MÉLISSA PETIT, LA SOCIOLOGUE QUI EXPLORE LE VIEILLISSEMENT AU FÉMININ

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La crise sanitaire a ravivé un discours générationnel clivant avec la tentation de disqualifier les plus âgés au sein de la société post Covid. La sociologue Mélissa Petit experte du vieillissement travaille sur le sujet depuis la fin de ses études. Elle interroge la représentation des âges, tout particulièrement chez les femmes. Une exploration continue qui a fait de la trentenaire une activiste engagée contre l’âgisme.

Pourquoi vous êtes vous intéressée au sujet du vieillissement ?

J’ai commencé dès mon Master 1 et après ma thèse à m’intéresser à la question du vieillissement. Au départ, au travers des modes de vie des jeunes retraités pour savoir comment ils agissaient et comprendre leurs modes de vie. Au fur à mesure je me suis ouvert à d’autres sujets. Ce n’est pas un sujet d’opportunité, mais bien quelque chose qui s’est inscrit dans mon parcours d’études et de vie. Plus largement, je considère que les représentations sociales des plus âgé.es sont souvent fausses et que la parole leur est très rarement donnée. il y a un vrai besoin de montrer la réalité de comportements et de changer les regards sur les âges.

Au cours de ces années avez vous constaté une évolution de ces représentations de l’âge ?

Je vois une transformation dans le sens où on parle beaucoup plus de la longévité. Des médias comme le vôtre en 2008 n’existaient pas. Vogue UK a mis à la une Jane Fonda et récemment Judi Dench. L’évolution s’opère dans ces médias étrangers mais très peu en France. L’Oreal avait fait un défilé avec Jane Fonda, Helen Mirren… Un grand nombre de « role models » anglo saxons avec la série Grace et Francky ou le film Pom pom ladies qui sortent les femmes de plus de 50 ans des rôles de grands mères. On peut citer aussi Virginie Grimaldi qui a écrit Tu comprendras quand tu seras plus grande.

L’autrice raconte l’histoire d’une psychologue qui découvre dans une maison de retraite que le monde des personnes âgées est très différent de celui qu’elle imagine. On constate la prégnance de ces stéréotypes aujourd’hui avec l’infantilisation des plus âgés que l’on imagine moins responsables que des moins de vingt ans. Concrètement ce ne sont pas les plus de 65 ans qui iront dans les boites de nuit lorsqu’elles réouvriront !

De quelle population parle-t-on quand on dit « les plus âgés » ?

Il faut séparer les choses. La question du grand âge en est une et au cœur de certaines politiques publiques et financières on les met de côté. Le désastre dans les ehpad et dans les domiciles (on ne sait pas encore) le prouve. Concernant les femmes et hommes de 55 à 70 ans, c’est comme s’ils sont hors de l’emploi parce qu’on considère qu’ils sont trop chers, trop vieux, alors que non, ils sont juste magnifiques ! Il y a énormément de stéréotypes. On entend « à ton age tu ne peux plus faire ça » ça m’horripile. On a un double mouvement avec des stéréotypes anciens et ce courant très porteur, très pétillant mais qui est très peu français.

Ce qui ne nous ressemble pas est, de fait, vieux.

Ca serait donc une question avant tout culturelle ? Est ce que la façon dont on traité les personnes âgées au cours de cette crise est révélatrice de cet état d’esprit ?

Tout a fait, c’est un vrai problème culturel. J’ai fait des études en comparaison avec l’Amérique du nord, alors que les problématiques ne sont pas les mêmes en terme de niveau de vie. Mais à 50 ans aux Etats-Unis on va positiver la création d’entreprise. On va valoriser cet engagement, cet entrain et l’envie de travailler à la retraite sans stigmatiser la personne en disant qu’elle vole le travail d’un autre. Ce n’est qu’une question de regard et il y a un vrai sujet de culture.

Ce matin je lisais l’article de Sophie Fontanel qui a dit que lorsqu’elle a porté un masque avant le confinement on lui a dit qu’elle était vieille, alors que dans quelques semaines ce sera hype ! Ca va devenir tendance à la prochaine fashion week. En France on aime opposer et on n’a fait que ça pendant le confinement. Ce qui ne nous ressemble pas est de fait vieux.

On est senior de 50 ans à la fin de sa vie alors que le mot recouvre des réalités extrêmement différentes, cette incapacité à mettre des mots sur le vieillissement est un symptome du problème ?

C’est comme si entre 10 et 50 ans on faisait tous partie de la même génération. En effet, quand on a 50 et 80 ans on n’a pas vécu la même réalité dans notre parcours de vie. Et Bourdieu a écrit sur la question de la jeunesse qu’il fallait la nommer pour ensuite créer un imaginaire. C’est pour ça que les retraités ne s’y reconnaissent pas. Le problème aussi c’est comment renommer ? Aujourd’hui je vais plutôt parler de borne d’âges mais ça ne veut plus réellement dire quelque chose, puisqu’on peut vivre la même chose à des temps différents. Cela crée le flou et la montée de la discrimination, car on considère que passer 50 ans sa vie est foutue, si je caricature un peu.

