SYLVIANE DEGUNST : « LE GREY POWER NE DEVRAIT PAS ÊTRE UN SUJET »

Sylviane Degunst
©Instagram Londonoeil

Sylviane Degunst, ex éditrice et mannequin de 62 ans livre dans « Moi, vieille et jolie » un récit inédit sur le vieillissement. Elle y raconte sa carrière tardive et pétillante de mannequin outre Manche mais au delà du titre, clin d’oeil à un célèbre magazine, elle évoque ce que signifie vieillir.

A 54 ans, Sylviane Degunst a démarré sa vie de mannequin repérée dans une rue londonienne. Elle enchaîne les prises de vues, les campagnes publicitaires. Et sa silhouette androgyne s’affiche bientôt sur les bus, dans le métro et les magazines. Un succès inédit dans la capitale britannique qui infuse un « melting pot » culturel où la diversité se conjugue avec toutes les morphologies, couleurs et âges. Autre ambiance de l’autre côté du channel où les agences peinent à lui trouver un emploi. L’ex éditrice au 24 000 followers sur Instagram (@londonoeil) déconstruit avec humour et profondeur les stéréotypes de l’âgisme.

Vous cassez les codes liés à l’âge. Est ce parce que vous avez vécu en Angleterre dans une société beaucoup plus souple que la nôtre ?

Mes parents étaient extrêmement jeunes et je vivais dans une famille très mélangée avec des Italiens, des Espagnols, des Belges, des Algériens, des Marocains, des Danois… Jamais, depuis l’enfance, je n’ai eu de clichés en tête. On m’a toujours laissé m’exprimer et au contraire cultiver la différence. Et j’ai toujours aimé ça.

Le tournant des 50 ans n’a pas été un sujet pour vous visiblement puisque vous êtes devenue mannequin à cette époque là ?

Beaucoup plus tard ! J’avais 54 ans quand on m’a demandé à Londres d’être modèle. On me l’avait déjà proposé à Paris à deux reprises, à 29 puis à 38 ans, mais à ce moment-là, j’étais occupée par mon travail dans la presse et l’édition. Ça ne m’intéressait pas. En Angleterre j’ai accepté parce que je ne pouvais pas faire autre chose, même si je parlais l’anglais, je ne pouvais prétendre à être éditrice.

Quelle était votre perception du vieillissement quand vous avez démarré cette carrière de mannequin  ?

Je ne pense jamais à mon âge. Très tôt j’ai eu les cheveux blancs et comme je ne les ai jamais teints, pour moi ce n’était pas un signe de vieillissement. Je ne me vis pas comme une personne en train de vieillir, mais comme une personne que j’essaye d’améliorer. Je tente plutôt de gagner un supplément d’âme. À chaque anniversaire, j’ai l’impression d’une promotion, je me dis : ‘tiens je suis peut-être un peu plus tolérante, un peu moins catégorique qu’avant’.

Devenir mannequin à 54 ans a renforcé cet aspect très positif de l’avancée en âge ?

J’ai été stupidement flattée bien sûr. J’étais à Londres déjà depuis un an, et même si je suis une personne qui ne s’ennuie pas, ça m’aurait convenu de ne pas travailler, mais ce n’était pas envisageable ; il faut être plutôt riche pour vivre à Londres. J’ai donc accueilli cette proposition. Je me suis dit que c’était une belle opportunité. En Angleterre ça a très bien marché mais ici en France je n’intéresse personne dans le milieu de la mode en tout cas.

À quoi attribuez-vous cette différence ?

Je ne connais pas le milieu de la mode parisienne, je n’ai fait que des shootings pour quelques marques et des amis. En Angleterre, j’étais dans les vitrines, à la télé, sur les bus, dans le métro, dans la presse. J’imagine, parce que je ne le connais pas, que le milieu de la mode parisien est très snob et pense détenir le bon goût. Je le vois à la façon dont les gens s’observent.

Je tiens à préciser que je n’aime pas plus le mot senior que le mot junior, ce que je trouve intéressant c’est le mélange, être tous ensemble.

