Dans son livre 30 pratiques RH pour valoriser les seniors en entreprise, Amélie Favre Guittet démonte les stéréotypes liés à l’âge et propose des leviers concrets pour inclure enfin les salarié·es de 45 ans et plus dans les politiques RH. Une lecture salutaire à l’heure où les entreprises doivent faire face à la pénurie de talents et au vieillissement de la population active.
Dans le monde de l’entreprise, les discours sur la diversité et l’inclusion ont longtemps laissé les salariés de plus de 45 ans sur le bas-côté. Pourtant, les enjeux sont là, bien réels : vieillissement de la population active, pénurie de talents, départs massifs à la retraite, désengagement des salariés. Il est urgent de changer de logiciels.
C’est ce que propose Amélie Favre Guittet, entrepreneure RH à impact et fondatrice de Talent Management Groupe, dans un ouvrage clair, accessible, et surtout truffé de solutions concrètes. Son credo ? Le bon sens. Un bon sens qui fait souvent défaut dans des pratiques RH trop rigides, déconnectées de la réalité du terrain, et pétries de biais.
Des pratiques standardisées à réinterroger
La spécialiste privilégie une approche pragmatique, fondée sur l’observation et l’expérience de terrain. Elle observe, écoute, décrypte. Ce qu’elle met en lumière, c’est la tendance des entreprises à adopter des approches dites innovantes sans toujours interroger leur réelle adéquation aux différents profils. « On n’a appliqué que des pseudo nouvelles choses. J’ai l’impression que ce sont souvent des solutions recyclées à la sauce jeune génération », remarque-t-elle.
L’autrice insiste sur l’importance de prendre en compte les trajectoires individuelles, les attentes et les besoins spécifiques des personnes à différentes étapes de leur vie professionnelle. « Ce n’est même pas tellement une question d’âge, mais de moment de vie », explique-t-elle appelant à plus de flexibilité et d’intelligence de situation dans les processus RH.
Un imaginaire collectif à déconstruire
Mais cette prise en compte fine des parcours reste largement contrariée par la persistance de stéréotypes. Les biais liés à l’âge ? Ils sont massifs. « La plupart des recruteurs sont jeunes, pas formés. Ils arrivent sur le marché en reproduisant ce qu’on leur a appris. » L’experte RH évoque un système qui perpétue des pratiques discriminantes sans même en avoir conscience, et rappelle que la formation aux biais cognitifs est quasi absente des cursus RH. Même les managers plus âgés, dit-elle, « peuvent être bourrés de biais et disqualifier inconsciemment des profils seniors dont ils auraient pourtant besoin ».
Pour l’entrepreneure, c’est tout l’imaginaire collectif qui est à revoir : « Vieillir, ce n’est pas joli. Je veux quelqu’un de frais pour mon entreprise, et frais, ce n’est pas les plus de 50 ans, c’est ce qu’on s’imagine. » Cette représentation freine les décisions et les pratiques, malgré les évidences. Plus largement, cette vision réductrice nourrit des incohérences dans les politiques RH. La spécialiste interpelle sur l’incohérence des politiques RH actuelles : « On sait, via les enquêtes, que la diversité intergénérationnelle produit des équipes plus soudées, plus innovantes, plus efficaces. Alors pourquoi ça bloque ? »
Repenser les parcours dès l’entrée… et jusqu’à la sortie
La réponse tient selon elle à l’absence de vision globale. La spécialiste plaide pour une refonte complète de l’onboarding : « L’onboarding commence dès qu’on dit à quelqu’un “on vous recrute”. Il ne faut pas attendre qu’il arrive dans les bureaux. » Elle imagine, par exemple, des modules de formation à distance que le ou la future salariée pourrait suivre entre l’annonce de son embauche et son premier jour. Pour elle, l’accompagnement doit être adapté à la situation personnelle de chacun, qu’il ou elle arrive d’un emploi, d’une période de chômage ou d’une reconversion.
Même exigence pour l’offboarding, qu’elle juge trop souvent bâclé : « Il faut prendre soin de la personne jusqu’au bout. Elle a donné de son temps, de son énergie, de ses compétences. » Et la formation ? La consultante y croit fermement. Mais pas dans les formats classiques. « Personne n’a envie d’une formation de 4h dans une salle obscure avec des slides. Par contre, du micro-learning, des vidéos de 3 minutes, des ateliers participatives… ça, ça marche. »
La participation active des collaborateurs est, selon elle, un levier sous-exploité. « On pourrait faire des groupes de travail sur différents sujets, leur confier un petit budget pour mener un projet, et laisser les meilleures idées émerger du terrain. » Cette dynamique collective rejoint une autre priorité à ses yeux : renforcer l’employabilité tout au long du parcours professionnel. Sur cet aspect Amélie Favre Guittet est directe : « Après 50 ans, à peine 35 % des salariés se forment. Il faut changer ça. On ne demande pas à tout le monde de faire un MBA à 30 000 euros, mais deux formations par an, ce serait déjà bien. »
Des entreprises qui montrent la voie
Certaines entreprises montrent toutefois qu’un changement est possible. Le groupe Crédit Agricole, par exemple, déploie une politique de mobilité interne accessible à tous les âges. Autre exemple inspirant : une entreprise de services numériques (ESN) où les salariés sont recrutés sur la base de leurs valeurs communes – ici, la passion du sport – plutôt que sur leur date de naissance. « Quand ils parlent entre eux, ils parlent de sport. Et l’âge disparaît. ».
Ces expériences concrètes interrogent directement notre manière de classer les individus, notamment par l’usage du mot « senior ». La formatrice revient sur ce terme, qu’elle juge problématique car il amalgame des réalités très diverses. Dans de nombreuses entreprises, on commence à parler de salariés « seniors » dès 45 ans. Une classification qu’elle trouve absurde : « On me parle de senior à 45 ans, mais on peut déjà avoir construit une carrière riche bien avant cet âge. Et si tu changes de métier à 50 ans, tu n’es pas senior dans ce nouveau domaine, tu redeviens junior. » Ce qui importe, à ses yeux, c’est la singularité de chaque trajectoire professionnelle. Plutôt que d’enfermer les individus dans des catégories figées, elle invite à considérer les compétences, les expériences et les envies qui jalonnent leur parcours. Un regard plus nuancé, indispensable pour repenser les reconversions, accompagner les mobilités internes et valoriser les trajectoires plurielles.
L’observatrice du monde RH prône une révolution douce mais profonde. Il faut, dit-elle, « remettre les pieds des dirigeants sur le terrain, leur faire entendre ce que vivent les salarié·es, et ensuite choisir trois chantiers prioritaires à mettre en place. » Un appel à renouer avec le réel, à écouter plutôt qu’imposer, pour construire enfin des politiques RH inclusives à toutes les étapes de la vie professionnelle.
30 pratiques RH pour valoriser les seniors en entreprise – Amélie Favre Guittet, Vuibert 2024