MÉNOPAUSE ET EMPLOI : CE QUE RÉVÈLE LA PREMIÈRE GRANDE ÉTUDE SUISSE

Joelle Zingraff
Joëlle Zingraff co fondatrice de Women Circle ©DR

En Suisse, une enquête inédite révèle l’impact de la ménopause sur le travail des femmes. Fatigue, troubles du sommeil et carrières freinées sont autant de réalités longtemps tues que le Dr. Joëlle Zingraff, cofondatrice de The Women Circle, veut porter dans le débat public.

En Suisse, la ménopause reste, comme ailleurs, un sujet largement invisible dans le monde du travail. Pourtant, elle bouleverse le quotidien professionnel de nombreuses femmes. Une enquête nationale menée au printemps 2025 auprès de 2 259 salariées révèle l’ampleur du phénomène : 71 % déclarent souffrir de fatigue persistante et 63 % de troubles du sommeil. Ces symptômes, longtemps cantonnés à la sphère intime, se répercutent directement sur la performance et l’évolution de carrière.

« On retrouve à peu près les mêmes constats que ceux observés en Allemagne », explique le Dr. Joëlle Zingraff, cofondatrice de The Women Circle, à l’origine du projet suisse. Un tiers des femmes réduit son temps de travail ou s’adapte face aux symptômes. Les difficultés de concentration, la fatigue émotionnelle, les bouffées de chaleur restent centrales. Des propos que confirme l’étude : 67 % des répondantes évoquent des problèmes de concentration et plus de 40 % une perte de confiance en elles.

De Berlin à Berne : une étude qui traverse les frontières

Cette enquête s’inscrit dans la continuité des travaux menés par la professeure Andrea Rumler, spécialiste en gestion et en marketing, en Allemagne dès 2023, puis en Autriche en 2024. « Avec le Dr. Adrian Krahn (Cofondateur de The Women Circle), nous avons rencontré la chercheuse à Berlin et un partenariat s’est construit », raconte Joëlle Zingraff. La professeure Petra Stute à la tête de la clinique de santé féminine de l’hôpital de Berne, a été associée au projet et le questionnaire traduit en français et en italien afin de couvrir l’ensemble des régions linguistiques.

Le succès a dépassé leurs attentes, près de 2 300 réponses exploitables ont été recueillies en quelques mois, majoritairement de femmes de 45 à 55 ans. « C’est bien la preuve que le débat sociétal prend de l’importance. En Allemagne, il avait fallu plus de temps pour obtenir un échantillon comparable », souligne la consultante.

Le silence, principal obstacle au travail

Les résultats indiquent que l’obstacle ne réside pas uniquement dans les symptômes mais dans le silence qui les entoure. Un tiers des femmes n’évoquent jamais la ménopause au travail, 35 % rarement, et plus de la moitié (57 %) estiment que leur employeur ne propose pas d’environnement de soutien adapté. « En Suisse, il n’existe pas de médecine du travail structurée comme en France. Tout est très privatisé, les entreprises sont moins accompagnées. C’est pour ça que nous nous adressons directement au milieu économique », décrypte Joëlle Zingraff.

Cette absence de dialogue est souvent plus lourde à porter que les symptômes eux-mêmes. « J’entends encore des femmes me dire : “Pour moi, hors de question de parler de ménopause au travail.” Briser le tabou, c’est avant tout ouvrir un canal de discussion, permettre à celles qui souffrent d’aller chercher de l’aide sans peur, ni moquerie. »

Des conséquences sur les carrières et sur l’économie

Les répercussions sur les parcours professionnels sont tangibles. 20 % des femmes interrogées ont réduit leur temps de travail, 16 % ont changé d’emploi et 13 % ont interrompu leur carrière. Certaines ont même refusé une promotion ou pris une retraite anticipée. Pour Joëlle Zingraff, ces chiffres doivent alerter les employeurs : « L’économie suisse sait que le départ massif des baby-boomers va créer de fortes tensions. Ce n’est pas l’intelligence artificielle qui va remplacer tout le monde. Garder les femmes qualifiées et expérimentées est un levier stratégique. »

Son équipe accompagne des entreprises très diverses. De grandes multinationales comme Nestlé, mais aussi des PME techniques qui comptent peu de femmes et souhaitent les fidéliser. « Les employeurs réalisent qu’il y a un risque de perte de compétences, et qu’agir sur la santé des femmes en milieu de carrière, c’est un investissement », insiste-t-elle.

Des solutions personnalisées à privilégier

Face à ces enjeux, les participantes expriment clairement leurs attentes : 65 % jugent prioritaire la sensibilisation des managers, 62 % une communication ouverte et 60 % un meilleur accès à l’information. Des mesures simples, mais encore largement absentes. La dirigeante de The Women Circle met cependant en garde contre les solutions trop uniformes : « Chaque entreprise a sa culture, ses besoins spécifiques. Si on impose par la loi des dispositifs trop rigides, on risque de braquer les employeurs. L’approche doit rester individualisée. » Et de conclure : « Le lieu de travail reste pensé pour les hommes. Il est temps qu’il s’adapte aussi aux réalités des femmes. »

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