisionnelle dans les entreprises, un concept qui lui tient à cœur depuis qu’elle l’a exploré dans son mémoire. Jennifer, directrice dans le secteur bancaire et présidente d’un réseau féminin, va encore plus loin en pointant un problème structurel : « Si les femmes manquent parfois de sororité à des postes élevés, c’est souvent par besoin de valider leur légitimité dans un système qui n’a pas été pensé pour elles. »
Les stéréotypes de genre : une évolution à double tranchant
Certaines compétences autrefois sous-estimées, comme la gestion transversale et le soft power, bénéficient aujourd’hui d’une reconnaissance accrue. Mais cette évolution, bien qu’encourageante, ne suffit pas à faire disparaître les stéréotypes de genre. « Les femmes managers restent jugées sur leur émotivité ou leur tenue, parfois autant par des femmes que par des hommes », témoigne Laurence.
Un constat partagé par Jennifer, qui relate une expérience symptomatique : l’une de ses collaboratrices, pleine d’enthousiasme, avait sollicité une dirigeante pour participer à un projet sportif. « Plutôt que de recevoir une réponse polie, elle a été sévèrement critiquée pour son initiative. Cela montre bien le paradoxe : on encourage les femmes à oser, mais leurs actions sont souvent jugées avec méfiance », souligne Jennifer. Elle pointe également le manque de solidarité parmi les femmes occupant des postes élevés, notamment au sein des COMEX, une problématique qu’elle juge emblématique d’un déficit de sororité dans les milieux hautement compétitifs.
Hélène apporte un point de vue critique sur le concept de « management au féminin », qu’elle juge biaisé. « Ce terme sous-entend que les femmes doivent se conformer à un style spécifique pour être acceptées, alors que le leadership repose avant tout sur des compétences et du courage », affirme-t-elle, ajoutant que cette idée renforce les pressions déjà subies par les femmes, notamment l’autocensure, et crée un cercle vicieux difficile à rompre.
Autocensure et manque de modèles : des freins persistants
Le manque de confiance en soi est une réalité que toutes les intervenantes s’accordent à souligner. « Une femme attend souvent de cocher toutes les cases avant de postuler à un poste, contrairement aux hommes, qui y vont sans se poser autant de questions », remarque Hélène. Cet état d’esprit, qu’elle qualifie de « labyrinthes mentaux », freine l’évolution de carrière et perpétue les inégalités. Laurence souligne que les remarques les plus sévères qu’elle a reçues sont souvent venues d’autres femmes., ce qui révèle un enjeu urgent : renforcer la sororité et le soutien mutuel entre collègues pour dépasser ces dynamiques.
Le problème, ajoute Hélène, se nourrit d’un manque criant de modèles inspirants. « Les anti-modèles qui prétendent concilier carrière brillante et vie de famille sans contrainte, font plus de mal que de bien. Ces figures entretiennent des attentes irréalistes qui culpabilisent les femmes », tranche-t-elle.
Jennifer met en lumière un défi majeur dans sa banque : si des réseaux féminins existent, peu de femmes du COMEX y participent. « Le manque de solidarité est flagrant », observe-t-elle. Pourtant, elle souligne une initiative encourageante portée par une directrice générale adjointe, qui organise des mentorats et des petits-déjeuners pour favoriser les échanges. « C’est un premier pas pour briser les plafonds de verre » reconnaît-elle avec optimisme.
Une définition du leadership à réinventer
« Le vrai courage managérial, c’est de déléguer, motiver et prendre des décisions difficiles, peu importe le sexe », affirme Laurence, appelant à revoir les critères d’évaluation du leadership pour s’affranchir des stéréotypes genrés.
Hélène plaide pour des entreprises où les barrières hiérarchiques laissent place à une organisation plus transverse. « Les structures cloisonnées renforcent les inégalités et freinent la coopération. Valoriser les talents plutôt que de les compartimenter est essentiel », affirme-t-elle. Elle prône également une formation accrue pour armer les managers face aux défis actuels et appelle à dépasser les simples déclarations d’intention pour intégrer des mesures concrètes dans les politiques RSE et QVCT. « Le management, ce n’est pas une promotion, c’est une compétence. Si nous voulons égaliser les chances, il faut réinterroger les structures et non les individus », conclut Jennifer.
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