GREY MATTERS : LA PAROLE COMME OUTIL D’ÉMANCIPATION À L’HEURE DE LA CINQUANTAINE

Grey Matters_Nantes
© Mathilde Doiezie

À Nantes, l’association Trust a mis sur pied en octobre un groupe de parole entre femmes pour échanger autour de la transition liée à la cinquantaine, afin de mieux comprendre ce qui se vit dans la tête et dans le corps et mettre à distance les injonctions sociales. Reportage.

Le froid pique dehors en cette soirée de décembre, tandis que les écharpes se déroulent dans une salle de la maison de quartier Bottière, à Nantes. À l’intérieur, Laure Bonnerot annonce le thème de la séance du soir : les injonctions sociales autour de l’âge. Autour d’une large table prennent place trois femmes ayant échappé aux coups de mou et maladies du moment, ayant malmené les autres participantes habituelles. Depuis octobre, Magali, 48 ans, Dominique, 53 ans et Frédérique, 49 ans, font partie du groupe de parole Grey Matters, animé par Laure Bonnerot avec l’association nantaise Trust (Travail sur des ressources utiles en situation de transition).

« Les injonctions sociales, ce sont les croyances, les freins, ce qu’on a intériorisé, ce sur quoi on peut porter un jugement », énumère cette coach professionnelle en guise d’introduction. Laure invite chacune à détailler sa « météo du jour » : un tour des ressentis personnels du moment, à partir de cette question : « Aujourd’hui, vous avez la sensation d’avoir quel âge ? » D’un côté, il y a Magali, qui se sent voler des ailes : « 20 à 25 ans. Parce que je ressens des papillons. Parce que je suis à un changement de mi-vie qui me donne la sensation de me réveiller d’un cycle où j’ai été endormie. C’est à la fois hyper grisant et angoissant. » Juste après, Dominique met les pieds dans le plat : « Ce soir, je me rapproche plus de 70 ans. J’ai fais un gros travail et remis en question plein de choses. C’est clair dans ma tête, mais je trouve qu’on attend toujours trop de moi. Je me sens à la fois révoltée et très fatiguée face à tout ça. » « De quoi as-tu besoin ? », lui demande Laure. « D’écoute et de partage », répond Dominique.

L’objectif de Grey Matters

Tant mieux, c’est l’objectif de Grey Matters, créé cette année et seul groupe de ce type répertorié en France pour le moment. Laure accompagnait déjà depuis plusieurs années des femmes : d’abord via de l’accompagnement après la naissance, puis via du coaching individuel. Elle a ensuite cofondé l’association Trust afin d’accompagner des jeunes filles à avoir confiance en elles et dans leurs projets, qui a depuis mis sur pied plusieurs ateliers d’accompagnement à différentes transitions de vie. Grey Matters, Laure l’a imaginé en discutant avec des femmes plutôt informées, qui se retrouvaient pourtant démunies et sans réponses à leurs questions face à la transition qu’elles étaient en train de vivre. Le manque d’informations et d’échange à ce sujet est en effet criant. Une collègue coach d’origine américaine lui a fait part de l’existence de groupes de discussion entre femmes aux États-Unis, plutôt transgénérationnels. Elle a alors décidé d’adapter ce type d’échange au moment de transition que constitue la cinquantaine.


« Ce qui est particulier, c’est qu’on est à un âge où les jeunes me disent que je suis vieille, les vieux me disent que je suis jeune », s’amuse Magali, avec ses yeux pétillants comme les éclats dorés de son pull blanc, alors que la discussion se poursuit sur les perceptions sociales de la cinquantaine. Plus tard, Dominique résume : « On est à un âge où on doit continuer à être une très bonne mère et en même temps s’occuper de nos parents. Il faut être partout. » Pull vert, lunettes transparentes, Frédérique abonde : « On est la première génération à vivre l’allongement de la durée de vie de nos parents et celle de nos enfants à la maison. » Être sur tous les fronts, répondre à des injonctions contradictoires… Laure diffuse justement un court-métrage sur le sujet, Be a lady, they said . Face caméra, Cynthia Nixon, actrice de la célèbre série Sex and the city, y récite un texte dénonçant les pressions divergentes auxquelles les femmes font face tout au long de leur vie.Une fois la vidéo terminée, Dominique proclame : « Tout est dit ».

Déjouer les injonctions sociales

Le groupe continue l’échange sur le manque de représentation des femmes de plus de 50 ans dans les médias grand public. Laure montre une couverture du magazine Elle avec Sharon Stone et le titre du dossier « Vieillir comme je veux ». Cela fait monter la moutarde dans le groupe… Il faudrait encore que vieillir soit désirable. Pour Frédérique, la représentativité, il n’y a pas d’autre choix que d‘« aller la chercher » aujourd’hui, via des sites ou des comptes Instagram spécialisés. À l’atelier, les participantes s’échangent les noms d’autrices, de comptes Instagram ou de podcasts qui peuvent les épauler.

Dernier exercice : collecter sur des post-it les injonctions auxquelles chacune d’entre elles fait face. « À mon âge, j’ai peur qu’on dise de moi… » ou « À mon âge, je me dis que je ne dois plus… » Ces injonctions peuvent venir de l’extérieur comme être celles que chacune s’impose. « Je n’ai pas l’impression de prêter attention à celles des autres, par contre les miennes sont bien plus puissantes », admet Magali. « Même si elles sont internes, elles sont sociales », lui répond Laure, qui se mouille davantage : « Par exemple, j’ai pris un peu de poids dernièrement. Je m’en fous et en même temps, je le remarque. Qu’est-ce que ça signifie ? » Examiner, c’est la première étape de l’émancipation, assure-t-elle. « C’est déjà mettre à distance. » Une phrase qui résume le rôle de l’atelier. Un espace d’échange pour vivre sa transition à sa façon, sans nécessairement répondre à tout ce que les injonctions sociales voudraient bien imposer.

Grey Matters, ateliers de l’association Trust, maison de quartier Bottière à Nantes. Participation gratuite après adhésion à l’association, à partir de 5 euros.
Site :
https://www.asso-trust.fr/greymatters


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