Sylviane Degunst

J’ai travaillé dans la presse féminine et je me souviens qu’il y avait une journaliste dont on cachait le nom de famille car elle était la fille d’un homme politique. Il ne fallait pas qu’on le sache. Les filles étaient habillées en Chanel alors que moi j’étais en second hand et Paraboot. Et encore des fausses parce que je n’avais pas d’argent à l’époque. Je me sentais jolie mais sans en faire un plat. Pourtant, je ne me suis pas sentie du tout à ma place dans cette rédaction. C’était un monde de pestes.

Autre ambiance en Angleterre ?

La double page dans laquelle j’apparaissais très régulièrement, The Guardian Week-end (l’équivalent de M le monde), s’intitule « All ages » (tous les âges). Et de fait, sont représentés toutes tailles, toutes couleurs, morphologies et âges confondus. Cette double page existe depuis 2009. Vous voyez comment nous sommes en retard dans les mentalités ! Soit on est trop prétentieux, soit on a vraiment peur des différences.

Quand vous étiez castée ce n’était pas pour des pages de mode Senior ?

J’ai une silhouette qui leur plaisait parce que les Anglaises sont, en général, un peu plus costaudes. On me disait toujours « she’s so French » ! Mais chez Marc et Spencer à Londres, je n’ai jamais trouvé un soutien-gorge à ma taille. J’ai une silhouette androgyne. Les Anglais ont des cheveux roses, tricolores, verts … Là-bas, mes cheveux blancs ne sont ni un handicap ni un atout. Je trouve qu’il y a des femmes grosses, et j’emploie le terme à dessein, sur lesquelles les vêtements sont magnifiques. Toutes les morphologies, dès qu’il y a un équilibre, peuvent présenter de la mode.

Est-ce que vous pensez que vous avez contribué avec d’autres, par exemple Sophie Fontanel à bousculer les représentations notamment sur Instagram avec le #greypower?

Ça m’agace un peu ce hashtag. Ça ne devrait pas être un sujet. Je ne me présente pas en tant que Silver model, je m’adresse aux gens en tant qu’individu, quel que soit leur âge, leur couleur de peau, leur morphologie, leur background intellectuel. Ce sont les gens qui m’intéressent. Je n’aime pas les catégories. Sophie Fontanel m’avait rencontrée lorsqu’elle avait décidé d’arrêter de se teindre les cheveux. Frédéric Birault,  coiffeur parisien, était venu m’interviewer aussi car il faisait un documentaire sur les femmes à cheveux blancs pour lesquelles ce n’était pas un problème. Ce docu n’a jamais vu le jour …

Cela a peut-être permis à des femmes de passer ce cap ?

Cela les a sûrement aidées mais c’est encore une autre forme de cloisonnement. Ce qui m’intéresse ce sont les mélanges. Définitivement je n’aime pas les catégories. Nous ne devrions pas être obligées de revendiquer notre âge.

Je paye le titre provocateur de mon bouquin aussi car les gens ne m’interrogent que sur l’âge et la beauté. Alors qu’il parle aussi d’amour, c’est un hommage à mon père. Car je veux dire que la vieillesse, ce n’est pas 3 kg en plus, des rides et des cheveux blancs.

Sylviane Degunst

Les mentalités changent très peu depuis l’article de Suzanne Sontag sur le double standard du vieillissement. Comment faire bouger les lignes ?

En étant de plus en plus visible, de la même manière que la parole des femmes s’est libérée avec meToo. Laura Adler vient d’écrire un livre sur le vieillissement et Simone de Beauvoir avant elle. Mais il n’y en a pas assez. Plus on parlera, plus on nous montrera, plus ça changera, mais il faut que l’on fasse du bruit.

Est-ce que vous pensez qu’il y a aussi un cloisonnement avec la génération qui nous suit ?

Ma mère m’a eue à 17 ans et c’est toujours un peu ma grande sœur. La perception de l’âge quand on est très jeune c’est une perspective tellement lointaine ! Mais en Angleterre, il y a un vrai brassage des générations. Dans le pub local que nous fréquentions à Londres loin des touristes, tous les âges se mélangeaient. On va au pub avec le chien, le dernier-né, la grand-mère, les cousins … Les générations se mélangent beaucoup plus qu’à Paris. J’aimerais beaucoup le faire ici avec des amis de ma fille par exemple mais je ne le ferais pas spontanément alors qu’à Londres, j’allais boire des verres avec certain.e.s de ses ami.e.s sans qu’elle soit forcément présente.

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