MATHILDE LARRERE : « Il y a une telle invisibilisation des femmes qu’on a la sensation que leur présence est un signe de gravité de la crise des Gilets Jaunes »

Jaipiscineavecsimone_le_grand_bain_Mathilde_Larrere_femmes_et_révolutions
Mathilde Larrere

Jean-Luc Mélenchon a souligné  dans ses récentes déclarations l’importance des femmes dans le mouvement des Gilets Jaunes. Il y voit « un signal historique » annonciateur d’une révolution. « Ce mouvement est en bonne partie animé par des femmes. Ce sont les femmes qui ont commencé la révolution de 1917, ce sont elles qui ont radicalisé la Révolution de 1789 et ce sont elles qui ont fait la Révolution en Tunisie il y a peu. » On a demandé à l’historienne Mathilde Larrere de nous en dire un peu plus sur la présence des  femmes dans les processus révolutionnaires. 

 Le constat de Jean-Luc Mélenchon est-il  une réalité historique ?

Là où il a raison c’est que les femmes ont été présentes dans toutes les révolutions, francaise, de 1830… Il n’y a pas une révolution sans les femmes. Mais ce n’est  pas parce que les femmes sont présentes que la crise devient grave !  Il y a une telle invisibilisation en général des femmes qu’on a la sensation que leur présence serait un signe de la gravité de la crise ! Mais les femmes sont présentes. Alors certes, elles le sont un peu moins dans les syndicats et dans les partis parce qu’on ne leur laisse pas la place. Elles n’ont pas les postes à responsabilité, donc on les voit moins mais elles sont bien présentes. A l’inverse, elles sont là dans toutes les mobilisations et les associations. La majorité de celles-ci repose sur la présence des femmes. La crise n’est pas liée à leur présence. 



Ce qui est une donnée historique générale c’est que les femmes sont toujours là mais qu’on les voit jamais.


Est ce qu’il y a des noms qui émergent parmi ces femmes révolutionnaires ?

 Quand elles émergent c’est toujours beaucoup moins que le nombre de femmes qui se sont mobilisées. Il y a toujours 2 ou 3 femmes qu’on citent en permanence. Mais toutes les autres restent anonymes. Pour la Révolution Française on connaît Madame Roland ou Olympe de Gouges qui ne sont pas les plus mobilisées. Les plus connues à l’époque c’est Claire Lacombe, Pauline Léon, Théroine de Méricourt qui sont beaucoup plus importantes sans compter toutes les anonymes de la société des femmes républicaines et révolutionnaires. Mais leurs noms ne sont jamais passés à la postérité et dans d’autres révolutions c’est pareil. Comme dès le départ on ne fait pas attention à leur présence, on ne fait pas l’effort de les nommer. 


Pour la Commune on se souvient de Louise Michel mais les autres Nathalie Lemel, Elisabeth Dmitrieff…  Il y a en a plein dès qu’on commence à creuser. mais leurs noms sont parasités parce que l’histoire ne retient que le nom des hommes.


Ce travail n’a pas été fait correctement ou est ce qu’il y a un biais sexiste dans la manière de transmettre l’Histoire et de la raconter ?

Les deux. Au moment des évènements on ne les a pas laisser vraiment parler. De toute façon pendant longtemps les femmes étaient présentes dans les rues, les assemblées mais pas dans les lieux de pouvoir. Elles avaient moins la possibilité de faire connaître leur nom. Il y a eu énormément de textes publiés par les femmes à la Révolution Française et ils sont restés méconnus. Alors qu’on connaît beaucoup de textes écrits par les hommes. Il y une invisibilisation au moment de leur mobilisation et après l’histoire se focalisant sur les personnes les plus connues et au pouvoir, ce qui met les femmes à l’écart. On commence à les remettre en valeur. On perçoit bien cette dimension dans le film « Un peuple et son roi » qui montre combien les femmes sont omniprésentes dans la Révolution Française.

Sait on à quel moment ces femmes arrivent dans le processus révolutionnaire, est-ce qu’elles portent ces processus ou est-ce qu’elles ne font que les accompagner ?

Parfois elles sont initiatrices et motrices. La révolution russe de 1917 commence par des manifestations de femmes qui étaient une manifestation pour le pain, la paix et le droit des femmes. Puis cela entraine la Révolution Russe. En 1789, elles sont pas plu sou moins présentes que les hommes pendant la prise de la Bastille. Ce sont les hommes qui combattent mais elles sont présentes sur la place. En revanche elles sont motrices les 5 et 6 octobre 89 qui ramènent le roi à Paris. Ca dépend des situations. 


Les femmes sont historiquement très présentes dans toutes les émeutes « frumentaires » c’est-à-dire les émeutes de la faim parce que cela correspond à une division genrée. La femme est présente dans les questions de faim et de pouvoir d’achat. Et aujourd’hui c’est aussi ce qui se joue.


Est-ce qu’on observe la même chose sur les révolutions arabes notamment en Tunisie ?

Elles ont été très présentes. Une présence qui a été remarquée, soulignée par les tunisiens et les commentateurs occidentaux. souvent de la part de ces derniers comme si c’était étonnant de voir des femmes ! A chaque fois que des femmes sont présentes c’est un éternel étonnement ! Pourtant on est la moitié de l’humanité et la moitié de tout ! D’ailleurs l’Assemblée Constituante tunisienne avait une proportion de femmes bien supérieure à l’Assemblée Nationale Française à la même époque.


