LES AÎNÉES POUR LE CLIMAT SUISSE : CES FEMMES QUI ONT ASSIGNÉ LEUR ÉTAT EN JUSTICE

Aînées pour le climat suisse en action
Anne Mahrer, co-president of Senior Women for Climate Protection Switzerland

En avril, l’association réunissant plus de 3 000 femmes de plus de 64 ans a réussi à faire condamner la Suisse pour inaction climatique devant la Cour européenne des droits de l’homme. Anne Mahrer, sa coprésidente et ancienne parlementaire, revient sur cette action et l’engagement de ses membres.

Pourquoi des femmes – des « aînées » tel que l’affiche le nom de votre association – se sont-elles réunies pour mener une action contre l’inaction climatique ?

C’était une stratégie juridique. Au niveau parlementaire, dans lequel j’étais impliquée, cela n’avançait pas du tout dans le bon sens. Il fallait trouver une piste pour obliger la Suisse à respecter ses engagements climatiques et à protéger ses citoyens face au changement climatique.

L’affaire Urgenda aux Pays-Bas [886 citoyens ont assigné leur État en justice sur le même sujet et obtenu gain de cause par la Cour suprême néerlandaise en 2019, ndlr] nous a inspirées. En Suisse, nous étions plusieurs – parlementaires, juristes, ONG – à réfléchir à une façon de reproduire cette action en justice. Comme il n’y a pas de class action possible dans notre pays, tel que cela existe aux États-Unis, il fallait créer une association de personnes vulnérables aux problèmes du climat, dont le droit fondamental à la vie n’était pas respecté.

Nous nous sommes alors rendu·es compte que les femmes âgées étaient particulièrement vulnérables au réchauffement climatique : elles rencontrent plus de problèmes cardiovasculaires, plus de problèmes respiratoires, sont davantage victimes de coups de chaleur, d’épuisement… Toute une liste de difficultés documentées dans des rapports médicaux, par les ministères de la Santé ou par l’Organisation mondiale de la santé. Cela a motivé la création de l’association en 2016.

Et pourquoi aviez-vous défini l’âge d’adhésion à 64 ans ?

C’était l’âge de la retraite en Suisse, aujourd’hui passé à 65 ans. Aujourd’hui, la moyenne d’âge dans l’association est actuellement de 73 ans. Mais les soutiens à l’association proviennent de toutes les générations, hommes et femmes confondues aussi. Parce qu’il n’y a pas de coupure entre les générations à travers notre action. Beaucoup de jeunes dans des collèges, des lycées ou des universités étaient intéressés par ce que nous faisions et nous invitaient pour la présenter. Ils nous disaient « merci ». Parce qu’évidemment, si on gagnait, tout le monde gagnait aussi. 

Que s’est-il passé depuis la décision favorable de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ? Comment celle-ci a-t-elle été accueillie en Suisse ?

Les réactions au niveau parlementaire ont été déplorables. Au Conseil national [l’équivalent de l’Assemblée nationale] et au Conseil des États [l’équivalent du Sénat], deux grandes déclarations ont été approuvées, demandant au gouvernement de ne pas appliquer l’arrêt de la CEDH. Cela a fait beaucoup de bruit. Pour les élus, la Suisse fait tout bien jusqu’ici sur le sujet. Pour l’instant, nous sommes donc suspendues aux annonces du gouvernement. Il a indiqué qu’il donnerait une position mi-août, avant de devoir préciser au comité des ministres du Conseil de l’Europe sa feuille de route en matière climatique.

Y a-t-il eu des réactions particulières concernant votre engagement en tant que femmes âgées ?

J’étais au Conseil national le jour du débat et effectivement, certains élus, d’extrême droite ou d’autres sensibilités politiques, nous pointaient du doigt : « Mais regardez-les les boomeuses, elles sont en pleine forme ! ». Ou bien d’autres – principalement des hommes et essentiellement de notre âge – nous ont écrit ou ont commenté les articles en disant : « Restez chez vous. Occupez-vous de vos petits-enfants et faites plutôt des tartes aux pommes »… Heureusement, la majorité des messages que l’on a reçus étaient des messages de remerciement. Je me suis concentrée sur ceux-là.

Dans ce contexte où l’on demande souvent aux femmes âgées de rester à l’écart, a-t-il été facile ou difficile de fédérer des femmes de plus de 64 ans ?

En Suisse, les femmes de nos âges savent ce que c’est de devoir militer et s’engager. Nous sommes l’un des derniers pays européens à avoir accordé le droit de vote aux femmes, en 1971. Dans l’association, nous avons donc connu l’époque où il nous a fallu nous bagarrer pour avoir le droit de vote.

Qu’est-ce que vous pourriez dire à d’autres personnes qui, passé 60 ans, se posent des questions sur leur place dans des luttes politiques ?


Ce n’est pas parce qu’on a plus de 60 ans qu’on doit rester les bras ballants ! Il y en a qui se disent une fois à la retraite « après moi le déluge » ou qui ne cherchent qu’à profiter. Mais s’engager, ça maintient les neurones actifs, c’est stimulant, c’est motivant de s’engager ensemble ! À celles et ceux qui ont des petits enfants, j’ai envie de leur dire que s’ils ne s’engagent pas pour eux, qu’ils le fassent pour leurs petits-enfants, qui pour l’instant n’ont pas voix aux chapitres et seront très gravement impactées. Ma petite-fille de 19 ans suit de très près mon engagement par exemple et est très fière de moi. De toute façon, en ce qui me concerne, je ne pouvais pas être sagement à la retraite après avoir quitté le Parlement. Faire face au changement climatique, c’est trop urgent.


 

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