On n’ose pas dénommer, et d’une certaine manière dénoncer. Si je suis en capacité de pointer mon ennemi ( ca veut pas dire que je vais faire la guerre) de dire par exemple qu’il y a des violences de policiers blancs sur des afro américains, de fait on peut cibler nos difficultés.

L’âgisme, discrimination invisible qui touche beaucoup les femmes est un sujet dont ne s’empare pas les féministes, savez vous pourquoi ? Est ce que c’est une réflexion que vous vous êtes faite ?

J’évoquais ce sujet dans une tribune dans laquelle je disais en chacune de nous sommeille une femme âgée. J’avais lu l’été ou je suis devenue vieille d’Isabelle de Courtivron qui racontait qu’elle ne se sent plus faire partie de ce courant féministe. Mais au final je vois deux sujets, les femmes féministes qui ont 50 ans comme les actrices qui se sont mises en mouvement et celles qui n’ont pas voulu prendre en compte leur propre problématique de femmes à 60 ou 70 ans. Il y a des vrais sujets communs comme les niveaux de pension, l’isolement, la question du travail, la visibilité dans les médias … Une pléthore de sujets.

Une génération qui s’est battue pour l’avortement, le droit de vote et malgré tout c’est comme si certaines de ces femmes se discréditaient en ne s’emparant pas de ce sujet en tant que femmes de plus de 50 ou 60 ans. C’est comme si les féministes âgées ne prenaient pas leur propre sujet, ni comme Jane Fonda le fait avec des thématiques plus larges qui nous touche tous comme l’environnement avec lesquelles on peut monter au créneau.

On ne nous donne pas des modèles de vieillissement

Et puis il y a le courant féministe de manière plus large au sein duquel les femmes plus jeunes ne semblent pas prendre conscience qu’un jour elles allaient être plus vieilles. Mona Chollet dit que les femmes n’ont pas l’autorisation de vieillir. Je l’ai constaté personnellement. Depuis mon premier cheveu blanc alors que je n’avais pas 30 ans, on me renvoyait mon âge en disant à 27 ans on va pas garder un cheveu blanc ! Alors que c’était un choix réfléchi. On ne nous donne pas des modèles alors que les américains (je reviens à eux) ont vraiment cette culture de la valorisation de l’expérience. Aujourd’hui quand on a fait 3 tags sur Instagram, on a 100 000 vues et on devient quelqu’un d’expérience alors que ca n’a rien a voir. L’expérience se crée avec le temps.

Vous avez créé Mixing génération qui s’intéresse aux acteurs de la silver économy, comment sur ce marché exponentiel les marques adressent cette population ?

De manière générale elles gèrent mal. Il faut penser les choses autrement, avec certaines marques qui pensent conception universelle. Par exemple, quand Apple watch intègre un système contre les chutes c’est pertinent. Si je me projette sur le cas de ma mère, elle voudra garder son Iphone, donc elle n’utilisera jamais une télé assistance classique. Et elle n’est pas la seule. D’une manière générale, on constate que les entreprises ont du mal à adresser leur population, elles ont des difficultés à constituer une communauté. Les plus âgé.es vont chercher la qualité, le bouche à oreille. il y a un vrai travail à faire de recensement des actions, d’études d’impact et d’attention aux subventions. Comme Michelle Obama le disait dans un entretien à Oprah Winfray, il faut arrêter de vouloir vendre aux Millenials (génération Y) car c’est notre génération qui a le pouvoir d’achat.

Est ce pour ça que vous venez de lancer un compte Instagram ?

C’est une nouvelle manière de penser l’expérience du vieillissement et de la vie à travers les femmes. J’ai fait un Ted X où je parle beaucoup de l’expérience du vieillissement qui nous touche nous. Dès maintenant on peut changer les choses, cela fait un an que j’écris sur les femmes âgées, c’est un vrai sujet qui n’est pas pris en compte par les entreprises. L’âgisme est un sujet que j’ai envie de porter individuellement. Le compte Instagram lancé avec la journaliste Mathilde Bourmaud est à la fois une manière de donner une autre image et d’aller un peu plus loin en proposant des études, en disant aux entreprises comment comprendre les comportements des femmes de 55 ans ou 70/80 ans pour apporter des produits et une communication réalistes.

Est ce que vous pensez que le regard sur le vieillissement va évoluer après le confinement ?

Mon côté optimiste vous dirait qu’on a pris conscience que la question du lien social était une question importante et qu’il faut le recentrer sur nos quartiers. Repenser les liens entre les âges déjà en arrêtant d’appeler les femmes qui ont les cheveux blancs mamie ou ma petite dame parce qu’elles gênent sur le trottoir. Toutefois, il y a encore beaucoup d’avancées à faire.  Et ce que je raconte là et paraît peut être utopiste parfois ne sera pas aisé. Quand Mona Chollet dit révélons nos vérités, c’est un vrai sujet d’activisme peu mis en avant en France. Et plus on révélera nos vérités, plus on prendra la parole, plus on arrivera a faire un collectif qui sera en capacité de vraiment peser.

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