A chaque fois que des femmes sont présentes c’est un éternel étonnement !


Est-ce qu’on sait si ces mouvement sont portés par une classe d’âge particulière ?

Ce que montre la grande majorité des études sur les femmes révolutionnaires se retrouve par ailleurs dans les études sur les femmes dans les milieux syndicaux ou les partis politiques. Les âges où les femmes se mobilisent peu sont les âges où elles sont jeunes mères parce que leur charge familiale est souvent incompatible avec des mobilisations dont les horaires sont calqués sur la disponibilité des hommes. Les réunions syndicales et politiques ont lieu à l’heure du bain et du repas du soir. Rien n’est jamais fait pour faciliter matériellement la mobilisation des femmes quand bien même elles protestent régulièrement dans les organisations sur ce type d’horaire.

Que montrent les révolutions passées ?

 Les femmes qui se sont mobilisées sont soit plus jeunes (avant 25 ans) sachant que l’âge de la première naissance était assez tardif, contrairement à ce qu’on peut penser, on mettait du temps avant de prendre le risque de faire des enfants, soit des femmes d’une quarantaine d’années dont les enfants étaient suffisamment âgés pour qu’elles puissent dégager du temps pour se mobiliser. Il y a un caractère inter générationnel mais il manque ces décennies constituées des femmes en charge – et ça l’était encore plus dans l’ancien temps – des soins aux enfants, les coinçant à la maison.


Au sein de mouvements de femmes il peut y avoir une dimension de révolution féministe quand il s’agit de modifier l’ordre des sexes, car il y a une volonté de changer un système patriarcal.  Mais s’il s’agit juste de mettre des cellules d’écoute pour les femmes battues, on est pas dans une dimension révolutionnaire, il faut qu’il y ait cette dimension de changement de l’ordre en place.


Est ce que vous voyez dans le mouvement des « Gilets Jaunes » un processus « révolutionnaire » ?

Dans les différents mouvements qu’on a évoqué on sait qu’il y a eu une révolution. Il est facile ensuite de plaquer sur les mouvements qui les ont mené l’adjectif de révolutionnaire. Pour l’instant il n’y a pas de révolution. En revanche on peut dire que ce mouvement est porteur d’une volonté de changements de plus en plus profonds. Ce qui définit la révolution c’est ce désir d’un changement profond. Dans un mouvement qui n’est que défensif, par exemple, contre la taxe ou un mouvement qui ne vise qu’une réforme modérée mais sans changer les règles du jeu il n’y a pas de vélléité révolutionnaire. Quand on passe çà des revendications qui réclament des changements de système, des changements majeurs, des changements dans l’organisation des pouvoirs on a une dimension révolutionnaire. Pour l’instant je les trouve assez limitées, parce que augmenter le SMIC c’est pas révolutionnaire, rétablir l’ISF non plus.  


Si on commence à penser à un ordre social qui serait plus juste, plus redistribué, une démocratie qui serait plus directe et qui serait moins coupée du peuple, ou même à penser une écologie différente, là on rentre dans un projet révolutionnaire car il s’agit de changer le système. 

Comments · 2

  1. Bonjour,
    C’est, de tout temps, l’esprit de la femme qui a guidé le monde. Quand la femme pense et agit, le monde marche ; quand elle tombe dans l’apathie intellectuelle, quand elle se laisse réduire en esclavage et abdique son pouvoir, le monde tombe dans l’obscurité.
    Tous les grands mouvements de l’esprit sont dus à l’initiative féminine. La femme donne l’impulsion, l’homme la suit.
    Le grand mouvement philosophique qui au XVIIIème siècle a remis tous les problèmes de la Nature en discussion a été, tout entier, fait par des femmes.
    La marquise de Lambert, Mme de Tencin, Mme Geoffrin, inspirent Fontenelle et son école. La marquise du Deffand, la baronne de Staal, surtout la marquise du Châtelet, influencent l’esprit de Voltaire. Mlle de Lespinasse fait d’Alembert. Mme d’Épinay, la comtesse d’Houdetot font Rousseau. Mme d’Épinay, cette petite femme que Voltaire appelait « un aigle dans une cage de gaze », fait aussi Grimm.
    C’est ce grand réveil de la pensée féminine, se dégageant subitement des entraves du Christianisme, qui prépare la Révolution. Mais cette première révolte de l’esprit de la femme en face des erreurs du vieux monde n’est pas bien comprise par l’homme, elle est défigurée, mal interprétée, mal rendue, elle est traduite en idées masculines.
    La femme esclave demandait son affranchissement : l’homme traduit ce cri de révolte par la demande des droits de l’homme. La femme veut l’affranchissement des entraves mises à la liberté des fonctions de son sexe : l’homme traduit cette aspiration par un nouveau déchaînement dans ses vices à lui et ne continue pas moins à opprimer la femme dans sa sexualité ; ce déchaînement de l’homme amène même une recrudescence de jalousie sexuelle.
    Tout ce que la femme demande pour elle, l’homme, dans la traduction qu’il fait des idées de la femme, le demande pour lui.
    C’est ainsi que la Révolution préparée par la femme pour être l’avènement de la justice ne fut que l’avènement d’un système bâtard qui vint détruire l’ancien régime, mais ne le remplaça pas par ce que la femme avait rêvé.
    Lien : https://livresdefemmeslivresdeverites.blogspot.com/2017/07/la-revolution-francaise-cest-la.html
    Cordialement.

Laisser un commentaire

*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.